En ce moment

    20/12/2013

    Au programme, chou farci, hypocras, musique médiévale et concours de bière

    Ma nuit chez les barbares

    Par Pauline De Deus

    Sous les voûtes en pierre des chevaliers en côte de maille tentent de pécho la princesse, tandis que Gandalf trinque à l'hypocras avec un troubadour, sur fond de musique médiévale. Bienvenu à la soirée « Taverne ».

    J’ai enfilé un « tabar », je suis allée trinquer à la taverne avec les chevaliers, troubadours et autres paysans moyenâgeux aux « Caves de Saint Sabin ». Au programme, chou farci, hypocras, musique médiévale et « concours de bière dans l’autre salle ! » hurle un mec habillé en Gladiateur, une hache à la main. Des elfes, chevaliers et paysannes commencent à s’agglutiner derrière le bar des « Caves », pour voir celui qui réussira à siffler son verre en un minimum de temps. Dans la foule, des rires éclatent, chacun tape la discute à son voisin, rencontré quelques secondes auparavant. « C’est la Taverne, quoi ! », commente une habituée en robe de princesse sexy.

    20h C’est encore calme. A l’entrée, j’enfile un « tabar », sorte de longue tunique bleue et beige portée par les chevaliers en-dessous de leur armure, trop grand pour moi. Ce soir le dress-code Moyen-Âge est de rigueur dans la Taverne. Ceux qui n’auraient pas la garde robe adéquate peuvent louer un costume, pour 5 euros. Un peu plus loin, dissimulés par la pénombre, des types en cotte de mailles avalent goulûment leur canard et chou farci. Un brouhaha couvre le son de l’écran plat qui diffuse le film Le Hobbit.

    Bientôt, le seigneur des lieux fait son entrée. Veste cloutée beige, épée dans la ceinture, Thierry De Champollon, ancien antiquaire, a créé les « Caves » il y a une vingtaine d’années par « passion des objets anciens ». À l’origine le lieu, malgré sa déco médiévale, était uniquement loué à des organisateurs de soirées ou servait pour des concerts électro ou rock. Il y a 10 ans, Thierry fonde avec quelques amis « La Confrérie des Chevaliers de Saint-Sabin ». Au départ, ils n’organisent que des buffets façon Moyen-Âge mais au fil des années se greffe un groupe de musique médiévale, puis des danseurs. Le bouche à oreille se fait et progressivement les soirées « Taverne » deviennent le rendez-vous bimensuel des chevaliers du coin.

    A l’entrée, dans une petite pièce voûtée, Marc la quarantaine bien tassée présente quelques épées, sacs, protège-bras, et autres objets médiévaux de sa boutique, « Rêves d’Acier ». Le vendeur qui affirme venir à la Taverne « plutôt pour exposer que pour vendre » est présent depuis les débuts. Il a vu l’événement « pas mal changer » au fil du temps. « J’aurais envie de dire que le public est plus jeune qu’avant mais c’est peut-être juste moi qui ai vieilli ! Je pense que ceux qui étaient là ont des enfants aujourd’hui, ils n’ont donc plus le temps de sortir le jeudi soir… » Les nouvelles générations ont repris le flambeau : dans la salle, Morgane, 20 ans me raconte qu’elle venait « il y a quatre ou cinq ans » avec son père. Aujourd’hui c’est elle qui a rameuté trois copines pour l’occasion. Et sans papa cette fois !

    21h Attirée par les cris, j’arrive dans la première salle. Des dizaines de personnes encerclent Yohann. L’animateur épaules carrées, torse nu, crie les règles du jeu : « il faut lancer le maximum de cartes dans une casserole ». Rien d’exceptionnel, mais la foule est en délire. A voir l’ambiance, difficile de croire que la Taverne est passée à deux doigts de la fermeture. Pourtant en septembre dernier, Thierry a hésité :

    « Ça commençait à s’essouffler, la nouvelle génération avait moins la foi. Mais quand j’ai annoncé que ça allait se terminer les gens se sont remobilisés. »

    Il faut lancer le maximum de cartes dans une casserole

    C’est peut-être juste moi qui ai vieilli !

