Stalingrad, Paris 19e – Le 2 novembre 2016, téléphone en main, batterie externe en poche et écouteurs dans les oreilles, Rémy Buisine zigzague entre les migrants, les journalistes et les soutiens. Venu couvrir une manif de réfugiés, ce qu’il filme avec son smartphone est directement retransmis sur son compte Periscope qui dépasse les 70.000 abonnés.
Il commente tout ce qu’il voit, partage ses impressions, interviewe les passants. Rémy a développé une forme de journalisme moderne, calquée sur les chaînes de télé en continu avec en prime des commentaires persos. En rentrant chez lui ce soir-là, il se fait malmener et voler son outil de travail : son smartphone.
Les chiffres du #Periscope hier sur la #NuitDebout !
— Remy Buisine (@RemyBuisine) 4 avril 2016
➡️ 5H14 de Live
➡️ Pointe + 81 K
➡️ 385 K cumul en direct pic.twitter.com/CRgp6XCWTO
L’électron libre rejoint la rédac de Brut
Quelques jours plus tard, quand on le retrouve dans un café près de Bastille, il a rangé son téléphone dans sa poche.
Clip L’orchestre Debout on air
C’est avec fierté qu’il parle de sa nouvelle vie de journaliste à plein temps. À 25 ans, il a rejoint la toute nouvelle équipe de Brut. Lancé à la fin de l’été, ce média en ligne uniquement présent sur les réseaux sociaux parle de politique sur un ton décalé.
Une forme de reconnaissance pour lui qui vient de nulle part. Son nom a commencé à tourner sur les réseaux sociaux pendant les manifs contre la Loi Travail et surtout Nuit Debout. Ses lives Periscope réunissaient des milliers de personnes chaque soir. « C’était génial comme expérience », sourit-il aujourd’hui :
« Beaucoup de personnes un peu partout en France qui ne pouvaient venir sur place mais qui s’y intéressaient pouvaient suivre ce qu’il se passait »
Sur Periscope, il a réalisé près d’une centaine de lives. Mais ce n’est pas uniquement son hyperactivité qui a séduit Laurent Lucas, le directeur édito de Brut. Selon l’ex-red chef adjoint du Petit Journal version Barthès, Rémy a un regard neuf :
« Je l’ai découvert un peu comme tout le monde pendant ces manifs, et j’ai trouvé que contrairement à beaucoup de streetreporters, il prenait moins partie, était plus neutre et moins engagé. »
Quitte à tacler son ancien employeur :
« C’est un peu “l’anti-Quotidien”. »
Les attentats du 13 novembre
Rémy bosse comme Community Manager pour le groupe de radio Voltage depuis 2 ans quand les attentats du 13 novembre éclatent. « J’habite juste à côté de République, il me semblait important de faire un truc, revient-il aujourd’hui assis devant un Coca. Mais je ne voulais certainement pas entrer dans le gore en montrant les corps devant le Bataclan. »
Il se rend place de la République, dégaine son téléphone et se branche sur Periscope, l’appli développée par Twitter qui permet de diffuser des images filmées en live. Il recueille la sidération des passants. « À l’époque, c’était encore très secret comme moyen de diffusion. Personne ne me suivait sauf mes quelques abonnés. » Il se prend de passion pour ce nouveau format.
Sa téléréalité
Rien chez ce gamin venu du nord de la France ne le destinait à devenir journaliste. « J’ai eu un parcours scolaire un peu compliqué », sourit Rémy. Pas forcément féru des cours, il passe plus de temps à traîner sur son ordi chez lui qu’à user les bancs du lycée. Il quitte le bahut sans valider son bac et végète au domicile familial. Il cultive sa passion des réseaux sociaux et se fait un peu d’argent de poche en jouant au Community Manager pour des joueurs de foot hexagonaux et internationaux :
« Je me démenais comme un dingue pour obtenir leur numéro de téléphone. Parfois je me déplaçais pour les rencontrer directement. Je pense qu’au début je perdais plus d’argent que je n’en gagnais ! »
À la fin des années 2000, les footeux ont encore leur page Facebook perso et découvrent peu à peu l’intérêt des réseaux sociaux pour le développement de leur carrière. Devenu un pro de CM, il participe et remporte l’émission de téléréalité The social rush, diffusée sur Direct Star. Objectif : être capable de mobiliser sa communauté sur les réseaux. À la suite de cette émission, il est reperé par le groupe de radio Voltage et migre vers Paris, fuyant Seclin, le nord de la France et son activité qu’il juge morne.
