« Beaucoup de tentes, de sans-abris, de gens dehors. » L’été dernier, Charlotte, 29 ans, emménage dans un nouveau quartier de Rennes (35), en face d’un local associatif venant en aide aux personnes sans-papiers. « J’ai contacté plusieurs associations », raconte-t-elle, comme forcée d’agir. Avec son compagnon Robin, ils sont rapidement contactés pour un accueil citoyen en urgence – les places manquent cruellement en France. Débarque alors Murtaza, 21 ans. Le réfugié afghan travaille en cuisine dans un restaurant du coin, en CDI, tout en dormant dehors, faute de moyens. Alors la chambre d’ami du couple de musiciens lui a permis de sortir la tête de l’eau.
« Accueillir Forrest a transformé l’appart en colocation. » À Lyon (69) cette fois, Zac et Mahaut, la trentaine, ont une chambre d’ami souvent disponible. Le couple a confié la clé à Forrest, 26 ans, venu de Palestine. D’abord pour quelques mois, ce qui leur a semblé rassurant. « On avait peur que ça ne fonctionne pas bien », abondent Antoine et Marie, un troisième couple qui a passé le pas dans le chef-lieu rhônalpin. En mars 2023, Sara, réfugiée albanaise alors âgée de 19 ans, emménage. Antoine, ingénieur informatique, y a trouvé du sens :
« On aide quelqu’un dans une période de sa vie qui n’est pas facile. Nous, on est très privilégiés alors pourquoi ne pas le faire ? »
Laurence et Alice accueillent Hélène dans leur appartement. / Crédits : Pauline Gauer
« Une chambre en plus »
« Une chambre en plus », avec une porte qui ferme : voilà la première case à cocher pour réaliser un accueil citoyen via l’association J’accueille, par qui sont passées les personnes qui témoignent dans cet article. Réfugiés Bienvenue et Caracol, deux autres organisations, tentent d’organiser des colocations solidaires. D’autres assos proposent à des particuliers de loger en urgence des personnes dans le besoin, pour de très courtes durées.
En 2023, un peu moins de 300 personnes ont pu être accueillies via le dispositif J’accueille sur le territoire français. « Les accueillis doivent avoir le statut de réfugié et présenter un projet professionnel comme suivre des cours de français, faire une formation ou trouver un emploi », explique David Robert, codirecteur de l’asso J’accueille. À 42 ans, il reçoit lui-même des réfugiés depuis huit ans :
« Quand on a une chambre d’ami salubre et un peu d’empathie, on a fait 80% du boulot. J’accueille prend les 20% restants en charge. »
En 2023, un peu moins de 300 personnes ont pu être accueillies via le dispositif J’accueille sur le territoire français. / Crédits : Pauline Gauer
La coloc’
Dans ces 20% restants, l’association tente de trouver des matchs entre les accueillants et les accueillis. Comme Alice et Hélène, qui ont presque le même âge, 25 et 30 ans. La première est étudiante à Paris, la seconde originaire d’Ethiopie, réfugiée depuis 2022 en France. C’est la mère d’Alice, Laurence, qui s’est portée volontaire. « Je suis fière de la décision de mes parents », confie la jeune femme :
« Depuis petite, j’ai toujours connu du monde à la maison, que ce soit des amis hébergés ou des étudiants. Je suis contente de me construire avec Hélène. »
Thomas, 34 ans, ingénieur dans le BTP, et Hamedi, 38 ans, réfugié malien et entrepreneur plombier chauffagiste, ont eux aussi rapidement accroché. Le premier a filé la clé de son studio d’Alfortville (94) depuis mai dernier, « pour un an sans hésitation » :
« Hamedi avait besoin d’un logement pas loin de son travail et moi de quelqu’un avec qui échanger et partager l’espace. »
Thomas, 34 ans, ingénieur dans le BTP, et Hamedi, 38 ans, réfugié malien et entrepreneur plombier chauffagiste, ont eux aussi rapidement accroché. / Crédits : Pauline Gauer
La colocation est rythmée par des soirées jeux vidéo, des repas partagés et des sorties escalade. Cet été, ils ont pris l’habitude de courir en bord de Seine et d’aller au marché les dimanche. Comme un vieux couple. « Thomas est un ami pour la vie », conclut le Malien à l’ensemble de jogging orange. Zac et Mahaut, à Rennes, ont eux aussi vécu une amitié « fusionnelle » avec Forrest, accueilli en février 2023. Les trois sont fêtards, se rendent aux mêmes événements. Forrest raconte avoir trouvé « des frères et sœurs ». L’été dernier, ils sont tous partis en vacances dans la Drôme (26). « Un soir, on s’est confiés tout le bien que nous faisait cette rencontre », se souvient Zac, qui travaille dans une ONG.
