Aminata Diabaté est à bout. Sur les murs de l’appartement, les tâches de moisissures grises se sont multipliées. Sur la table basse du salon, les ordonnances de ses deux filles s’empilent. La première, six ans, a enchaîné les bronchiolites, la seconde, trois ans, souffre d’apnée du sommeil. Des maladies respiratoires qui pourraient être causées par le taux d’humidité bien trop élevé du logement dans lequel elles ont grandi.
« Normalement, il devrait y avoir des VMC (ventilations mécaniques contrôlées) dans les toilettes et la salle de bain. Mais comme il n’y en a pas, ni de fenêtre, la vapeur d’eau ne peut jamais sortir de la pièce. Parfois, je vis avec les mouches », explique la mère célibataire de 35 ans. Gestionnaire grand compte dans un grand groupe, elle vit depuis 2015 dans ce trois pièces de 57m2 dans un grand ensemble au nord de Maisons-Alfort (94). La propriétaire de ce logement non-décent est la sportive de haut niveau Clarisse Agbégnénou. C’est elle qui a reçu les 1.070 euros par mois de loyer pendant au moins six ans. La judokate de 33 ans, gendarme dans le civil, est une fierté française : six fois championne du monde et deux fois championne olympique.
Aminata Diabaté accuse sa propriétaire multi-médaillée de lui louer un logement indécent – une qualification en dessous de l’insalubrité – et de ne pas avoir fait les travaux nécessaires plus d’un an après avoir été alertée. StreetPress a pu consulter un rapport du service hygiène et salubrité de Maisons-Alfort attestant d’un taux d’humidité de 78,8% – alors qu’un air sain se situe entre 40 et 60% d’humidité – et de manquements au Règlement sanitaire départemental. Au téléphone, un employé de la mairie qui s’est penché sur le dossier juge l’appartement « limite insalubre ».
StreetPress a pu consulter un rapport du service hygiène et salubrité de Maisons-Alfort attestant d’un taux d’humidité de 78,8%. / Crédits : Lina Rhrissi
De son côté, Clarisse Agbégnénou a envoyé le 26 juillet 2023 un commandement de payer en vue de faire expulser sa locataire. Contactée par StreetPress, la propriétaire nous a d’abord renvoyés vers son avocat. Balayant la question de la mise aux normes de l’appartement, il évoque une simple affaire de loyers impayés. « On va la faire expulser, c’est tout », tranche maître Paul Sollacaro. Dans un second temps, la famille de Clarisse Agbégnénou assure que la proprio est de bonne volonté et que la locataire fait désormais tout pour bloquer les travaux (1). En off, une proche de la judokate reconnaît des problèmes dans l’appartement, mais plaide l’erreur de jeunesse :
« C’est son premier achat immobilier, elle avait 18 ans. »
Amies d’enfance
Tout a pourtant commencé par une histoire d’amitié. « On a grandi ensemble dans le même quartier », se souvient Aminata. Pendant leurs années collège à Asnières (92), Clarisse, judokate en formation et Fatou, la petite sœur d’Aminata, sont inséparables. Alors, en 2015, quand Fatou décide de quitter ses parents et de prendre un appart’, sa copine d’enfance Clarisse Agbégnénou lui propose de lui louer son trois pièces à Maisons-Alfort. Pour diviser le loyer, Fatou propose à sa sœur Aminata de la rejoindre dans la seconde chambre. Deux ans plus tard, Aminata récupère officiellement le bail. « Il n’y a jamais eu de souci, j’ai toujours payé les loyers et même quand j’avais des retards, je lui expliquais et tout allait bien », assure la salariée qui gagnait environ 1.700 euros par mois en plus des APL, jusqu’à un arrêt-maladie l’année dernière qui a réduit ses revenus.
Aminata Diabaté est à bout. Sur les murs de l’appartement, les tâches de moisissures grises se sont multipliées. / Crédits : Lina Rhrissi
Des oursins dans le porte-monnaie ?
Selon Aminata, les relations avec sa proprio judokate sont cordiales, jusqu’à ce qu’elle lui demande des comptes, à partir de l’été 2022. En mai, Aminata subit un dégât des eaux et prévient son assurance. C’est à cette occasion qu’un expert mandaté par son assureur l’aurait informée de problèmes d’humidité plus profonds : son appartement ne serait pas aux normes. Aminata en parle à Clarisse et sa mère, Pauline Agbégnénou, avec qui elle a l’habitude d’échanger.
La maman de la judokate est très présente dans les échanges de mail qu’a pu consulter StreetPress. Sauf que, d’après Aminata, mère et fille ne sembleraient pas vraiment disposées à ouvrir leur portefeuille pour mettre le logement de Maisons-Alfort en ordre. « Pauline m’a dit : “Oui oui, on s’en occupe”, et rien ne bougeait », raconte la locataire :
« À partir du moment où j’ai commencé à leur demander de s’occuper de l’appartement, c’est parti en cacahuète. »
Le service hygiène et salubrité de Maisons-Alfort lance l’alerte
Aminata se serait tournée vers la mairie pour faire face au manque de réactivité de sa propriétaire. Le 20 septembre 2022, une inspectrice du service hygiène et salubrité de Maisons-Alfort fait un compte-rendu. C’est là qu’elle mesure un « taux d’humidité de 78,8% ». L’inspectrice constate aussi des « moisissures » et le manque de trois ventilations dans la salle de bains et les toilettes. Elle conclut dans le document officiel que pour que le logement soit décent, il faut ajouter les ventilations nécessaires. Plus d’un an plus tard, rien n’a été fait.
Aminata Diabaté accuse sa propriétaire multi-médaillée de lui louer un logement indécent – une qualification en dessous de l’insalubrité. / Crédits : Lina Rhrissi
Le mal-logement est un problème national : selon le rapport « Regard sur le mal-logement en Europe », publié en septembre 2023 par la Fédération européenne des organisations nationales travaillant avec les sans-abri (Feantsa), 18% de la population en France vit en logement insalubre. Dans le cas de l’appartement de Clarisse Agbégnénou à Maisons-Alfort, la situation est d’autant plus inquiétante que deux enfants en bas âge y habitent. Or, les liens entre humidité et problèmes respiratoires sont connus. Aminata souffle :
« Ma plus jeune est tout le temps chez l’ORL. L’année dernière, je suis allée deux fois aux urgences parce qu’elle faisait des convulsions. C’est plus possible. »
Dans un rapport social envoyé à la mairie le 6 septembre 2023, une assistante sociale de Val-de-Marne écrit : « L’état du logement nécessite de nombreux travaux et la propriétaire refuse d’entamer ces démarches. Madame Diabaté a sollicité les services compétents afin de trouver une solution à l’amiable. Les conditions de vie dans ce logement sont complexes et mettent en danger la famille. » Dans son courrier, l’agent appuie la demande de logement social d’Aminata, qui souhaite désormais quitter l’appartement indécent.
La championne trop occupée
« Gnougnou », comme elle est surnommée dans la presse, est l’une des têtes d’affiche des futurs Jeux olympiques 2024. Elle a une légion d’honneur et sa statue au musée Grévin. La championne a-t-elle joué de son statut pour ne pas assumer ses devoirs de propriétaire ? À plusieurs reprises, Clarisse Agbégnénou et sa mère rappellent son activité. Dès 2016, au moment du changement de bail entre les frangines Fatou et Aminata, Pauline Agbégnénou écrit : « Il faut arrêter de déranger Clarisse. Tu sais bien qu’elle n’a pas le temps. » Le 28 février 2023, Clarisse Agbégnénou, en stage à Tokyo, envoie à l’assistante sociale d’Aminata :
« Ce litige pèse beaucoup sur moi en tant que sportive de haut niveau qui prépare les Jeux olympiques Paris 2024. Je n’ai pas besoin de cela en ce moment. »
Un argument qui semble avoir touché la mairie de Maisons-Alfort, qui a clos le dossier. Joint par StreetPress, un agent du service hygiène et salubrité qui préfère rester anonyme estime que la principale responsable est la propriétaire : « Quand on loue un bien, il est censé être décent. » Mise en demeure, la proprio aurait expliqué aux fonctionnaires qu’elle n’avait pas pu gérer son logement parce qu’elle était en train de préparer un championnat. Clarisse Agbégnénou a finalement transmis, le 10 février 2023, un devis pour des travaux d’un montant de 4.169 euros, dont 30% d’acompte, qui a fini de convaincre les services municipaux de sa bonne foi.
Dialogue rompu et procédure d’expulsion
Aujourd’hui, le dialogue est totalement rompu entre les deux parties. L’athlète veut faire partir sa locataire qui ne paierait plus son loyer et n’ouvrirait pas aux ouvriers. Ce que nie Aminata. Si la locataire n’a pas payé son loyer pendant au moins quatre mois, de mars à juin 2023, c’est suite à un accord par mail avec sa propriétaire en attendant que les travaux soient faits, comme StreetPress a pu le vérifier.
Le 30 mai 2023, la situation n’ayant pas avancé, la judokate a demandé la reprise du paiement des loyers. La famille de Clarisse Agbégnénou estime (1) :
« Cela fait des mois que nous sommes prêts à engager les travaux, que les solutions sont là et n’attendent que le feu vert de madame Diabaté, mais celle-ci a pris le parti de se plaindre. »
Fin juillet, Aminata reçoit un courrier d’huissier : sa proprio lui réclame 5.264 euros à payer dans les deux mois sous peine d’être expulsée. La procédure est en cours. Du côté de Maisons-Alfort, l’agent du service hygiène et salubrité sous couvert d’anonymat assure que la ville demandera à Clarisse Agbégnénou de « ne plus louer ce type de biens » et de transmettre à l’avenir des documents de mise en conformité.
Illustration de Une de Nayely Rémusat.
(1) Edit le 12 octobre à 12h01 : Dans un premier temps, nous avions écrit que c’était l’agent de Clarisse Agbégnénou qui nous avait répondu. C’était en fait les propos de Clarisse Agbégnénou et de sa mère.
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