Transe Les routes qui relient Lahore à Karachi traversent les états du Pendjab et du Sindh. Villes et villages sont truffés de sanctuaires et de tombeaux dédiés à des saints, des poètes, des âmes pieuses, des faiseurs de miracles…
En pénétrant dans l’un d’entre eux, on s’aperçoit vite que l’on est très loin du rigorisme prôné par les talibans. L’ambiance est sereine, apaisante. La ferveur est palpable. Les dévots viennent souvent en famille. Ils multiplient les marques de vénération aux saints : recueillement sur le drap de velours qui couvre son tombeau, torrents de larmes versées en hommage au grand homme, recueillement en silence mains jointes, regard baissé …
Ils se pressent des quatre coins du pays pour nouer un ruban ou un morceau de tissu à la porte d’un sanctuaire en faisant un vœu, ils dansent jusqu’à l’étourdissement afin d’éloigner le mauvais œil, d’expulser le djiin qui est en eux, ils s’abandonnent corps et âmes jusqu’à la transe aux rythmes endiablés et hypnotiques des dhôls (un tambour traditionnel à double face) en psalmodiant le nom d’un saint, en murmurant des incantations, en chantant des prières.
Démons A Sehwan dans l’enceinte du sanctuaire d’un saint illustre du 13ème siècle : Lala Shabaz Qalandar, je fais connaissance avec Iqbal. Lui, sa femme Shahzia, et leurs trois enfants ont fait le chemin depuis Quetta, la capitale du Baloutchistan, une région située au sud Est du pays. « Un mauvais génie prend parfois possession de ma femme, me confie-t-il, nous sommes venus pour implorer l’esprit de Lal Qalandar de nous en débarrasser ».
Le soir je retrouve Iqbal et sa femme dans la cour qui donne sur le sanctuaire où repose le Saint. Shahzia est en transe, elle secoue sa tête d’un côté puis de l’autre, ses bras levés au ciel. Je m’approche discrètement et obtiens de son mari la permission de la prendre en photo. Autour de moi hommes et femmes s’agitent, se débattent aux prises avec de mauvais démons.
Poètes pakistanais Les sanctuaires sont des lieux de retrouvailles, de socialisation mais aussi des refuges. Tous les jours de la nourriture y est distribuée gratuitement. Les enfants des rues y furètent dans l’espoir qu’un riche dévot les comblera en sucreries ou leur donnera quelques roupies. Dans celui de Bhit Shah où repose l’illustre poète soufi Shah Latif Abdullah, Malik, un jeune adolescent retient mon attention. Il semble bouleversé tandis qu’il se recueille sur la tombe.
Plus tard il me confie qu’il connaît plus d’une centaine de poèmes par cœur. Il en chantera trois. Il ne va plus à l’école mais a pris l’habitude de venir passer ses journées dans ce lieu. C’est de cette façon qu’il s’est initié à la poésie. « Plus tard, répète-t-il, moi aussi j’écrirai de la poésie… »
Soufisme VS Wahhabisme Les adeptes du soufisme sont issus de tous les milieux sociaux. Aspect mystique de l’Islam, le soufisme peut être vu comme une approche expérientielle de Dieu. Il s’oppose radicalement à l’approche doctrinale des fondamentalistes qui prônent une interprétation rigoriste de l’Islam sunnite. Il s’est établi sur le sous-continent indien au 12ème et au 13ème siècle. C’est à travers lui que l’Islam s’est propagé dans cette partie du monde.
Le soufisme recouvre un large éventail de croyances et de pratiques. Avant la partition aussi bien les musulmans, que les sikhs et les hindous se retrouvaient autour du tombeau d’un saint lors d’un festival. Aujourd’hui condamnés par les fondamentalistes, les soufis, leurs adeptes et leurs lieux de culte sont devenus les cibles des militants armés. Certains observateurs voient en lui une façon de lutter contre l’extrémisme religieux et la vague de wahhabisme qui sévit dans leur pays.
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Shahzia entre en transe
Malik ne va plus à l’école mais rêve de devenir poète
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