Chez Antoine et Marie, si la cohabitation fonctionne, le couple reconnaît y avoir mis « trop d’attentes ». Sara, plutôt intégrée dans la communauté albanaise de Lyon, n’est pas souvent à la maison. « C’est vrai qu’on était un peu déçus. On pensait échanger, créer un vrai lien mais elle sort rarement de sa chambre. »
La colocation est rythmée par des soirées jeux vidéo, des repas partagés et des sorties escalade. Cet été, ils ont pris l’habitude de courir en bord de Seine et d’aller au marché les dimanche. / Crédits : Pauline Gauer
Déconstruire l’image de l’accueil
Quand Charlotte et Robin ont annoncé accueillir Murtaza, leur entourage a fait savoir ses inquiétudes : « Un inconnu, chez vous ? ». Curiosité plus ou moins bienveillante, questions intrusives, parfois racistes ou qui stigmatisent les réfugiés et sans-abris, les volontaires à l’accueil y ont pour la plupart fait face. Marie, qui a accueilli Sara à Lyon, confie :
« La copine de mon grand-père m’a expliqué que certains réfugiés changeaient la serrure des appartements et que j’allais me retrouver virée de chez moi. »
« C’est une connerie », renchérit son père. Ses réactions ont vite évolué en rencontrant la jeune réfugiée de 19 ans. « Aujourd’hui, dès que je l’ai au téléphone, il me demande si Sara va bien. » David Robert tempère :
« Si vous étiez en grande galère et que quelqu’un vous offrait son aide et son accueil, ce serait la dernière personne que vous auriez envie de trahir. »
Hélène, du crayon sous ses yeux, est remplie d’émotions. « Ici, je me sens libre », confie la jeune réfugiée à Laurence et Alice, la mère et la fille parisiennes. Ces dernières n’ont jamais vraiment abordé le sujet de l’exil et de sa famille restée en Éthiopie. « J’accueille nous demande de ne pas trop poser ce genre de questions », soupire la mère de famille en aparté, qui se doute bien des traumatismes de la jeune fille et de son parcours de migration compliqué. « Elle est suivie par les psychologues de l’asso. Nous, on est juste là pour leur apporter un toit. » Hélène se rêve aide-soignante. Elle, d’habitude si combative et souriante, fond en larmes en essayant de se raconter un peu plus. « C’est la première fois qu’on la voit triste. » Les deux femmes réconfortent Hélène, lui proposant de se livrer un peu plus si elle en ressent le besoin. Une façon, à leur échelle, de ne plus la laisser seule.
Alice et Hélène, qui ont presque le même âge, 25 et 30 ans. Alice et sa mère n'ont jamais vraiment abordé le sujet de l’exil d'Hélène. « J’accueille nous demande de ne pas trop poser ce genre de questions », soupire la mère de famille en aparté, qui se doute bien des traumatismes de la jeune fille et de son parcours de migration compliqué. / Crédits : Pauline Gauer
En 2023, environ 300 personnes ont été accueillies à travers la France, dont une centaine à Paris, pour une durée moyenne de six mois. Les personnes accueillies sont majoritairement des personnes seules mais quelques familles peuvent bénéficier d’un hébergement citoyen.
→ Pour accueillir, les infos sont disponibles sur le site de J’accueille.
→ Pour bénéficier d’un accueil citoyen avec un statut de réfugié, vous pouvez contacter l’association J’accueille ou en parler avec votre assistant social.
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