Le 20 avril 2016, Thomas Parent aka. DJ Pone fête son 38e anniversaire au festival Chorus à La Défense. Ce soir-là, il est aux platines, juste avant The Pharcyde, le mythique groupe de Los Angeles. Il est 23h quand il lance à la foule :
« Ce soir c’est mon anniversaire. Et je vais vous faire un cadeau. »
Sur scène, Koma et Haroun de la Scred Connexion déboulent, suivis d’Orelsan, Nekfeu puis Nikus Pokus des Svinkels et Triptik. « J’ai fait venir quasiment tous les gens avec qui j’ai bossé pour un morceau », raconte-t-il avec gourmandise quand on le rencontre le 14 novembre 2016 dans l’un des salons feutrés du Pigalle Hôtel, au pied de la butte Montmartre. La foule n’en revient pas. Le bonhomme, lui, est fier de son coup.
Pone a un sacré carnet d’adresse. Champion de France, d’Europe et du monde de DMC, il a côtoyé les plus grands du rap, de la Scred Connexion à la Mafia k’1 Fry. Alors que son premier album solo, Radiant, est dans les bacs depuis moins d’un mois, le producteur parisien entre-ouvre la malle à souvenirs :
« Je pourrais écrire un bouquin tellement j’en ai des anecdotes. »
Screaming DJ Hawkins / Crédits : Michela Cuccagna
Tu as grandi à Meaux. C’était comment l’ambiance à l’époque ?
La grande force de cette ville, c’est le nombre de gens différents qui se côtoyaient et qui étaient potes. Tu avais d’un côté un groupe de [punk] hardcore comme Heb Frueman. Mais aussi des graffeurs qui eux venaient plus d’une culture Rockabilly, redskins.
C’est dans cet environnement que j’ai grandi et que je découvre la musique. Le hip-hop d’un côté et le punk de l’autre. Les Beastie Boys et les Bérus.
C’est aussi à cette époque que tu commences le graffiti…
J’ai commencé à taguer assez jeune. Je devais avoir 11 ans. J’ai beaucoup pratiqué mais je n’étais pas très bon ! Pour moi le graffiti, c’est surtout un prétexte pour être avec les copains.
Quand je pense à cette période, je me souviens surtout d’une histoire. Je devais avoir 20 piges. Avec pas mal de mecs de mon crew, les MB, on part peindre un train abandonné à deux pas d’un dépôt. On y va super décontractés, un peu bourrés. Un des mecs se la joue à la Subway Art et monte sur le toit du train. Il se met à courir. On se fait repérer : des dizaines de keufs fondent sur nous. On était complètement encerclés. Je me suis caché dans un buisson toute la nuit. Le lendemain, j’ai passé un coup de fil à un pote qui est venu me chercher en bagnole. Je m’en suis sorti in extremis.
Pone avec Qbert et Mix Master Mike / Mad Boys / Epoque béret / Crédits : DJ Pone
A quel âge as-tu commencé à scratcher ?
En 1994. A l’époque, je scratche beaucoup après l’école mais je n’ai pas spécialement envie de faire de la zik. Je ne sais pas trop ce que je fous, je fais des scratchs et ça m’amuse. Je vois que je me démerde pas trop mal.
Clip Pone et Cut Killer sur Nova, à l’ancienne
C’est en 1995 que mon pote Damage [un DJ de Meaux qui animait une célèbre émission de radio, ndlr] me met vraiment le pied à l’étrier. Il m’emmène au championnat du monde de DMC à Londres. C’est là que je rencontre Qbert et Mix Master Mike qui n’est pas encore le DJ des Beastie Boys. C’était des dieux vivants pour moi, les dieux du scratch. Ils étaient hors-norme, ils faisaient des trucs que personne ne savait faire. En 1996, Damage me propose de faire les championnats de France. Je n’ai que 18 ans. On finit 2e par équipe. C’est à partir de ce moment que je rentre vraiment dans le délire des compét’…
Quel regard tu portes sur toutes ces années de compétitions ?
