18 octobre, tribunal de Nanterre (92) – À 28 ans, Lucas Sztandarowski a déjà un passé pénal chargé. Il a été condamné en 2020 pour acquisition illégale d’armes et vient de l’être pour provocation et apologie du terrorisme. Il a également été impliqué dans l’affaire « WaffenKraft », le seul dossier de terrorisme d’extrême droite jugé devant une cour d’assises, avant d’être mis hors de cause. Mais face à la 16e chambre, il est cette fois le seul accusé dans une sordide affaire de menaces de mort et de torture envers un mineur.
Milieu juillet 2024, un jeune contacte le commissariat d’Épinay-sur-Seine et rapporte que des ados de 14 et 15 ans sont victimes de menaces violentes d’un homme, via un serveur dédié aux contenus ésotériques du réseau social Discord. Le groupe de jeunes fournit des captures d’écrans de discussions et les enquêteurs identifient sans mal Lucas Sztandarowski. Sur ce canal, ce dernier utilise le pseudo « Lucas de Saint-Juste », vante son passé « carcéral » et se présente comme « un terroriste ».
Le militant d’extrême droite est un ancien de l’Action française et a un temps dirigé le groupe Vengeance Patriote, comme l’avait raconté StreetPress en 2020. À l’époque, il se faisait déjà appeler « Maître De Saint-Juste », avait une entreprise juridique et chapeautait aussi sur Internet la « Bibliothèque dissidente ». Une librairie numérique qui vendait des manifestes de néonazis, comme celui de l’Américain James Mason où il appelle à des tueries de masses. Ou une traduction de l’ouvrage de Brenton Tarrant, responsable de la mort de 51 personnes lors d’un attentat à Christchurch en Nouvelle-Zélande.
Adulte, il intimide des personnes qu’il qualifie lui-même d’« enfants ». À l’un, il lance qu’il va le « retrouver avec des flingues braqués sur [sa] tempe ». Il continue :
« Je vais t’éclater ta gueule, tu vas jamais te relever. »
Expéditions chez trois mineurs
Dans une autre vidéo, il prédit à son interlocuteur qu’il va se retrouver avec sa « gueule en sang, éclatée sur le trottoir ». Pour l’un des « enfants », il écrit : « On le retrouve et on le déboîte. » Ou promet de « violer [sa] mère ». Il prévoit des « expéditions punitives » aux domiciles des jeunes et discute avec des membres de son serveur Discord des tortures variées qui pourraient leur être infligées.
L’exploitation de ses deux lignes téléphoniques ont démontré qu’il s’est bien rendu aux domiciles de deux filles et un garçon. Le bientôt trentenaire s’est même pris en vidéo devant leur maison et a ensuite posté ses bravades dans son canal. Sur place, il a parfois coupé l’eau, l’électricité, toujours collé des autocollants au nom de son serveur Discord sur la porte et glissé sa carte dans les boîtes aux lettres des parents de ses victimes. Il s’est même retrouvé face au père d’une jeune fille et a adapté son discours à la situation, donnant un faux nom et l’un de ses numéros de téléphone, et a glissé que son enfant était la cible d’un projet de viol par un des mineurs qu’il menaçait.
Il veut des « vierges de 15 ans »
Si le tribunal de Nanterre n’a été saisi que des menaces de mort envers un seul mineur, la procédure et les actes de Lucas Sztandarowski sont plus larges. Le groupe d’enfants qui alertent la police sur les menaces confie également que le militant d’extrême droite veut qu’on lui livre des « jeunes filles de 15 ans vierges ». Il a également approché l’une des jeunes ados du groupe visé et l’a embrassée.
Le tribunal évoque également une autre vidéo dans laquelle Lucas Sztandarowski, accompagné d’individus – qui n’ont pas été reconnus –, suit une jeune collégienne dans la rue. Il la traite notamment de « pute à nègre » et la force à « s’excuser » de l’avoir « bloqué ». Une autre manière pour le jeune homme de « rigoler » en « s’accaparant les codes de Discord qui sont très violents », comme l’a plaidé son avocat ? Le tribunal n’était pas saisi de cet aspect, sans que l’on comprenne pourquoi ce n’était pas inclus dans les poursuites. Les déclarations de Lucas Sztandarowski aux enquêteurs, et dont des passages ont été rapportés pendant l’audience, montrent surtout le comportement miséreux de l’ancien chef du groupe violent Vengeance Patriote, loin de l’image viriliste qu’il tente de diffuser sur Internet.