    Yohann, 21 ans, étudiant en école de commerce est client depuis ses 14 ans. « Je n’imaginais pas laisser disparaître ces événements. » Il rameute deux potes de « Taverne » : Charline, une costumière de 25 ans et Douchan, un ingénieur informaticien de 35 ans « puis musicien aussi un peu ». Tous les trois reprennent l’organisation logistique des soirées : choix du thème, pub… Thierry De Champollon, le boss, leur laisse trois mois pour donner un second souffle au concept. Ce soir l’échéance arrive à terme mais les trois acolytes ont bon espoir de continuer : « On a fait pas loin de 200 entrées alors que d’habitude c’est 150, max ! » affirme Charline.
    Assis sur un muret en pierre, dans une minuscule pièce au fond, les organisateurs m’expliquent la recette de leur succès :

    « On essaye de définir une thématique en lien avec un événement culturel comme ce soir, la sortie du film “la désolation de Smaug”. Le mois dernier c’était à l’occasion de l’ouverture du marché de Pontoise [salon de vente d’objets historiques, ndlr] », explique Douchan, tout en remettant ses long cheveux bruns en place.

    Leur objectif : faire revenir les anciens mais aussi attirer un nouveau public, « plus geek ». Pari réussi !

    22h Me voyant perdue au milieu de la pièce, une blonde incendiaire, une écharpe en fourrure autour du cou, vient à ma rencontre*. De son propre aveu c’est « complètement défoncée » qu’elle me raconte sa passion pour la Taverne : « Ça fait des années que je viens : tous les mois, je fais une heure et demi de route toute seule pour faire la fête ici. » Pour la minette de 25 ans, c’est l’occasion de retrouver ses potes de soirée. « Trois quarts des fêtards sont des habitués. Par contre en dehors de la Taverne on n’a pas du tout de contact ». Après dix minutes d’intense conversation, elle décide de me lâcher pour retourner vers un groupe de mecs.

    De nouveau paumée dans la foule et légèrement écœurée par l’odeur de vin chaud qui émane du bar, je me dirige dans la grande salle. « La Carité de Guingamor » met l’ambiance à l’aide d’instruments médiévaux impossibles à identifier par une novice comme moi. Sur la piste, les danseurs confirmés apprennent les pas aux nouvelles recrues. A peine le temps de me retourner que je me suis déjà fait embarquer pour une danse de couple. Le mec à l’air sympa, j’en profite. Pour une fois que je ne me fais pas inviter par un gros lourd ! « La drague ici c’est très particulier » m’explique Charline un peu plus tard dans la soirée. « Les gens se lâchent à travers un rôle. Le barbare fait le gros dur, le chevalier l’amoureux courtois… »

    On a fait pas loin de 200 entrées alors que d’habitude c’est 150, max !

    La drague ici c’est très particulier…

    23h Dans la salle de danse débute le défilé des costumes. Un brin bordéliques, les clubbers déambulent un peu au hasard sous les hourras de la foule. Sans grande surprise, le sosie de Gandalf – le magicien du Seigneur des anneaux – remporte les honneurs sous une foule d’applaudissements et de cris. L’ambiance est chaleureuse, tout le monde semble s’amuser, moi la première.

    00h15 Après avoir passé plus de trente minutes à réunir les organisateurs* pour une photo de groupe je rejoins le XXIe siècle, sourire aux lèvres, non sans leur promettre de revenir pour la prochaine soirée.

    Cet article est en accès libre, pour toutes et tous.

    Mais sans les dons de ses lecteurs, StreetPress devra s’arrêter.

    Je fais un don à partir de 1€
    Sans vos dons, nous mourrons.

    Si vous voulez que StreetPress soit encore là l’an prochain, nous avons besoin de votre soutien.

    Nous avons, en presque 15 ans, démontré notre utilité. StreetPress se bat pour construire un monde un peu plus juste. Nos articles ont de l’impact. Vous êtes des centaines de milliers à suivre chaque mois notre travail et à partager nos valeurs.

    Aujourd’hui nous avons vraiment besoin de vous. Si vous n’êtes pas 6.000 à nous faire un don mensuel ou annuel, nous ne pourrons pas continuer.

    Chaque don à partir de 1€ donne droit à une réduction fiscale de 66%. Vous pouvez stopper votre don à tout moment.

    Je donne

    NE MANQUEZ RIEN DE STREETPRESS,
    ABONNEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER