Créer de la croissance économique : c’est l’objectif suprême des programmes politiques actuels. Même si certains, comme Benoît Hamon, commencent à questionner ce « mythe de la croissance », le politicien décroissant n’existe pas. Et pourtant, il y a urgence à refermer la parenthèse de notre société de croissance.
Il faut réduire notre empreinte écologique
Le terme « décroissance » date du milieu des années 1990, avec la traduction par Jacques Grinevald du livre de l’économiste d’origine roumaine Nicholas Georgescu-Roegen, Demain la décroissance. Derrière ce « mot-obus », il y a l’idée que nous devons impérativement repasser sous un plafond de soutenabilité écologique. Aujourd’hui, nous avons presque tous conscience que notre mode de vie est insoutenable, tant en termes de prélèvements sur les ressources naturelles, qu’en termes d’impact sur les écosystèmes et la biodiversité, et surtout en termes de production de déchets (des déchets électroniques aux gaz à effet de serre en passant par les déchets nucléaires).
Bref, il nous faut réduire notre empreinte écologique, et cela passe nécessairement par une décroissance économique. Être décroissant, c’est simplement le reconnaître. Bien sûr, certains misent encore sur la croissance pour apporter des réponses aux problèmes écologiques inédits auxquels nous sommes confrontés. C’est ce que l’on appelle la « croissance verte » : un peu de croissance pollue, mais beaucoup de croissance dépolluerait… C’est un peu la blague de l’ambulancier qui renverserait quelqu’un et s’exclamerait « heureusement que j’étais là » : la croissance n’est pas la solution, c’est plutôt le cœur du problème.
La croissance infinie n’est ni possible, ni souhaitable
La croissance verte n’est qu’une illusion, car une croissance durable, infinie, n’est vraisemblablement pas possible dans un monde aux ressources finies… Mais quand bien même elle serait possible, il faudrait aussi se demander si une telle croissance serait souhaitable. Si nous disposions de deux ou trois planètes supplémentaires à pourrir, polluer, surexploiter, ravager, faudrait-il continuer à le faire au nom de la croissance ? Sans doute pas.
C’est pourquoi la décroissance est aussi une critique radicale de la croissance économique. Il faut contester la pertinence de la croissance économique comme objectif politique dans une société comme la nôtre, une société d’abondance. L’économiste Thomas Piketty a démontré dans Le Capital du XXIe siècle que notre société de croissance n’était pas un état normal de l’économie, mais une exception anthropologique dans le temps et l’espace.
« Le vrai problème c’est que nous avons oublié de nous demander ce que “suffisamment” veut dire. »
Baptiste Mylondo, économiste
Mais dès 1930 John Maynard Keynes le disait, avec un court essai intitulé Perspectives économiques pour nos petits-enfants. Dans ce texte, il expliquait notamment que la génération de ses petits-enfants aurait vraisemblablement vaincu la rareté, résolu le problème économique de l’abondance. Bref, il était convaincu qu’à l’orée du XXIe siècle, nous produirions suffisamment pour répondre aux besoins de tous. Le vrai problème, c’est que nous avons oublié de nous demander ce que « suffisamment » veut dire. Alors on se contente de vouloir toujours plus, et donc toujours plus de croissance.
Détruisons des emplois
Mais finalement, à quoi nous sert cette croissance aujourd’hui ? Politiquement, on peut lui trouver plusieurs justifications : elle permet de créer des emplois, de lutter contre la pauvreté et les inégalités, de booster l’innovation, de rembourser la dette, etc. Je ne peux pas tout traiter ici, mais clairement ça n’a pas de sens.
Pourquoi vouloir créer des emplois ? Sommes-nous tous si heureux d’aller au boulot chaque matin, 5 jours sur 7 ? Comment en sommes-nous arrivés à faire de l’emploi le produit final de notre activité économique ? C’est absurde ! Détruisons des emplois au contraire. Libérons du temps dans notre société pour bosser un peu moins et vivre un peu plus. Et nous n’avons certainement pas besoin de croissance pour ça. Même chose pour les inégalités et la pauvreté : la croissance n’est pas nécessaire pour les réduire, il faut juste apprendre à partager. En clair, il ne faut pas faire grossir le gâteau, il faut le découper différemment, et sans doute changer sa recette.
Le coût du confort matériel est énorme
Au final, la promesse de la société de croissance, c’est de travailler beaucoup, pour pouvoir consommer beaucoup, pour pouvoir continuer à produire beaucoup, pour consommer encore, pour créer de l’emploi, et à l’infini, mais est-ce cette vie et cette société que nous voulons ? Bien sûr il y a l’opulence, le confort matériel, mais à quel prix ? Nous devrions de temps en temps nous poser cette question simple : quel degré d’exploitation, d’aliénation, d’asservissement, d’avilissement et finalement de bêtise sommes-nous prêts à accepter, individuellement et collectivement, au nom de la croissance, au nom de notre confort matériel ?
« La promesse de la société de croissance, c’est de travailler beaucoup, pour pouvoir consommer beaucoup, pour pouvoir continuer à produire beaucoup…et à l’infini. »
Baptiste Mylondo, économiste
Prenons juste un exemple. Nous venons de connaître plusieurs épisodes de pollution aux particules fines dans les grandes agglomérations françaises, et notre seule réponse a été la circulation alternée ! Pire, on se félicite dans la foulée d’avoir atteint un nouveau record d’immatriculations en France en 2016, et l’industrie automobile se frotte les mains ! Elle a raison, 2017 sera peut-être une meilleure année encore. Avec un peu de chance, la multiplication des mesures de circulation alternée poussera les ménages français à avoir deux voitures (une pour les jours pairs et une pour les jours impairs). Ca relancera l’économie, la croissance, ça créera des emplois, et nous pourrons être encore plus heureux chaque matin, à patienter dans les embouteillages, dans nos voitures dernier cri, en allant au boulot ! Elle est pas belle la vie ?
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