Jeudi 20 juin. Radio Nova poste sur ses réseaux un appel à « aller voter contre le sectarisme, la haine, l’obsession de l’ordre et le rejet de l’autre ». Plus de 4.000 likes d’internautes saluent le post. Le même jour, le propriétaire de Radio Nova depuis 2015, Matthieu Pigasse – banquier d’affaires également actionnaire du journal Le Monde et de Mediawan un groupe audiovisuel qui possède des télés, des studios comme Europacorp de Luc Besson ou de grosses sociétés de production audiovisuelles, – est l’invité de France Info. Il appelle « à voter pour le Nouveau Front populaire, pour éviter le retour de la bête immonde ». La veille, mercredi 19 juin, les Inrocks, un magazine également détenu par Matthieu Pigasse a cosigné un appel pour un front commun des médias contre l’extrême droite [un texte dont StreetPress est le co-initiateur, ndlr].
Chefs d’entreprises et élections législatives " Il y a un choix profond à faire de société et de politique économique. Je pense, en tout cas, qu’en cas de victoire du Nouveau Front populaire, il n’y a pas de grande peur ou crainte à avoir ", assure Matthieu Pigasse. pic.twitter.com/a6fERFBhm3
— franceinfo (@franceinfo) June 20, 2024
En cette veille d’élection, Matthieu Pigasse et son groupe Combat qui détient Radio Nova, les Inrocks, ou encore le festival Rock en Seine, montent au front contre la menace de l’extrême droite… Sauf que quelques jours plus tôt, la radio vient de sceller un accord qui doit la lier à l’empire médiatique de Vincent Bolloré.
Les cinq salariés de Nova Régie, chargée jusqu’alors de vendre les encarts publicitaires de la radio aux annonceurs, seront transférés au 1er septembre chez Lagardère Publicité. Le pot de départ a déjà eu lieu. Fini le 18e arrondissement pour les équipes de Nova Régie, bienvenue dans les locaux de Lagardère, dans le cossu 15e arrondissement, où les anciens de la Maison nova croiseront à la machine à café les équipes qui commercialisent les pages du JDD de Geoffroy Lejeune ou l’antenne d’Europe 1, où officie désormais chaque jour Cyril Hanouna. Car depuis l’OPA lancée par Vincent Bolloré, via Vivendi, en 2022, c’est le milliardaire d’extrême droite qui est aux commandes de Lagardère.
Jeudi 20 juin. Radio Nova poste sur ses réseaux un appel à « aller voter contre le sectarisme, la haine, l’obsession de l’ordre et le rejet de l’autre ». / Crédits : Capture d'écran Instagram
« C’est un transfert d’activité », s’efforce de dégonfler auprès de StreetPress Emmanuel Hoog, le directeur général du groupe Combat dont fait partie Radio Nova : « On a fait un appel d’offres à l’ensemble des régies publicitaires du marché et c’est Lagardère qui a été le mieux disant financièrement. » Et l’homme de rappeler que Radio Nova n’est pas la seule dans ce cas :
« Lagardère a aussi en régie Ouï FM ou Radio Meuh. »
L’antenne de Radio Nova, fondée en 1981 par Jean-François Bizot, était jusqu’à peu commercialisée en tandem avec celle d’une autre radio parisienne, TSF Jazz, elle aussi longtemps propriété de Bizot. « Mais TSF Jazz est sortie de l’accord, et nous devions trouver une solution », justifie Emmanuel Hoog.
Est-ce que le fait que la radio iconique de l’underground et de la contre-culture soit désormais associée à l’empire médiatique d’extrême droite construite par Vincent Bolloré a été un sujet de discussion ? Emmanuel Hoog, ancien boss de l’AFP et de l’Ina, botte en touche : « La véritable fragilité, c’est de se retrouver dans un modèle économique fragilisé. On se donne la meilleure solution possible en termes de moyens. À aucun moment la grille de Nova et la ligne éditoriale ne seront impactées. »
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Et l’énarque Hoog d’enfoncer le clou : « Les salariés qui sont transférés font de la programmation publicitaire. Ils programment des encarts pour Carglass ou Intermarché. Ce sont des métiers techniques et commerciaux pour des marques commerciales qui cherchent à acheter des écrans commerciaux. »
Et est-ce que Matthieu Pigasse, qui a racheté Nova en 2015 aux héritiers de Jean-François Bizot, a approuvé l’accord avec Lagardère défendu par son directeur général ? « Je n’ai pas à vous répondre », objecte Emmanuel Hoog.
Contacté à des multiples reprises par téléphone et par message par nos soins, Matthieu Pigasse n’a pas répondu à l’heure où nous publions cet article.
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