Métro Belleville, ligne 2, 8h15. Assis sur un strapontin, David lit tranquillement son exemplaire de 20minutes. Pantalon beige, chemise et belles chaussures cirées, ce trentenaire est à peine réveillé en ce vendredi matin d’été. Soudain, une voix féminine qui porte, le sort de sa routine. L’espace d’un instant, il s’attend à un nouveau mendiant ou à un musicien du métro. « La musique, ça fait mal au crâne le matin ». Mais le ton est joyeux, la saynète présentée bien répétée.
Happening « Bonjour, nous sommes les Effronté-e-s. Nous faisons un petit sondage matinal. Savez-vous quelle est la différence de salaire entre les hommes et les femmes ? », demande une charmante jeune femme métisse, en veste de tailleur. « 2% ? », essaie une autre jeune femme. « 10% ? », tente un jeune homme. « Eh bien non. Aujourd’hui en France, l’écart est toujours de 27%. Vous l’avez vu, une réforme des retraites se prépare. Savez-vous quel est l’écart entre les pensions de retraites des hommes et des femmes ? », poursuit la première. « 5% ? », tente à nouveau sa complice. « Non, il est toujours de 38%. Alors pour combattre ces inégalités, je vais vous distribuer un « phallu-CV », à donner à la femme précaire de votre choix pour booster sa carrière ». « Le phallu-CV », une feuille jaune fluo décorée d’une forme de bite, rappelle les inégalités de carrières. « On s’est déjà fait arrêter par des agents de sécurité. Ils nous ont simplement commandé de sortir », se souvient Antonin. Car distribuer des tracts – en forme de sexe ou pas – est un geste interdit dans le métro.
Une feuille jaune fluo décorée d’une forme de bite, rappelle les inégalités de carrières.
iPhone Le trio continue sa marche dans la rame distribuant les feuilles aux usagers. Beaucoup de badauds tendent la main. Certains refusent poliment. Une fois le métro parcouru, on le reprend en sens inverse. Certains Parisiens se prêtent au jeu. Là, une jeune femme devine les 27% d’inégalités de salaire. Plus loin, un quadra s’étonne que la différence entre les pensions de retraite ne soit pas plus forte.
L’ennemi principal ? Les écouteurs qui empêchent les voyageurs d’entendre le discours. A Colonel Fabien, Franck, planqué derrière ses écouteurs, râle :
« Je ne sais pas si les gens ont vraiment la tête à ça le matin. Puis, pour moi, y a pas tant d’inégalités ».
Pour Hervé qui a pris le métro à Jaurès, « nous faire rire comme ça est un bon moyen de nous convaincre. Mais ce n’est pas uniquement les inégalités de sexe qu’il faut combattre, c’est l’establishment qu’il faut renverser ». En voilà un dans la poche.
Street-militantisme Fatima, Séverine et Antonin sont trois membres de l’association féministe les Effronté-e-s. Ce mouvement a été monté en juin 2012 par Fatima, ancienne militante d’Osez le féminisme ! « J’en avais marre du mode de fonctionnement d’OLF atteint d’une réunionite aiguë. Je voulais militer de manière plus active ». La criée dans le métro fait partie de ces moyens actions urbains moins traditionnels. Une référence au crieur qui vendait le journal dans la rue et une manière de pousser les militantes à s’exprimer. « On sait que les femmes ont plus de mal à prendre la parole en public, cette pratique les force à vaincre leur timidité », continue Fatima. Quelque chose d’un hommage à Mélenchon pour Fatima, par ailleurs militante au Front de gauche :
« Il raconte qu’en 68, on l’avait mis en avant parce que sa voix portait plus fort. »
ce n’est pas uniquement les inégalités de sexe qu’il faut combattre, c’est l’establishment qu’il faut renverser
Ils n’en sont pas à leur première criée : le 8 mars ils ont hurlé pour l’égalité hommes-femmes ; lors du débat sur le mariage pour tous, ils ont gueulé dans les quartiers populaires pour défendre les droits des LGBT. Et la technique est maîtrisée. « Pour distribuer les phallu-CV à côté des enfants, on les tourne dans l’autre sens », précise Séverine. C’est aussi une ancienne militante d’OLF, presque des premiers jours. « Mais j’ai démissionné, je trouvais que leurs modes de pensée étaient assez rigides. J’avais envie d’être au contact des gens ». Une ambition qu’elle a réalisée au sein des Effronté-e-s en devenant « porteuse de parole ». Il y a quelques mois, Séverine a installé un fil à linge dans le quartier de la Goutte d’or, interpellé les habitants sur les femmes et la pauvreté. Les passants ont rédigé des revendications inspirées sur des morceaux de papier, avant de les accrocher sur le fil armés de pinces à linges. Un peu barré mais efficace.
Machos Retour sur la ligne 2 du métro, une heure après. La voix légèrement éraillée, les militants arrivent à court de tracts. Ils entament leurs dernières saynètes, avant de se décider à rebrousser chemin. Près de la station Anvers, un jeune homme à la chemise soigneusement repassée ricane :
« Faut dire que, si c’est comme ça qu’elles travaillent, elles ne peuvent pas espérer être mieux payées ! »
D’une voix moqueuse, il s’adresse à son groupe d’amis : « puis les femmes ont des avantages aussi. Quand elles sont enceintes, elles sont payées à rien faire par exemple… » Comme quoi, le message ne passe pas tout le temps.
« Pour distribuer les phallu-CV à côté des enfants, on les tourne dans l’autre sens »
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