C’est la faute aux réseaux
Durant l’audience, Lucas Sztandarowski se montre manifestement incapable de prendre la mesure de ses actes, bien qu’il prétende reconnaître les faits. Il ne voit que des vidéos faites avec des amis « pour rigoler ». Ses menaces ne sont pour lui que des démarches normales vu le comportement supposé de ses victimes. De même, l’image du « terroriste » qui « a fait de la prison », qui « détient des armes » et peut mettre à son service une « armée » de complices de crime en prend un coup devant le tribunal. Lucas Sztandarowski, rasé, l’air juvénile, se victimise – et même se « survictimise » comme le relève l’expert psychiatre –, minimise son rôle pour tout, s’excuse longuement.
Il admet avoir un problème psychiatrique, plaide la faille « narcissique » qu’il comblerait avec un comportement irrationnel sur les réseaux sociaux et demande de lui-même un suivi psychiatrique. « Oui, je suis immature et rigide », explique-t-il en réponse à une question de son avocat. Il tente :
« Mes propos c’était pour faire le spectacle pour ma communauté. »
« Je ne pensais pas qu’en adoptant ces codes violents de Discord, cela aurait ces répercussions. Tout mon comportement est intolérable », concède-t-il. Bien qu’il existe une grande majorité de serveurs Discord où les échanges sont apaisés, Lucas Sztandarowski et son avocat préfèrent décrire au tribunal un monde d’une rare violence, non contrôlé. « Il a trouvé matière à nourrir son ego et sa position sociale avec la création de sa communauté ésotérique sur Discord », plaide son conseil. « Ça explique, sans excuser, ce passage à l’acte. Il y a une volonté de validation sociale, d’avoir à ses ordres une communauté. Les codes Discord sont extrêmement violents et il devait se les approprier ces codes, ce qui donne les faits qui lui sont reprochés. »
Un argumentaire qui n’a pas convaincu les magistrats, qui ont condamné le militant d’extrême droite à deux ans d’emprisonnement, dont six mois avec sursis. Le sursis de six mois pourrait être révoqué s’il ne se plie pas à une longue série de peines complémentaires : une obligation de soins psychiatriques et psychologiques, une obligation de travail et de formation, une inéligibilité pendant cinq ans, une suspension des comptes d’accès au service en ligne Discord avec interdiction de l’utiliser et d’en créer de nouveaux pendant six mois. À cela s’ajoute une interdiction de port et détention d’armes pendant cinq ans, une interdiction de contact avec la victime ainsi que ses parents pendant trois ans, une interdiction de paraître à leur domicile pendant trois ans, une interdiction définitive d’exercer une fonction publique et une inéligibilité pendant cinq ans.
À l’occasion de son passage devant le tribunal correctionnel de Nanterre, cette figure de l’extrême droite radicale a évoqué sa situation de bénéficiaire du revenu de solidarité active (RSA), pour conclure l’audience sur une demande de restitution de ses deux téléphones Vertu qui avaient été placés sous scellés. Quand on sait que le premier prix de ces téléphones peut atteindre les 2.900 dollars (2.680 euros), on peut se demander combien de mois de RSA il lui a fallu économiser pour s’en offrir deux. De même, un de ses soutiens présent dans la salle explique que Lucas Sztandarowski est un « gentil garçon », un ami prodigue qui lui a glissé un billet pour ses publications sur le Discord ésotérique alors qu’il ne demandait rien. En voilà un « assisté » – tels qu’ils sont dénoncés dans les discours de l’extrême droite – qui a de la ressource !
Cet article est en accès libre, pour toutes et tous.
Mais sans les dons de ses lecteurs, StreetPress devra s’arrêter.
Je fais un don à partir de 1€ 💪Si vous voulez que StreetPress soit encore là l’an prochain, nous avons besoin de votre soutien.
Nous avons, en presque 15 ans, démontré notre utilité. StreetPress se bat pour construire un monde un peu plus juste. Nos articles ont de l’impact. Vous êtes des centaines de milliers à suivre chaque mois notre travail et à partager nos valeurs.
Aujourd’hui nous avons vraiment besoin de vous. Si vous n’êtes pas 6.000 à nous faire un don mensuel ou annuel, nous ne pourrons pas continuer.
Chaque don à partir de 1€ donne droit à une réduction fiscale de 66%. Vous pouvez stopper votre don à tout moment.
Je donne
NE MANQUEZ RIEN DE STREETPRESS,
ABONNEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER