C’est un nouvel épisode dans la crise diplomatique qui oppose le ministre de l’Intérieur français, Gérald Darmanin, au président algérien Abdelmadjid Tebboune. Le sujet ? L’expulsion des milliers de sans-papiers algériens présents sur le sol français. Paris, qui en dénombrait 7.000 à l’automne dernier, en a fait l’un de ses objectifs et accuse Alger de son manque de coopération. Pour chaque expulsion, les préfectures doivent en effet contacter les autorités algériennes pour obtenir un laissez-passer nécessaire si la personne n’a plus de passeport. Une formalité administrative dont elles refusent souvent de s’acquitter, soutient le ministère de l’Intérieur.
Démenti de la part d’Alger : la France n’a jamais parlé de tant de citoyens à rapatrier. Et puis d’ailleurs, personne ne traîne des pieds de ce côté de la Méditerranée. « Darmanin a bâti un gros mensonge », avançait le président Tebboune dans une interview mi-octobre.
Pour faire pression, le locataire de la place Beauvau avait alors menacé de réduire de moitié les visas pour les citoyens algériens si le pays ne se montrait pas plus coopératif. Une sortie qui avait débouché sur une crise diplomatique maousse entre les deux pays.
Depuis cette passe d’armes, on ne peut pas dire que la situation s’est franchement améliorée. Dans un échange de mails, daté du 6 décembre 2021 que StreetPress et Mediapart ont pu se procurer, la direction générale des étrangers en France (DGEF), le service du ministère de l’Intérieur en charge du dossier, reconnaît que « les autorités centrales algériennes n’acceptent plus aucun retour forcé depuis la France ». Même ceux auxquels le pays avait consenti avant la crise diplomatique entre les deux capitales. « Ça avait déjà été le cas fin 2020 », avance maître Patrick Berdugo. Cet avocat spécialisé en droit des étrangers détaille : « Pendant deux mois, c’était fermé. Impossible d’expulser. »
StreetPress – Il est imposs… by Garnier
En 2021, 513 Algériens enfermés pour rien
Un son de cloche bien différent de la pose martiale du ministère de l’Intérieur en la matière qui demandait à l’automne plus de fermeté à ses préfets pour expulser à tout-va. « L’immigration est un sujet qui préoccupe nos concitoyens (…) un enjeu majeur pour la prochaine présidentielle », aurait-il déclaré, lors d’une réunion en octobre 2021.
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« Alger a donné instruction à son réseau consulaire en France de ne plus assurer aucune audition consulaire et de n’accorder aucune délivrance de laissez-passer consulaire pour les retours forcés », détaille la DGEF. Et gare aux petits malins de la place Beauvau qui voudraient quand même réserver un vol pour expulser en catimini, prévient le service :
« Les autorités algériennes faisant annuler par les compagnies aériennes les billets réservés par le voyagiste du ministère de l’Intérieur. »
Dès lors, une seule solution : Paris ne peut faire monter dans l’avion que les sans-papiers algériens… qui accepteraient de traverser la Méditerranée ou qui ont un passeport. Deux situations plutôt rares. « Depuis le 18 novembre 2021, il n’y a eu aucune expulsion de ressortissants algériens depuis l’un de nos centres de rétention », annonce la porte-parole de la Cimade, Justine Girard. En 2021, seuls 17 ressortissants algériens ont été éloignés depuis l’un des centres de rétention où intervient l’association. Sur 530 enfermés.
En 2020, la situation n’était pas vraiment différente. Covid oblige, sur 970 Algériens placés en centre de rétention, seuls quatre avaient été expulsés durant toute l’année, indique un rapport publié en juillet par les cinq associations qui interviennent en centre de rétention administrative (Cra). Les auteurs dénoncent un enfermement « sanction » pour ses retenus que les juges maintiennent bien souvent à l’ombre des mois durant.
Des juges libèrent
Face à ce mur diplomatique, le ministère fait pourtant comme si de rien n’était. « Les préfectures continuent à placer des Algériens en rétention, surtout des sortants de prison », remarque maître Berdugo. Et tant pis s’ils sont enfermés pour rien. Le 7 janvier 2022, la préfecture de Gironde a ainsi demandé la prolongation de l’enfermement d’un retenu algérien, dépourvu de passeport, d’après des documents que StreetPress a pu se procurer. Elle justifie cette requête… par l’impossibilité d’expulser l’intéressé pour le moment, faute d’avoir les documents idoines.
De leurs côtés, les juges de la liberté et de la détention (JLD), chargés d’examiner les demandes de libération des retenus, hésitent. Certains libèrent. À Bordeaux, le 5 janvier 2022, une hermine a considéré, dans un jugement que StreetPress a pu se procurer, que « les perspectives d’éloignement » d’un sans-papier algérien étaient « trop incertaines » pour le garder derrière les barbelés. « Inexistantes », avance même un magistrat à Rouen, dans un jugement rendu le 15 janvier 2022, qui évoque « un contexte de relations tendues entre la France et l’Algérie ».
À l’inverse, le 11 janvier 2022, la cour d’appel de Pau a argué du contraire. « Les Etats demeurent dans l’obligation de rapatrier leurs ressortissants au moyen de vols dédiés », écrit la présidente. Quoi de mieux en effet qu’un charter pour débloquer la situation.
Contacté, le ministère de l’Intérieur n’a pas souhaité réagir.
Image d’illustration de Yann Castanier, prise le 13 novembre 2017 au centre de rétention administrative du Mesnil-Amelot (77).
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