Pantin (93) – Au bout d’un étroit couloir à droite de l’entrée du collège de Rep (Réseau d’éducation prioritaire) Joliot-Curie, se niche un mystérieux sanctuaire réservé aux élèves. « Aucun adulte n’a le droit d’y mettre les pieds ! », s’exclame Eva (1), une « élève-médiatrice » de quatrième. « Ce qui s’y dit est hautement confidentiel », renchérit sa camarade de classe Fiona (1). Dans cet espace à l’écart, loin des regards indiscrets, les adolescents se réunissent à l’heure du déjeuner pour résoudre les problèmes, parfois violents, de la vie collégienne. Au menu : quinze minutes sans adultes pour raconter le conflit, confronter les points de vue, et choisir une solution qui convienne à tout le monde. Isabelle Lavallé, a professeure à la tête de l’initiative, affirme :
« De quoi apaiser les tensions entre les élèves, et lutter efficacement contre le harcèlement scolaire. »
« Le fait de n’être qu’entre élèves lors de ces temps de médiations, ça permet de raconter vraiment ce qu’il se passe dans les classes ou dans la cour », explique d’une voix très rassurante Solène (1), la plus âgée des « élèves-médiateurs » de l’établissement. À seulement quatorze ans, cela fait déjà trois ans qu’elle est dans le projet. Et aujourd’hui, elle est la doyenne d’un groupe d’une vingtaine de jeunes volontaires qui, de la cinquième à la troisième, se relaient pour assurer ces moments de « médiation entre pairs ».
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S’écarter d’un système punitif
Dans la petite salle carrée qui leur sert de refuge, les adolescents sont assis en face les uns des autres sur des fauteuils bleus et orange disposés en cercle. D’un côté, les deux « élèves-médiateurs ». De l’autre, les deux « élèves-médiés ». Ce mardi-là, l’atmosphère est tendue, et le silence persiste pendant un long moment. Finalement, l’un d’eux, un jeune garçon aux cheveux noirs et aux grands yeux bruns, prend une profonde inspiration et s’élance : « Tu me dis trop de choses méchantes. » L’autre écoute attentivement, mais semble incapable de retenir son pied, qui martèle vigoureusement le sol. Ce n’est pas lui qui a choisi de faire cette médiation, mais il s’y est quand même rendu volontairement. Après quelques minutes, c’est à son tour de prendre la parole. Il s’explique mais ne s’excuse pas. C’est à ce moment précis que les médiatrices interviennent. Paulina (1) et Mila (1), toutes deux en classe de cinquième, insistent sur les émotions que chacun peut ressentir. « Donc si j’ai bien compris … », « Donc tu te sens … », « Pour toi, c’est ça qui est important ? », elles enchaînent les questions pour bien comprendre la situation. « On ne juge jamais, c’est une règle d’or », répètent-elles en chœur.
Au bout de quinze minutes, Nassim (1), l’élève qui a causé le problème discuté lors de la médiation ce jour-là, sort de la petite salle confidentielle et s’exclame : « Elles sont trop géniales ! ». Pour la troisième fois depuis son entrée au collège, l’exercice lui a permis de régler ses conflits avec les autres élèves sans passer par la case punition. « Les médiations sont vraiment efficaces », souligne madame Derambure, la CPE du collège, « car les élèves qui posent des problèmes sont souvent mutiques ou sur la défensive face aux adultes par peur des sanctions, alors que devant d’autres élèves, ils sont plus facilement à l’écoute et prêts à changer ». Pour Solène, cela va de soi :
« On a le même âge, on passe par les mêmes choses – des choses que les adultes ne voient pas ou ne comprennent pas –, et ils nous intimident souvent ».
Lutter contre le harcèlement scolaire
Si ce mardi-là, le différend se règle tranquillement, « les problèmes sont parfois beaucoup plus graves », rappelle Solène, la doyenne. Ammfak (1), une élève de cinquième, se souvient, la voix serrée, de sa toute première médiation : « J’étais assise du côté des médiés : une fille, puis toute ma classe, me harcelaient. Un jour, ils m’ont même suivie jusqu’à la bibliothèque et m’ont frappée, j’ai dû porter plainte ». Et alors qu’elle qualifie elle-même les médiations qui ont suivi de « chaotiques », Ammfak affirme que ces moments lui ont permis de prendre confiance en elle et de s’affranchir du regard des autres. Aujourd’hui, elle est même devenue médiatrice à son tour, et souhaite ouvrir un « club pour casser le silence et la honte autour du harcèlement scolaire ». Sans flancher, elle revendique :
« Ce n’est pas à nous d’avoir honte, mais à ceux qui nous harcèlent. »
« J’ai moi-même été harcelé au collège et j’aurais adoré que la médiation existe, ça m’aurait beaucoup aidé », se confie Eden Bouvier, le surveillant d’aujourd’hui vingt-six ans. Lui est chargé de repérer les tensions entre les élèves dans la cour et de leur proposer la médiation. C’est pourquoi, dès son arrivée au collège Joliot-Curie à la rentrée 2021, il s’est immédiatement formé avec d’autres membres du personnel à la médiation grâce à l’association MédiActeurs. « Dans toute la France, on forme les adultes à former les jeunes à ne plus avoir besoin d’eux », résume Brigitte Liatard, la professeure d’histoire à l’origine du projet dans un collège de Sarcelles (95) dès 1994 aujourd’hui à la tête de l’association de formation.
Elle se souvient avec amusement : « Au début, l’Éducation Nationale nous demandait si nous n’étions pas une secte formant les élèves à se rebeller contre le système ». Et le doute semble encore pouvoir planer, comme le confirme le surveillant Eden Bouvier :
« Grâce à la médiation, les élèves se responsabilisent et apprennent à penser et à agir par eux-mêmes à une vitesse folle. »
(1) Les prénoms des élèves ont été changés.
Illustration de Une de Jérôme Sallerin/Rojer.
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