C’est un bon souvenir mais ce n’est pas quelque chose que j’ai bien vécu sur le moment. Les compétitions, pour moi, c’était beaucoup de stress. A chaque fois que je suis arrivé en finale des championnats du monde, j’avais les mains qui tremblaient, j’étais trop tendu. Je n’ai jamais été à l’aise.
Clip Pone au championnat du monde en 1999
Je me souviens d’une compétition qui s’était vraiment mal passée. C’était en 2001. Je commence mon set et ma platine saute. Rien ne marche : je suis trop stressé et je foire tout. Au final je gagne et tout le monde me siffle. A l’époque, à chaque compétition, il y avait toute une équipe de mecs qui venaient m’insulter pour que je perde. Je monte sur scène, je prends le micro et je dis que c’est mon adversaire qui aurait dû gagner et pas moi.
Comment es-tu devenu le DJ de la Scred Connexion ?
Alors que j’enchaîne les compét’, je commence aussi à mixer à des soirées. Je me promène avec le Double H [le label de Cut Killer que Pone intègre, ndlr] et je participe à la compil Opération Freestyle qui rassemblait pas mal de rappeurs de l’époque.
De là, je pars en tournée avec toute l’équipe. C’était en 1998. Je rencontre les mecs du 113 qui avaient 20 piges comme moi. Fabe et Koma étaient aussi sur la tournée. Ils me proposent d’être leur DJ et de tourner avec eux.
OKLM, Pone a collaboré avec ce qui se fait de mieux dans le rap français / Crédits : Michela Cuccagna
Qu’est-ce que t’as répondu ?
J’ai dit oui, bien sûr ! J’étais encore un minot et je n’avais rien montré. Quand quelqu’un comme Fabe te propose de faire le DJ pour lui, tu ne peux pas dire non. Et puis j’adorais ce qu’ils faisaient. Partout où on jouait, on était super respectés. Haroun, Morad, Mokless et moi, on avait à peu près le même âge. On suivait Koma et Fabe, tout les deux des mecs assez impressionnants.
A l’époque je les suis partout. Je fais tous les concerts et j’anime une émission de radio avec Fabe sur Génération. Lui au micro, moi aux platines. Je suis même parti en Côte d’Ivoire avec Koma pour une émission de radio. La Scred c’était mon premier groupe. C’est là où j’ai tout appris mais j’en ai assez peu de souvenirs. On parle d’années où il n’y a pas de smartphones, pas d’internet. Il n’y a pas d’images de tout ça.
Comment tu passes de la Scred aux Svinkels que tu rejoins quelques années plus tard ?
Avec Cut Killer, on jouait un soir à Risoul dans les Alpes. On tombe sur Stéphanie Binet [journaliste au Monde, ndlr] qui à l’époque bossait pour Groove Magazine. Elle était accompagnée d’un photographe Florent Schmidt avec qui je délire bien. On picole ensemble. Au milieu de la conversation, le mec lâche : « Des potes à moi cherchent un DJ. Tu devrais les rencontrer. Ils s’appellent les Svinkels. Tu les connais ? Tu t’entendrais bien avec eux. »
Premier du scratch / Crédits : Michela Cuccagna
Non seulement je connaissais déjà les Svinkels mais j’étais déjà allé à un de leurs concerts. Quelques semaines plus tard, je vais au concert des Beastie Boys à l’Olympia et sur qui je tombe ? Nikus Pokus, l’un des rappeurs des Svinkels. Il me propose de passer chez lui à Strasbourg-Saint-Denis pour écouter Tapis Rouge [leur premier album, ndlr] qui n’était pas encore sorti. Gérard Baste était là. Rapidement, je décide de rejoindre le groupe et on commence à répéter.
C’était comment tourner avec les Svinkels ?
Clip DJ Pone envoie du gros avec les Svinkels
On se marrait bien. Sur scène, on était beaucoup moins alcoolisés que ce que les gens imaginaient. On répétait, le show était hyper carré. J’ai des souvenirs incroyables avec les Svinkels, comme ce concert à Lyon où pour la première fois les gens reprennent les paroles de nos chansons. Là, on s’est rendus compte que quelque chose était en train de se passer. J’ai aussi pris une de mes pires vestes avec les Svink’. On faisait la première partie de Matmatah et le public s’est mis à nous siffler. Entre eux et nous, je pense que les gens ont du mal à capter le lien !
