Paris, 4e arrondissement – « On avait déjà peur pour nos enfants, mais là, je me demande comment on va pouvoir s’en sortir. » Sur le parvis de l’Hôtel de ville, la pluie vient seulement de s’arrêter. Jocelyne, 26 ans, surveille sa fille de deux ans et demi qui joue plus loin avec d’autres enfants. Assise au pied d’un platane, elle attend avec une vingtaine de familles sans papiers l’arrivée de la soupe de l’association la Chorba et le camion de Médecins du Monde. « On dort dehors avec mes deux enfants et mon conjoint, sur des cartons vers la piscine. On est à bout de forces », soupire la jeune femme aux cheveux très courts, une main sur sa poussette pour bercer Sileine, sa deuxième fille de six mois :
« On avait peut-être une solution de logement cet été. J’ai peur que tout soit annulé après le 8 juillet, je n’arrête pas d’y penser. »
Jocelyne surveille Sileine, sa deuxième fille de six mois. / Crédits : Pauline Gauer
Jocelyne attend avec une vingtaine de familles sans-papiers l’arrivée de la soupe de l’association la Chorba. / Crédits : Pauline Gauer
Il y a quelques semaines, les salariés et bénévoles d’Utopia 56 – l’association de mobilisation citoyenne et de défense des droits des personnes en situation d’exil et de migration – informaient les familles et personnes sans-papiers sur l’arrivée des Jeux olympiques à Paris fin juillet. Plusieurs lieux d’accueil et de distributions, comme le parvis de l’Hôtel de ville où chaque soir des centaines de personnes ont accès à l’information, des soins, un repas et parfois une prise en charge pour la nuit, devront être évacués pour l’événement sportif. Alice, responsable de pôle famille au sein de l’association, témoigne de l’inquiétude des familles face aux changements que cela implique dans leurs habitudes :
« Elles ont compris le nettoyage social en cours et en quoi ça impactait leur situation. On les a rassurées en leur expliquant qu’on continuerait nos missions cet été. »
Le parvis de l’Hôtel de ville où chaque soir des centaines de personnes ont accès à l’information, des soins, un repas et parfois une prise en charge pour la nuit, sera évacué pour les Jeux olympiques. / Crédits : Pauline Gauer
Dans ce contexte, l’association commence à aborder avec les familles la situation politique inédite et la montée de l’extrême droite en France. « Il fallait les informer sur le programme d’un parti raciste qui veut empêcher les personnes étrangères de vivre en France, mais aussi les rassurer sur le fait que rien n’est sûr concernant les résultats des élections », raconte la jeune femme en service civique.
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« Après cette nouvelle, j’ai peur de disparaître »
Arrivée en France en 2022, Jocelyne a fui la République démocratique du Congo avec son mari pour mettre leur fille en sécurité et demander l’asile. Depuis deux ans, la famille enchaîne les logements sociaux, les campements et les nuits dans la rue. La semaine précédente, « une dame d’Utopia » l’a informée des résultats des élections européennes et du programme du parti arrivé en tête. Après cette nouvelle, Jocelyne s’inquiète de « disparaître » dans les prochains mois.
« Ici, tout le monde est démuni », accroupie près de Jocelyne, Aïcha, Congolaise de 24 ans, a le regard inquiet. Devant elle, une valise grise et un sac de sport bleu ciel sont les vestiges de son ancienne vie, qu’elle trimballe entre la rue et les hôtels sociaux. Plongée dans son téléphone, elle visionne en boucle les vidéos de ses enfants en bas âge endormis dans une tente ou dans un bus de nuit. Tous les jours, elle filme leurs conditions de vie indignes « pour montrer au 115 », le samu social de Paris. Dans un autre dossier, des photos présentent sa fille de deux ans couverte de boutons semblables à la gale et à des piqûres de punaises de lit. « Personne n’aimerait voir ses enfants dormir dehors sur des cartons mouillés et dans des couvertures sales », murmure cette mère célibataire, un foulard léopard noué autour de sa tête, inquiète des prochains mois à Paris :
« J’ai entendu des gens parler de la situation politique actuelle en France et en Europe. J’ai très peur de ce qui va se passer pour nous, en tant que femmes et étrangers. »
Aïcha montre des photos de sa fille de deux ans couverte de boutons semblables à la gale et à des piqûres de punaises de lit. / Crédits : Pauline Gauer
« Personne n’aimerait voir ses enfants dormir dehors sur des cartons mouillés et dans des couvertures sales », murmure Aïcha. / Crédits : Pauline Gauer
« Si le RN passe, on ne pourra sûrement pas demander la nationalité »
Il est presque 19 heures quand Atari, Géorgienne d’une trentaine d’années, consulte son téléphone pour échanger avec une bénévole via Google traduction. Avec son conjoint Zura, ils sont arrivés à Paris en été 2023 pour demander l’asile. « Nous avons dû fuir la Géorgie car il y avait trop de problèmes pour les femmes. Comme toutes les autres, j’étais en danger », confie la jeune maman au visage doux mais fatigué. Dans ses bras, Nitsa, sa fille de cinq mois, enchaîne les sourires. Pourtant, ils dorment tous les trois depuis plusieurs mois dans une tente donnée par Utopia 56.
