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    18/07/2024

    Les révélations de StreetPress ont engendré des plaintes

    La procureure de Lille ouvre une enquête sur les méthodes brutales de l’huissier José Lison

    Par Jérémie Rochas

    En 2023, StreetPress a révélé les pratiques brutales de José Lison, un huissier de justice sans scrupules mandaté par les bailleurs sociaux de la métropole lilloise. Depuis, le parquet a diligenté une enquête et l’a placé en garde à vue.

    Il y a un an, en mars 2023, StreetPress révélait les méthodes brutales de José Lison, un huissier sans scrupules que s’arrachent les bailleurs sociaux du département car il arrive à expulser les plus précaires rapidement à coup de menaces ou d’intimidations. Son cabinet avait même remporté un appel d’offres de LMH, le bailleur social de la Métropole européenne de Lille (59), pour la somme de 735.000 euros. À la suite de ces révélations, « la procureure de la République a ouvert une enquête diligentée des chefs de violation de domicile par dépositaire de l’autorité publique, de manœuvre, menace ou contrainte pour forcer une personne à quitter son lieu d’habitation et de faux en écriture publique », a indiqué le parquet.

    Les langues se sont depuis déliées et au moins trois victimes ont déposé plainte contre le commissaire de justice – qui a lui porté plainte contre StreetPress après notre article pour « diffamation ». Le 16 mai dernier, il a été placé en garde à vue et déféré devant le parquet. Il sera jugé le 12 novembre prochain et est en attendant placé sous contrôle judiciaire avec interdiction partielle d’exercice professionnel. « Si la culpabilité de monsieur Lison venait à être reconnue, il s’agirait d’une condamnation qui me paraît inédite. Surtout, elle permettrait aux victimes de pouvoir enfin être reconnues comme telles et entendues dans les souffrances qu’elles expriment en raison des actes dénoncés aux enquêteurs », estime maître Raphaël Ekwalla-Mathieu, l’avocat des victimes.

    À LIRE AUSSI : José Lison, l’huissier aux méthodes brutales que s’arrachent les bailleurs sociaux

    Contacté, José Lison conteste les faits qui lui sont reprochés : « Sachez que je me défends et que je démontrerai au tribunal que ma probité est intacte. »

    Expulsée pour une dette de 3 euros et 96 centimes

    « Je reprends peu à peu confiance en la justice », souffle Nora (1), au lendemain de sa confrontation avec José Lison dans les locaux de la police judiciaire. Depuis deux ans, cette employée d’une compagnie d’assurances se bat pour que son expulsion soit reconnue illégale, soutenue par l’Atelier populaire d’urbanisme (APU) du Vieux-Lille. Elle accuse l’huissier d’avoir utilisé la menace et l’intimidation pour la contraindre à quitter son logement sans s’être pourtant vu octroyer le concours de la force publique.

    Le 5 avril 2022, Nora est à peine sortie du lit quand l’huissier de justice tape à sa porte, accompagné de déménageurs, d’un serrurier et de deux témoins cagoulés. « On aurait dit deux personnes de la Bac, en civil, assez sombres », raconte la locataire aux enquêteurs :

    « Les déménageurs sont tout de suite entrés et sans attendre quoi que ce soit, ont commencé à mettre mes affaires en carton. Ils ont commencé par ma chambre. »

    Elle tente alors d’expliquer à José Lison que la quasi-totalité de sa dette est réglée et qu’un délai supplémentaire va lui être accordé, mais il ne veut rien savoir : « Maître Lison m’a dit que soit je quittais les lieux, soit il prenait mes meubles. Cette phrase s’est ajoutée à toute la pression du moment. » En trente minutes, Nora s’est retrouvée à la rue, une seule valise de vêtements en guise d’affaires de survie. Elle perd son travail quelques jours plus tard. La locataire soupire :

    « Ils m’ont expulsé pour une dette de 3 euros et 96 centimes. »

    Nora accuse Maître Lison d’avoir établi un faux procès-verbal attestant de son départ volontaire. « J’ai le sentiment qu’on m’a pris en traître. Quand on vient à huit personnes devant chez toi, ce n’est pas pour discuter ou négocier », insiste-t-elle. La locataire a également assigné en justice son bailleur, Habitat Hauts-de-France, qui avait mandaté José Lison. Le 19 janvier dernier, le tribunal judiciaire de Lille a confirmé le caractère abusif de son expulsion et a condamné le bailleur à lui verser plus de 6.000 euros d’indemnités et de préjudice.

    Faux en écriture publique

    Le procédé d’intimidation a été le même pour Laurent, expulsé de son logement par José Lison le 8 juin 2022, le lendemain du décès de sa mère. C’est en rentrant chez lui pour récupérer quelques affaires avant les obsèques qu’il réalise que sa serrure a été changée. « Mon bailleur m’a confirmé que Me. Lison était passé », se souvient l’ancien pilote de circuit, les yeux encore cernés par les antidépresseurs.

    Le lendemain matin, l’huissier lui donne rendez-vous devant le funérarium dans lequel la mise en bière de sa mère est prévue le jour même. « J’ai vu une Audi arriver dans laquelle se trouvait monsieur Lison ainsi que deux breaks avec à l’intérieur deux hommes à la morphologie athlétique », raconte Laurent. Une fois arrivé à la porte de son logement, le commissaire de justice lui interdit de rentrer et lui tend un sac-poubelle avec quelques affaires personnelles à l’intérieur. Laurent constatera les dégâts quelques semaines plus tard, lors de l’état des lieux :

    « L’appartement était dévasté, mes plantes renversées, des meubles de cuisine arrachés. »

    L’huissier attendra cinq jours avant de remettre à Laurent son procès-verbal d’expulsion. Il y aurait raconté, là aussi, une histoire bien éloignée de la réalité dans laquelle Laurent aurait quitté son logement volontairement. Pour l’homme en situation de handicap, le commissaire de justice a profité de sa vulnérabilité pour le mettre dehors :

    « Je n’étais pas en état psychologiquement de réaliser ce qu’il se passait. Je ne pensais qu’à la mort de ma mère et ses obsèques en cours, j’étais complétement diminué et incapable de réagir. »

    Un collectif de victimes

    En attendant que justice soit faite, les locataires victimes de l’huissier ont décidé d’unir leurs forces pour faire face aux conséquences sociales et psychologiques de l’expulsion. « Ce collectif permet de ne pas être seul et de trouver le courage de faire valoir ses droits », insiste Nora, à l’origine de ce groupe de soutien qui rassemble déjà cinq autres victimes de José Lison.

    « Cette expulsion a été un tsunami pour moi, une violence inhumaine. Je suis resté pendant huit mois enfermé, je confondais le jour et la nuit. J’étais démoli », confie Laurent, qui vit depuis son expulsion dans un camping-car, en banlieue lilloise. Il a récemment rejoint le collectif qui l’aide à surmonter cette épreuve :

    « Aujourd’hui, j’ai positivé. J’aimerais que mon histoire puisse servir d’exemple et que d’autres personnes ne vivent pas le même fardeau. »

    (1) Le prénom a été changé.

    Illustration de Une de Marine Joumard.

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