Après les concerts, ça dérivait souvent. Niveau picole, tout le monde avait son petit level ! A un moment, c’est même devenu un problème récurrent. Les soucis d’alcool dans les Svinkels c’était marrant pour les gens mais c’était pas très marrant pour nous.
Comment se lance Birdy Nam Nam ?
En 2002, Need, Mike et Crazy deviennent champions du monde de DMC par équipe. Moi, je concourrais en individuel. On avait tous envie de lâcher les compétitions. Notre manager de l’époque, Faster Jay [membre d’Alliance Ethnik] nous dit : « faites un album ». On l’a pris au mot.
A l’époque, D-Styles et Qbert, deux célèbres DJ, commençaient à utiliser les platines comme instrument de musique. On avait envie de pousser cette idée au bout. L’album entier de Birdy Nam Nam est fait avec des vinyles. Tout a été lancé à la main. Je ne sais pas si t’imagines la performance… On travaillait beaucoup chez Crazy B à l’époque. On tapait dans son énorme collec’ de disques pour composer. C’était laborieux mais jouissif : on était comme des gamins dans un magasin de jouets.
Vous travailliez beaucoup ?
C’était un taf de ouf. Quand on avait les concerts, on répétait pendant des mois. La veille du concert, on continuait à répéter. Mais ça payait. Avec Birdy, il y a eu un moment où on avait peur de rien. On jouait après des gros artistes comme Lenny Kravitz ou Prodigy et on s’en foutait. C’était pas de la prétention, on savait juste que notre truc était calé et qu’on avait un son énorme.
Je me souviens particulièrement d’un live aux Eurockéennes de Belfort. On était sur la grande scène. Pendant le concert, je demande à la foule de sauter à mon signal. Et d’un coup je vois 30.000 personnes sauter. Ce sont des souvenirs que tu ne peux pas oublier.
C’était aussi ton premier succès international.
Ouais il y a eu une dimension internationale. On a fait 2 tournées aux USA et joué dans de gros festivals comme Coachella. Il y a eu un moment où on avait tellement enchaîné d’avions et tellement peu dormi que je ne savais même plus où j’étais.
En 2011, Skrillex nous signe sur son label OWSLA. Il avait fait un remix d’un de notre titre. Quand il nous fait écouter le remix, au bout d’un moment, on entend la voix d’A$AP Rocky. Il nous annonce qu’il a adoré l’instru et qu’il veut l’utiliser pour le titre,“Wild for the night”:https://www.youtube.com/watch?v=1eWdbMBYlH4 !
Pone et ses amis : Pedro Winter, Skrillex et DJ Medhi (photo trouvée sur Instagram) / Crédits : DJ Pone
Pourquoi tu as quitté Birdy Nam Nam ?
Je suis parti parce que je voulais tourner la page. Au bout d’un moment, je pense que je n’avais plus envie d’être limité au scratch. Ma dernière compèt c’était en 2002. Je ne suis pas qu’un scratcheur.
Après Birdy, je n’avais pas de plans de secours. J’étais vraiment à poil. J’ai sorti un EP sur Ed Banger et un projet avec José de Stuck in the Sound sous le nom de Sarh. C’est la première fois où je me suis montré tel que je suis artistiquement. Je suis quelqu’un de très mélancolique, j’aime la musique douce… Aujourd’hui en soirée, je ne joue que du rap, des trucs de mon époque. Je n’ai plus envie de mixer de l’électro.
Pone sentimental / Crédits : Michela Cuccagna
Qu’est-ce qu’on peut te souhaiter pour l’avenir ?
Vendre plus de disques ! (rires) Je vis très bien comme ça, mais je n’ai jamais placé le morceau où il faut pour faire boom.
Pone sera en concert à la Gaîté Lyrique le 14 décembre.
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