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    30/04/2010

    65 ans après le suicide de Hitler, que reste-t-il des nazis ?

    Jean-Yves Camus, politologue : « le nazisme c'est fini et la plupart des néonazis sont des clowns »

    Par Johan Weisz

    Sur StreetPress, le politologue Jean-Yves Camus analyse la dimension esthétique du nazisme. L'imagerie nazie continue à fasciner des groupuscules, « des néonazis parodiques » pour le chercheur, qui juge qu'ils ne constituent plus une menace.

    C’était quoi un nazi ?

    Un nazi, en Allemagne et en Autriche, c’était un membre du parti national-socialiste. Il faut ajouter les membres des organisations paravents du parti qui ont pu exister ailleurs, comme dans les Sudètes.

    Combien y a-t-il eu de nazis ?

    On parle tout de même de millions de membres, plus de 5 millions en 1939. Mais le parti s’est toujours montré assez sélectif. Par des critères dits de moralité, également de par la difficulté pour des nazis convaincus de prouver leur germanité. On a des cas totalement aberrants de gens qui ont du demander des dérogations pour pouvoir s’engager dans la S.S.

    65 ans après le suicide de Hitler, il doit rester une poignée de nazis encore en vie. On peut en rencontrer à Paris ?

    Pour les quelques survivants qui restent à Paris, ça se passe par liens personnels. Uniquement.

    Même pas à un congrès du Front National ?

    Non ! Vous y trouverez peut-être d’anciens collaborateurs. Et encore, ils se font de plus en plus rares.

    En Amérique du Sud, alors ?

    Oui mais ce n’est pas la peine d’aller aussi loin Il suffit de vous rendre en Lettonie où 300 survivants de la SS lettonne ont encore défilé le 16 mars dernier dans les rues de Riga. Par ailleurs, il y a quelques amicales d’anciens qui se réunissent en Flandre, où il reste encore peut-être 100 ou 200 nazis.

    Jean-Yves Camus, la bio

    1958 Naissance à Paris
    1981 Diplômé de Sciences Po Paris
    1992 Premier livre, “Les Droites Nationales et Radicales en France, répertoire critique”, somme exhaustive sur le milieu, avec René Monzat.
    1998 Découvre Système of a down (SOAD) et par là-même une passion pour le hard rock indus, metal et black
    2006 Intègre l’Iris comme chercheur associé

    65 ans après, le mot « nazi » reste très chargé symboliquement…

    Derrière le mot nazi tel qu’on l’utilise aujourd’hui, il y a le prisme des atrocités liées à la seconde guerre mondiale. « Nazi » aujourd’hui, c’est un terme à la fois réducteur et démonisant qui sert à qualifier tout ce qu’on estime être le mal absolu. On voit le nazisme à l’aune de la Shoah. C’est clairement ça qui reste du nazisme.

    Sauf que…

    Sauf que la Shoah n’est pas un point du programme nazi. Après, il y a une controverse pour savoir si la Shoah est incluse dans Mein Kampf ou si elle naît d’une production de faits ultérieurs. C’est la controverse entre intentionnalistes et fonctionnalistes.
    Mais le nazisme, c’était avant tout au départ un ultra nationalisme qui intervient à une époque où l’Allemagne est humiliée et dépecée par le traité de Versailles. C’est un ultra nationalisme droitier qui s’adresse au peuple et qui insiste sur la dimension sociale de son programme.

    C’est un régime qui fascine déjà à l’époque

    La dimension esthétique du nazisme va fasciner un certain nombre des futurs collaborateurs. Brasillach est séduit par ce qu’il appelle « les cathédrales de lumière » des congrès de Nuremberg. Il est beaucoup plus séduit par l’aspect esthétique des grands messes auxquelles il assiste que par le programme nazi. Alphonse de Chateaubriand devient un thuriféraire du nazisme, parce qu’il y voit l’incarnation du vitalisme qu’il n’a jamais trouvé dans les doctrines de l’extrême droite française

    L’extrême droite française était pourtant vigoureuse dans les années 1930…

    Le nazisme c’est la primauté de l’action sur la réflexion. Et ça c’est une rupture importante à l’extrême droite. L’extrême droite française reste imprécatrice et n’est jamais au rendez-vous de l’histoire. Le 6 février 1934 est un coup d’Etat non abouti parce que et Maurras et La Rocque ne vont pas au bout…

    Alors que de l’autre côté du Rhin…

    …On a un modèle assez abouti de régime policier, qui repose sur la répression, mais pas uniquement. Une partie importante de la population bascule dans une espèce de transe et communie sur les mots d’ordre du régime nazi. Il n’y qu’à regarder les autodafés où la foule qui participe se fait l’auxiliaire du régime dans une sorte de transe communicative.
    Le fascisme italien n’a pas déchaîné le même phénomène. En Union soviétique, c’était l’appareil répressif qui emmenait au goulag, ça n’était pas la foule en délire qui prenait les opposants dans les immeubles. C’est complètement différent.


    “Une partie importante de la population allemande bascule dans une espèce de transe et communie sur les mots d’ordre du régime nazi”

    Le parti nazi en 5 dates

    1920 fondation du NSDAP
    1933 Le parti prend le pouvoir et devient parti unique
    1934 L’opposition à Hitler au sein du parti (notamment les SA) est liquidée
    1939 Le parti nazi compte 5,4 millions de membres, 8 millions en 1944
    1945 L’Allemagne perd la guerre, le parti nazi est déclaré organisation criminelle au procès de Nüremberg.

    Hormi cet apparat, est-ce qu’on peut dire que le nazisme est assez semblable aux autres régimes autoritaires des années 1930 ?

