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    03/07/2024

    « Si je reste et que le Rassemblement national gagne, je vais mourir »

    À contre-cœur, des Français descendants d’immigrés préparent leur départ

    Par Elisa Verbeke

    À contre-cœur, Inès, Bilal, Anissa, Sirine et Sarah préparent leur départ. Ces Français descendants d’immigrés ou binationaux n’imaginent pas vivre dans un pays gouverné par le Rassemblement national.

    « En prononçant la dissolution, Macron a pris l’échiquier de ma vie et a tout balancé. » Sirine raconte enchaîner les crises d’angoisse depuis trois semaines. « Il a joué avec le feu et c’est nous qui brûlons. » À 27 ans, la Franco-algérienne prépare le concours du barreau pour devenir avocate. Mais l’actualité politique et les résultats du 1er tour de ces élections législatives anticipées – qui placent en tête le Rassemblement national, désormais aux portes du pouvoir – ont tout chamboulé à ses projets de vie. Très émue, elle lance :

    « 10 millions de mes concitoyens m’envoient le message en pleine face que je ne suis pas assez française pour eux. »

    « C’est extrêmement pesant », abonde Sarah (1), franco-marocaine. Également musulmane, elle ne supporte plus les regards inquisiteurs dans l’espace public ces derniers jours. « Les musulmans, les femmes qui portent le voile, seront les premières victimes de ce régime fasciste et de la montée de l’extrême droite. » Ces deux femmes ont construit leur vie en France et n’ont jamais vécu ailleurs. Mais aujourd’hui elles s’interrogent : est-il temps de partir ? Sirine résume :

    « Avec tout ce que je suis – militante, féministe, bi, Franco-algérienne, issue d’un quartier populaire – j’ai l’impression d’avoir une cible dans le dos. Si je reste et que le RN gagne, je vais mourir. »

    Elle a peur « des militants violents ou des gens décomplexés qui pourraient [la] tabasser dans la rue ». Mêmes angoisses pour Sarah, une Lilloise de 19 ans, qui pense à partir pour l’Espagne ou la Belgique, « afin de préserver [sa] santé mentale et [son] intégrité physique ». Les descendants d’immigrés racontent depuis plusieurs mois l’atmosphère suffocante et leur sentiment d’être « des boucs émissaires sans cesse pointés du doigt ». Mais tout s’est accéléré depuis la dissolution de l’Assemblée. Inès, Bilal (1), Anissa (1), tous parlent, à regret, de départ.

    À LIRE AUSSI : « Partez ou brûlez » : À Calais, une recrudescence d’actes anti-migrants en marge des élections

    « C’est toujours de notre faute »

    « Dès que j’allume la radio ou la télé, c’est trop violent : c’est toujours de notre faute, nous les racisés », se désole Inès, dépitée. À 38 ans, cette Franco-tunisienne a passé une partie de sa carrière à occuper des postes importants dans le milieu de l’art contemporain. Un avenir tout tracé. Mais depuis quelque temps, elle prend des cours d’Arabe avec l’idée de s’exiler au Moyen-Orient, en espérant pouvoir mettre ses compétences « à profit ». Sirine, la future avocate, confirme :

    « Dès qu’un membre du RN prend la parole, c’est une balle perdue pour moi. »

    Bilal remarque que la pression continue sur les réseaux sociaux. « Quand on voit le nombre de commentaires racistes, xénophobes, antisémites… Je me dis qu’avec le RN au pouvoir, les gens se permettront de le dire dans la rue à pleine voix. » L’ancien éducateur spécialisé de 27 ans, désormais enseignant en Ulis (Unité localisée pour l’inclusion scolaire), pense à s’exiler au Québec depuis quelque temps, sans jamais passer le pas. Mais la semaine dernière, en voyant les sondages sur le résultat du premier tour des législatives, il a lancé ses démarches administratives pour demander un visa de travail canadien. Là-bas, il n’y a pas de barrière de la langue et, espère-t-il, « une meilleure considération pour le travail social ».

    « Bientôt je vais pouvoir baiser des gauchos comme toi »

    Le 10 juin dernier, les deux petits frères de Sirine, âgés de 19 et 21 ans, discutent en arabe dans la rue. Deux policiers en civil se seraient approchés et auraient réclamé leur carte d’identité, avant de les sommer de parler français, selon le récit de la grande sœur. « Ils ont pris leurs papiers et les ont jetés à la poubelle devant eux », insiste-t-elle. « Ils les ont frappés et quand mes frères ont dit : “Arrêtez, on va porter plainte” », ils leur auraient balancé :

    « On fait ce qu’on veut. Attendez qu’on arrive au pouvoir. »

    Ce dimanche 30 juin, dans un bureau de vote de la région lilloise, c’est l’amie voilée de Sarah qui se fait alpaguer par une mère de famille : « Ils sont partout ! », aurait-elle lancé. Chacun a une histoire. Pour Bilal, l’enseignant qui veut s’exiler au Canada, l’agression s’est passée dans une soirée électro. Un homme lui demande s’il vend de la drogue, avant d’enchaîner : « T’as une tête de gaucho. Bientôt je vais pouvoir baiser des gauchos tant que je veux. » L’enseignant poursuit :

    « C’est ma sphère intime. Je vais là-bas pour me détendre, pas pour me battre ou rencontrer des gens qui ont ces idées-là. »

    Trahison

    « Tout ce que le RN dit sur les binationaux, c’est une trahison », considère Anissa. Dernièrement, la Franco-algérienne a pris la décision de partir, sans être encore sûre de la destination. Pourquoi pas en Algérie, où elle a déjà les papiers. Et depuis quelque temps, elle place ses revenus dans une banque algérienne. Originaire du Nord, ses grands-parents sont arrivés dans les années 60, quand les industries du coin avaient besoin de main-d’œuvre pour les mines de la région. « La France doit beaucoup aux descendants d’immigrés », explique-t-elle en relatant les histoires dont lui parlaient les anciens. Dont le temps des chevaliers de Roubaix à la fin des années 80, ces hommes racistes qui « demandaient aux maghrébins roubaisiens de baisser les yeux si un blanc leur parlait ». « Mes aînés ont fait fi des discriminations : ils ont même tendu la joue », soupire-t-elle, avant d’ajouter :

    « Je me sens comme à cette période, avec les actualités sur les binationaux. »

    Un sentiment de « trahison » partagé par Bilal, l’enseignant. Ses parents et ses grands-parents aussi ont travaillé pour l’État français : « On a servi le pays et je le sers encore. Savoir que je marche dans les rues à côté de gens qui ne m’accepteront jamais comme je suis, c’est violent. » Anissa termine, toujours en image :

    « Je me sens comme l’enfant de mère patrie et ma mère a des enfants préférés, et je n’en fais pas partie. »

    La jeune femme est depuis peu en couple, ils pensent au futur, à fonder une famille. « Mais je ne peux pas envisager d’avoir des enfants ici… » À contre-cœur, elle est persuadée qu’elle pourrait refaire sa vie ailleurs. Peut-être. Sirine, elle, répète émue qu’elle aime son pays, la France. « Mais l’extrême droite nous a volé le mot patriote. »

    (1) Les prénoms ont été changés.

    Illustration de Une de Nayely Rémusat.

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