« Non, je ne vous répondrai pas ! De toute façon, nous ne voulons pas qu’il y ait d’article sur les Cannabis Social Club en ce moment. » Aie ! Dominique Broc, le fondateur des Cannabis Social Club, l’a mauvaise quand StreetPress fait sonner son téléphone. Tendu, le chef de file des autos-producteurs de marijuana ? C’est que sa fédération de Cannabis Social Club – qui ambitionnait de réunir les auto-producteurs de marijuana en associations – n’est pas au mieux en ce moment. Avec seulement 6 clubs déclarés en préfecture contre une vingtaine d’annoncés, le mouvement peine à se développer. Pire encore, le mois de juin pourrait lui être fatal puisque les tribunaux vont rendre leur verdict quant à la légalité des quelques associations existantes. Un risque : la dissolution. Si elle avait lieu, elle pourrait déjà enterrer le mouvement de désobéissance civile, 6 mois à peine après sa création.
Désobéissance civile
C’était l’un des « buzz » du début de l’année 2013 : les Cannabis Social Club arrivaient en France. Sous l’impulsion de son fondateur Dominique Broc, le mouvement ambitionnait de faire sortir de l’ombre les petits cultivateurs de ganja. La stratégie : se déclarer officiellement en préfecture en « association 1901 » avec quelques amis fumeurs et prendre le nom de « Cannabis Social Club. »
Dominique Broc estimant à plus « de 4.000 » le réservoir « d’associations de fait », où des amis partagent une petite production de marijuana, un mouvement de désobéissance civile d’ampleur pouvait naître en France. Et le militant de tabler sur des centaines de dépôts en préfecture qui montreraient l’absurdité de la législation en vigueur et rouvriraient le débat sur la prohibition de la marie-jeanne. En décembre, il affirmait à StreetPress :
« Si nous sommes fédérés et qu’un maximum de groupes de cultivateurs joue la transparence en montrant ce qu’ils produisent, les tribunaux ne pourront pas absorber toutes les plaintes. »
Patatra
Oui mais voilà, deux mois après la date du 25 mars, qui devait lancer la campagne de coming-out des Cannabis Social Club, c’est le bad trip : ils ne sont que 6 clubs à avoir déposé des statuts en préfecture. Un chiffre qui fait tâche puisque Dominique Broc répétait inlassablement dans la presse que 15 à 20 Cannabis Social Club s’étaient déclarés le 25 mars 2013 en association loi 1901. L’échec est dur à encaisser pour le militant qui a payé de sa personne en étant condamné par un tribunal pour son activisme, et aujourd’hui il fait l’autruche :
« Il y a 10 Cannabis Social Club déposés en préfecture ! Il ne faut pas dire n’importe quoi ! A l’heure d’aujourd’hui, il y a 10 CSC parus au Journal Officiel ! »
Les registres du JO sont pourtant formels : seul 6 Cannabis Social Club existent en tant qu’associations. Aucune trace d’un Cannabis Social Club à la préfecture des Bouches-du-Rhône, de la Loire ou de Gironde, contrairement à ce qu’affirme Dominique Broc. En privé, un proche du mouvement regrette « qu’il y a bien eu une crise de croissance qui a été fatale » au mouvement.
Coquille vide
Mais que s’est-il passé ? Joint par StreetPress, le militant anti-prohibition Farid Ghéhiouèche et compagnon de route des Cannabis Social Club, explique que si peu de clubs ont été déclarés en préfecture (lui-même n’a d’ailleurs pas fait la démarche), c’est parce qu‘« un certain nombre d’entre nous ont été refroidis par l’intervention chez Dominique. »
Le 21 février 2013 au petit matin, une perquisition avait en effet lieu dans le nid douillet du boss des Cannabis Social Club. Résultat des courses : 126 plants et 2.000 euros de matériel confisqués. Dominique Broc sera condamné ultérieurement à 8 mois de prison avec sursis et 2.000 euros d’amende.
Plus probable : que la fédération des Cannabis Social Club ait toujours été une coquille vide malgré « les chiffres stratosphériques [de 425 clubs] annoncés par Broc », critique Laurent Appel. Ce cadre de l’association Asud, spécialisée dans la politique de réduction des risques, n’a « jamais cru » qu’un mouvement de désobéissance civile pouvait naître parmi les usagers de cannabis :
« Pourquoi s’afficher ? Il ne faut pas se leurrer : en vivant cachés, les consommateurs ont déjà très peu de chances de faire attraper. Les cultivateurs, eux, ont trop peur de se faire braquer. Et les gens qui vivent du deal n’y ont aucun intérêt. »
Un constat que partage aujourd’hui Farid Ghéhiouèche qui tire un bilan de l’expérience : « les “associations de fait” ne sont pas dans une démarche de désobéissance civile. »
Coqueluche
Si le sentiment d’échec de la campagne des Cannabis Social Club est fort, c’est aussi parce qu’inversement à son nombre d’adhérents, le battage médiatique autour du mouvement a été maousse. Entre les mois de février et avril, presque toutes les chaînes de télévision, de radio et les journaux, ont parlé de Dominique Broc. Le Cannabis Social Club se payant même le luxe de faire la Une de Libération qui annonçait dans l’allégresse que le mouvement fantôme comptait 425 clubs. Une surmédiatisation pour un mouvement artificiel qui fait grincer des dents jusqu’à certains partisans de la dépénalisation. Et Laurent Appel de tacler Broc, « un bon client » qui « a fait visiter le zoo à des journalistes qui n’avaient pas vu de plantes depuis longtemps » :
« Ca se rapproche plus du quart d’heure warholien que de l’acte politique. »
D’autres, comme l’avocat de la cause cannabitique, le sexagénaire Francis Caballero, sont un peu échaudés par le succès médiatique des « amateurs » du Cannabis Social Club :
« Moi, dans mes affaires, j’en fais autant ! Quand je défends des planteurs, je suis aussi subversif qu’eux ! Je pose des QPC [questions prioritaires de constitutionnalité, ndlr] ! Ma défense à moi est aussi maline que ce qu’ils font ! »
Succès médiatique
Pourtant, s’il y a bien quelque chose à retenir du mouvement, c’est son impact médiatique. Car pendant quelques mois, il a replacé la question de la dépénalisation de la marijuana dans l’agenda médiatique. On a même vu Dominique Broc parler bédo avec Nicolas Domenach sur Canal +. Surtout, il a popularisé le modèle espagnol où les consommateurs, réunis en « clubs », mutualisent leur production de marijuana afin de ne plus avoir à passer par des circuits commerciaux. Un moyen qui, en théorie, permet de fumer plus sain et de s’affranchir des dealers, et qui est largement soutenu par les spécialistes de prévention de risques.
Reste à savoir si dans quelques mois, les Cannabis Social Club ne seront pas plus qu’un souvenir vaseux. Aux mois de juin et juillet, les tribunaux rendront leur verdict sur la légalité de ces associations. Pour Me Françis Caballero, la dissolution ne fait aucun doute, puisque « leurs statuts sont affligeants ». L’avocat spécialisé ne croit pas non plus que le mouvement puisse renaître ou se pourvoir en cassation, car chaque procédure coûte cher. Joint par StreetPress, l’avocat du CSC, Philippe Baron estime ainsi à 3.000 euros ses honoraires pour s’occuper des affaires de l’association tourangelle.
La dissolution, c’est en fait ce qu’il pourrait arriver de mieux aux Cannabis Social Club : « Comme ça, ils auront un aura de victimes et une bonne raison pour ne pas faire fonctionner le mouvement », analyse Laurent Appel.
bqhidden. « Leurs statuts sont affligeants »
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