    Non. Le nazisme est beaucoup plus autoritaire. Le régime nazi met en œuvre, dès 1933, l’internement de ses opposants et des « asociaux ».

    Chose qu’on a vue aussi ailleurs, non ?

    Là encore, vous avez une organisation méthodique de la persécution qu’on ne retrouvera même pas chez les fascistes, qui restent plus artisanaux.

    Dans les manifestations des années 1990 contre le Front National, on crie « F comme fasciste, N comme Nazi »… Le Pen est un nazi ?

    Non. C’est un slogan que je n’ai jamais vocalisé et je l’ai dit à l’époque à mes amis de Ras l’Front . C’est un slogan facile, médiatique, mais ça ne rend pas compte de la chose.

    Pourquoi ?

    Parce que pour être national-socialiste, il faut avoir le culte de l’Etat, avoir à sa disposition une organisation qui est une milice de rue, qui va à la conquête du pouvoir par la violence de rue, ce qui quand même n’a jamais été le cas du Front National.

    Et « F comme fasciste » ?

    En se référant aux définitions canoniques du fascime, le FN n’est pas fasciste… Il faut par exemple noter la différence entre l’Etat minimum que prône le FN et l’Etat fasciste qui est globalisant, qui absorbe totalement l’individu dans la totalité de sa vie sociale. Et ça c’est pas le modèle du FN.


    “Le Pen n’est pas un nazi. C’est un slogan facile, médiatique, mais ça ne rend pas compte de la chose”

    On dit que Mein Kampf se vend bien en Inde. Est-ce que le nazisme, ça n’est pas fini ?

    Le nazisme, bien sûr que c’est fini. Certes, il porte toujours une charge énorme. Tout ce qui est le mal absolu devient rapidement nazi. Il y a une fascination, des phénomènes de mode. Il semblerait qu’en Inde on vende énormément Mein Kampf. Avant, c’était au Japon, en Chine aussi. Mein Kampf ne peut rien dire à un Japonais ! La notion de Lebensraum allemand pour un Japonais en l’an 2000, qu’est-ce que ça veut dire ?

    Il n’y a presque plus de nazis, mais il y a des néo-nazis !

    Oui mais les néo-nazis, on appelle ça souvent des « Hollywood Nazis »… autrement dit, des clowns ! C’est certainement aux Etats-Unis qu’il y a le plus de néonazis, car la loi le permet. Il y a encore eu une manifestation de néo-nazis à Los Angeles, il y a 10 jours. Vous avez aussi un mini Führer, Gary Lauck, à la tête du parti national socialiste, qui s’est fait pousser une mèche et une moustache à la Adolf. Il a visiblement de l’argent et arrose le monde entier de revues ou d’autocollants… mais ça n’est pas sérieux.

    Un mini fürher grimé comme Adolf Hitler en 2010, ça fait quand même froid dans le dos…

    Ca fait peur encore à certains antifascistes et c’est intéressant pour les journalistes de télévision… Quand Lauck mourra on apprendra quelques années après qu’il travaillait pour un service américain ou un service étranger quelconque.

    Les néonazis instrumentalisés par des services secrets, ça n’est pas qu’un mythe ?

    En France, le nombre d’indicateurs de police membres de la Fane était assez élevé. Maintenant qu’on a accès aux archives de la Stasi et des services de l’Est, notamment tchèques, on sait que le bloc de l’Est a manipulé le néonazisme de façon à faire croire que l’Occident était en proie aux vieux démons et qu’il y avait une parenthèse structurelle entre capitalisme et national-socialisme. On citera l’attentat au colis de cigares piégé contre le préfet du Bas-Rhin en 1957.

    En France, quels sont les groupes néonazis en activité ?

    Le dernier parti néonazi en France, c’est le PNFE dans les années 1990. Aujourd’hui, une partie de la mouvance skinhead. C’est tout.

    On peut les croiser où ?

    Soit aux abords du défilé du Front National du 1er mai. Soit le 9 mai, dans la manifestation qui commémore chaque année la mort en 1994 en marge d’une manifestation du Gud de Sébastien Deyzieu, un militant de 22 ans de l’Oeuvre Française.

    Il y a aussi les concerts de hard rock néo nazi…

    Alors, il ne faut pas tout mélanger. Le nazisme, ça choque. Si vous êtes en crise d’adolescence et que vous voulez affirmer votre désir de rompre avec les conventions bourgeoises, vous pouvez tenter un trip sataniste totalement parodique. Et vous écoutez du black metal. Et si vous écoutez du national socialist black metal (tapez nsbm= dans Google), là c’est le must. Mais avec les deux dernières lettres du groupe KISS en forme de S de SS ou Lemmy de Motörhead qui collectionne les symboles nazis, on est encore loin de là.

    Pourtant, un concert où la foule reprend en chœur des paroles antisémites ou néo-nazies…

    On est face à des néonazis parodiques ! C’est une imagerie. Pour comprendre des paroles de black metal, il faut s’accrocher. En plus, quand c’est chanté en norvégien…
    Les groupes de black métal nazis pressent leurs CD à 300, 500 ou 1.000 exemplaires.

    Donc ils ne sont pas dangereux ?

    Je n’irais évidemment pas avec ma kippa dans un concert de nsbm – et il y a eu des faits divers malheureux, mais ce ne sont pas des gens qui vont renverser la démocratie.


    “Les néo-nazis, on les appelle souvent des ‘Hollywood Nazis’… Ca n’est pas sérieux”

    Source: Johan Weisz | StreetPress
    Photo: Robin d’Angelo | StreetPress

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