Presque 3 ans plus tard, le 29 novembre, dans les bureaux de Twitter France, une petite trentaine de patrons ont répondu à l’invitation du géant du net réunis derrière le hashtag #CEOsQuiTweetent. Rémy Buisine est l’invité d’honneur. Il est venu faire un speech à propos du live sur Internet. Sur les photos, il détonne au milieu des costards et des tailleurs :
« C’était rigolo comme expérience. J’avais peur qu’ils ne soient pas réceptifs mais au contraire, ils ont bien compris mon boulot et l’impact que ça peut avoir sur une communauté. J’ai même discuté avec le patron de Porsche France ! »
Il décline l’offre de BFM
« Rémy a une approche de l’actualité totalement différente de l’ancienne génération. C’est pourquoi il plait aux jeunes aujourd’hui ! », juge Renaud Le Van Kim. Le producteur star de la télé française, ne tarit pas d’éloge sur sa nouvelle recrue. Embauché au cours de l’été, Remy a longtemps hésité sur la direction à donner à sa carrière. Ses directs à Nuit Debout ont fait parlé de lui. Il a déjà, à l’époque, vendu quelques images pour les télés, mais rien d’extraordinaire. Au mois de d’août, ça s’accélère. Alexis Delahousse, chargé de lancer BFM Paris, la petite soeur du géant de l’info en continu, lui fait passer un entretien :
« Le format qu’ils développent se rapproche pas mal de ce que je faisais. »
Scène surréaliste. Les CRS quittent l'endroit du campement détruit et immédiatement les migrants s'installent à nouveau au même endroit. pic.twitter.com/D6Pki98iwR
— Remy Buisine (@RemyBuisine) 31 octobre 2016
Mais dans le même temps, il signe un pré-contrat avec Le Van Kim.
« J’ai hésité. BFM c’est quand même LA référence en terme d’actu chaude, c’est ce par quoi je suis passionné. Mais l’aventure Brut me convenait davantage, elle était plus proche de mes aspirations. »
Brut et Luc Besson
A la tête de Brut, quasiment que des anciens de Canal. Renaud Le Van Kim, ex-producteur historique du Grand Journal, est viré par Bolloré lors de la grande purge de la chaîne cryptée. Via sa nouvelle boite de prod’, Together Media, il produit aujourd’hui deux émissions politiques sur France 5. Il est épaulé par Guillaume Lacroix, un « pro du digital » qui a créé le Studio Bagel, chaîne d’humour rachetée par Canal en 2014. Ils sont épaulés par Laurent Lucas, l’ancien rédac chef adjoint du Petit Journal qui a démissionné de Bangumi pour rejoindre Le Van Kim.
Mais surtout, au capital de Together Media, on retrouve Luc Besson, le producteur star du ciné français. Les bureaux de Brut sont même dans les locaux de la Cité du Cinéma, les énormes studios installés à Saint-Denis par le producteur des films Taxi. Rémy en rigole :
« On croise pas mal de stars du coup, c’est sympa ! ».
Il a commencé en filmant Nuit Debout place de la République. /
L’autre média de la nouvelle génération
Ils réalisent leur premier gros coup le 14 décembre dernier quand ils présentent en exclu les bureaux de campagne de Manuel Valls. En prime, une interview du candidat en live sur Facebook cette fois. Derrière la cam’, Rémy encore :
« C’était un moment vraiment intéressant. Il y a quelques mois encore, je m’imaginais pas être dans ce rôle d’intervieweur politique ! »
Et ça a buzzé, 17 000 personnes ont maté le live. Sur Facebook, Brut totalise près de 30.000 fans et plusieurs millions de vues sur leurs vidéos. Assez pour que le boss, Renaud Le Van Kim, s’en félicite :
« On a eu un super retour de la part du public, on cherche à attirer une génération nouvelle de consommateurs d’infos qui ne se retrouvent pas forcément dans une certaine presse. »
Il poursuit :
« L’idée de Brut est purement égoïste : j’observe depuis longtemps mes gamins qui ne s’informent que via les réseaux sociaux. Ca a germé dans mon esprit et ne m’a pas quitté. »
Dans l’avenir, Renaud Le Van Kim espère publier 15 vidéos par jours sur la plateforme Brut. Rémy n’a pas fini de se balader avec son téléphone. Il sourit :
« C’est pas encore un aboutissement mais une continuité. »
Cet article est en accès libre, pour toutes et tous.
Mais sans les dons de ses lecteurs, StreetPress devra s’arrêter.
Je fais un don à partir de 1€Si vous voulez que StreetPress soit encore là l’an prochain, nous avons besoin de votre soutien.
Nous avons, en presque 15 ans, démontré notre utilité. StreetPress se bat pour construire un monde un peu plus juste. Nos articles ont de l’impact. Vous êtes des centaines de milliers à suivre chaque mois notre travail et à partager nos valeurs.
Aujourd’hui nous avons vraiment besoin de vous. Si vous n’êtes pas 6.000 à nous faire un don mensuel ou annuel, nous ne pourrons pas continuer.
Chaque don à partir de 1€ donne droit à une réduction fiscale de 66%. Vous pouvez stopper votre don à tout moment.
Je donne
NE MANQUEZ RIEN DE STREETPRESS,
ABONNEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER