Tribunal de Paris, 19 février 2025 – À la barre, le major Lionel C. et le gardien de la paix Maxime C. se tiennent droit lorsque le tribunal annonce le délibéré. Alors affectés à la BRAV-M, les deux policiers avaient violenté Valentin, 27 ans, photographe, lors de la manifestation du 12 décembre 2020 contre la Loi Sécurité Globale. Le duo est condamné à six mois de prison avec sursis et l’interdiction de porter une arme sur la même période. À leur procès le 17 janvier, ils ont pourtant tout fait pour se déresponsabiliser. Leur défense a surtout mis en lumière toute la mécanique de brutalisation de la manifestation par les forces de l’ordre. Dans ces audiences, les violences policières, ce sont encore les policiers mis en cause qui en parlent le mieux.
Le 12 décembre 2020, quelque 5.000 personnes encadrées par près de 3.000 policiers manifestent à Paris, entre Châtelet et République, contre la proposition de loi qui visait, entre autres, à interdire la diffusion de l’image des forces de l’ordre (1). Pour un projet d’exposition, Valentin est venu avec une amie prendre des clichés du rassemblement et interviewer les manifestants. Sur le boulevard Sébastopol, à proximité d’une interpellation qu’il tente de prendre en photo, il est dépassé par une unité de la BRAV-M qui le piège au milieu du dispositif. Mais alors qu’il en sort et se place face à eux, l’un des policiers le gaze à bout portant. Valentin fuit, avant de se rendre compte qu’il a perdu son enregistreur audio et de revenir sur ses pas. Au moment où il se penche pour ramasser l’objet au sol, les policiers au casque de moto se jettent sur lui pour l’interpeller. L’un lui assène des coups de matraque téléscopique à la jambe, un autre lui aurait infligé plusieurs coups-de-poing au visage. Pour une plaie suturée au niveau du nez et de multiples ecchymoses sur le visage, deux jours d’ITT lui sont délivrés. Son appareil photo et l’objectif, valant plus de 2.000 euros, sont cassés.
Des fausses accusations
Valentin fait partie des 142 personnes interpellées ce jour-là. Mais le nombre sensationnel de garde à vue, communiqué tout au long de la journée par Gérald Darmanin, alors ministre de l’Intérieur, terminera en eau de boudin. 80% des manifestants ont depuis été relâchés sans poursuites. 26 d’entre eux ont déposé plainte pour « atteinte arbitraire à la liberté individuelle », huit autres, comme Valentin, pour « dénonciation calomnieuse » – des faits qui n’ont pas été poursuivis.
Car lors de sa garde à vue, les cinq policiers de la BRAV-M déposent plainte contre lui pour outrage et rébellion, l’accusant de leur avoir fait un doigt d’honneur, mais aussi d’avoir foncé sur eux « le visage en sang », ainsi que de détenir un « capteur d’ondes de radio de police » – qui est en réalité son enregistreur de son – et de ne pas être porteur en cette période de pandémie de masque sanitaire. Des plaintes presque « copiées-collées », relève son avocate Aïnoha Pascual, relisant des phrases entières, mot pour mot identiques d’une déposition à l’autre. Mais les accusations sont démenties par les images. Dès sa sortie, Valentin épluche des jours durant les réseaux sociaux et retrouve des vidéos de photo-reporters montrant son interpellation. Les images, qui selon les enquêteurs de l’IGPN « confirmait l’intégralité de ses propos et mettait à mal la version des cinq policiers », lui obtiennent la relaxe.