Atari, Géorgienne d’une trentaine d’années et Zura sont arrivés à Paris en été 2023 pour demander l’asile avec Nitsa, leur fille de cinq mois. / Crédits : Pauline Gauer
Le samedi 15 juin, le couple a vu « beaucoup de monde » défiler dans les rues à l’occasion de la manifestation contre l’extrême droite. « On est un peu au milieu de tout ça sans trop comprendre la situation et sans pouvoir agir », raconte Atari, qui craint de se voir refuser sa demande d’asile si un parti xénophobe arrive au gouvernement dans un avenir proche.
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Plus loin sur le parvis de l’Hôtel de ville, Sabri est l’un des seuls qui tente de rester positif. « Il y a de l’espoir parce que moi, j’ai confiance en la France. C’est un pays qui respecte les droits humains et qui ne laissera pas passer les lois discriminantes », affirme le Tunisien, lunettes de vue sur le nez. Arrivés avec un visa de travail en 2021, ils attendent avec sa femme Khaoula une régularisation de leur situation. « C’est toujours difficile de construire l’avenir quand on n’a pas de logement fixe », confie le quarantenaire tout en surveillant avec compassion les mouvements d’Abdallah, son fils de deux ans. Ce jour-là encore, le 115 n’a pas trouvé de chambre pour accueillir la famille. Dans quelques heures, ils n’auront pas d’autres choix que de se rendre dans la salle d’attente d’un hôpital :
« Là-bas, il y a des toilettes, de l’eau et des chaises. On est un peu à l’abri pour la nuit. Je ne peux pas mettre mon enfant dehors. »
Sabri, Khaoula et leur fils de deux ans, Abdallah, attendent des nouvelles de leur régularisation. / Crédits : Pauline Gauer
En possession d’une maîtrise de juriste obtenue en Tunisie, Sabri travaille sans contrat dans le bâtiment, de quoi subvenir aux besoins alimentaires de sa petite famille. Ce sont ses études de droit qui l’ont motivé à suivre de près les élections européennes puis la préparation précipitée des législatives. Dans son attente de régularisation, il a peur de voir ses droits bafoués si près du but. « Des centaines de métiers que les français ne veulent pas faire sont réalisés par des sans-papiers comme moi », affirme celui qui rêve de faire un master de droit à Paris :
« J’ai peur qu’avec Bardella, on nous mette dans le même panier que ceux qui commettent des délits, alors que nous, tout ce qu’on veut c’est travailler. »
Sur le parvis de l'Hôtel de Ville, les familles attendent assises sur des cartons et se nourrissent grâce aux associations. / Crédits : Pauline Gauer
Un travail délicat d’information
Un peu avant 20 heures, nombreux sont ceux qui font la queue pour la distribution alimentaire. Keita et Ousmane (1), deux mineurs isolés respectivement guinéen et malien, mangent par terre près d’un engin de chantier. Ils sont arrivés à Paris il y a quelques jours depuis l’Italie et ignorent tout de la situation politique et sociale. Dans ce cas de figure, les membres d’Utopia font aussi attention à la santé mentale des personnes sans-papiers, déjà fortement endommagée. Rien n’est sûr, alors c’est d’autant plus délicat d’informer sans dégât. « Il y a certaines familles à qui on n’a pas du tout parlé de la situation. Tout dépend de la disponibilité émotionnelle de chacune et de comment elles se sentent », confie Alice, soucieuse :
« On sera toujours à leurs côtés pour dénoncer les conditions de vie et de non-accueil des personnes exilées en France, et pour les soutenir autant que possible. »
Keita et Ousmane (1), deux mineurs isolés respectivement guinéen et malien sont arrivés à Paris il y a quelques et ignorent tout de la situation politique et sociale. / Crédits : Pauline Gauer
Mais loin du centre de la capitale, certains sans-papiers sont invisibles. Ghulam, 26 ans, n’a par exemple pas entendu parler des actualités. Arrivé en France il y a trois ans, le jeune Afghan dort depuis plusieurs semaines dans une tente au campement de la Villette. Autour de lui, personne ne sait qui est « Le Pen », « Bardella » ou le « RN ». En échangeant avec ses voisins de tentes, afghans et éthiopiens, la réponse est unanime : comment penser à ce genre de choses quand même les prochaines heures de sa vie sont incertaines ? « Pour l’instant, rien n’est concret alors c’est dur de s’y projeter », soupire Ghulam, le visage inquiet et couvert de cicatrices :
« Notre seul souci pour l’instant, c’est déjà de savoir si on pourra manger ce soir et si on aura un semblant de toit sur la tête. »
Campement de Delphine Seyrig à la Villette, avec les tentes de Ghulam et d'autres Afghans et Éthiopiens. / Crédits : Pauline Gauer
(1) Le prénom a été modifié.
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