Quatre ans plus tard, le photographe connaît le dossier par cœur. Assis sur un des strapontins réservés aux parties civiles, son ordinateur sur les genoux, il relit ses notes, prêt à rebondir sur chaque inexactitude. Le jeune homme ne tient qu’à une chose, « rétablir les faits ». Il avait poussé pour obtenir, face aux dénégations des policiers, une confrontation avec ces derniers. Avant l’audience, il glisse à StreetPress :
« Je voulais leur dire dans les yeux : “Je dis la vérité, et vous le savez”. »
Coups préventifs et « impacter »
À la barre, Maxime C. reconnaît les coups de matraque. Lors de son audition, le gardien de la paix de 32 ans avait pourtant, comme ses collègues, déclaré n’avoir porté aucun coup. Il les justifie par la nécessité d’une interpellation rapide « pour sa sécurité et notre sécurité », essaye-t-il devant un tribunal dubitatif. Les coups sont infligés alors que Valentin « a un genou au sol et n’oppose aucune résistance », note l’IGPN. Lui maintient, d’une voix monotone, le visage peu expressif, que les coups étaient « proportionnés ». Pour l’agent de la BRAV, en contexte de maintien de l’ordre, l’attitude des personnes qu’il interpelle importe peu :
« On suppose qu’elles seront récalcitrantes. »
Lionel C., 50 ans, qui commandait la section, est accusé d’être le second policier au contact de Valentin lors de l’interpellation. Une cravate sous son pull bleu, des airs de cadre supérieur, on l’imagine mal dans l’uniforme de la BRAV-M. À la barre, en revanche, le gradé montre sa fermeté. Il assume d’avoir donné l’ordre d’interpellation :
« Les sommations ont été faites. Les gens qui restent, c’est en leur âme et conscience. »
Lorsque Valentin revient vers eux, c’était l’occasion à saisir : « D’habitude, ils ne reviennent pas », commente-t-il. Maxime C. continue : « C’est parce qu’il y avait la charge de l’autre côté. Sauf que nous, on chargeait en même temps ».
Ce jour-là, tout le long du boulevard, les compagnies d’intervention et les BRAV-M ont multiplié les charges violentes et les arrestations, d’un sens à l’autre, provoquant un grand nombre de blessés et l’indignation d’une vingtaine d’organisations. « Nous étions à la genèse du changement de la doctrine », explique Lionel C. Sur les ondes radio, ils avaient reçu l’ordre « impacter la nébuleuse ». Le gradé se reprend : « Impacter c’est… avoir de l’impact, de l’efficacité… », et continue :
« S’il faut aller au contact, on le fera. Il faut que ça détale. Si ça ne détale pas, on nous trouvera. Nous, on ne recule pas. »
Depuis, il a été décoré du rang de chevalier de la Légion d’honneur.
« On ne sait pas qui est auteur de quoi »
L’avocate des fonctionnaires tente de diluer les responsabilités. « Dans le cadre du maintien de l’ordre, on ne sait pas qui est auteur de quoi, c’est trop facile de dire : “C’est eux deux” », défend-elle, confirmant malgré elle l’impunité que permet cette stratégie d’« impact ». Dans l’action, Valentin ne sait pas lequel des policiers, tous casqués et cagoulés, l’a frappé au visage. Sur les vidéos, les corps des fonctionnaires cachent la tête du photographe. Surtout, deux autres policiers intervenant également dans l’interpellation – un CRS et un BRAV-M mais d’une autre unité – n’ont pas été identifiés par l’enquête, pas plus que les deux autres BRAV-M, de la même unité cette fois, qui l’ont gazé un peu plus tôt.
Valentin, lui, assure avoir été frappé par « un groupe solidaire ». Son avocate plaide d’ailleurs pour une « scène unique de violences » : lorsque les violences sont volontaires et simultanées, l’ensemble des auteurs peut être condamné sans nécessité d’attribuer chacun des coups portés. Lors du jugement, le tribunal ne s’est pas prononcé si la faute relevait d’une faute de service. Dans cette hypothèse, les dommages et intérêts seraient pris en charge par l’administration. Les policiers ont fait appel, ils sont toujours présumés innocents (2).
(1) La disposition a été censurée par le Conseil constitutionnel. Les policiers ne peuvent toujours pas s’opposer à l’enregistrement de leur image ou de son dans l’exercice de leur fonction, par un journaliste comme par un simple particulier, selon la circulaire du 23 décembre 2008 du ministère de l’Intérieur.
(2) Précision ajoutée le 20/02, à 10h55 après avoir appris que les agents avaient fait appel.
Illustration de Une d’illustration de Nnoman Cadoret, durant une des journées de mobilisations contre la réforme des retraites en 2023.