Georges Matharan est le créateur d’une chaîne YouTube sobrement intitulée « Georges », forte de plus de 100.000 abonnés. Sur Twitter, il se définit ainsi :
« Journaliste, je crois. »
En visionnant sa dernière production, une enquête sur le black bloc, on est tenté de répondre : « Non. » Le jeune homme, passé par les médias d’extrême droite Valeurs actuelles (VA) et Livre noir, y développe un point de vue pour le moins incomplet sur le sujet. Il présente essentiellement les militants qui utilisent cette technique de manifestation, comme des filles et des fils de grands bourgeois. Des gens qui mépriseraient les classes populaires et que l’État laisserait faire pour des raisons politiques. Un discours simpliste que dénoncent même… les intervenants de sa vidéo.
Sur Twitter, Georges-Gabriel Matharan se définit ainsi : « Journaliste, je crois. » / Crédits : DR
Contacté par StreetPress, Olivier Cahn, maître de conférences en droit privé et sciences criminelles à l’université de Cergy (95), garde un souvenir partagé de son interview avec Georges Matharan. « Il s’est présenté comme un journaliste de Valeurs actuelles, vous m’apprenez que ce n’est plus le cas », s’amuse le chercheur, « l’interview s’est bien passée mais rapidement il m’a posé des questions très orientées. » Olivier Cahn poursuit :
« Ce jeune homme est vraiment intéressant car il retient ce qu’il a besoin de retenir de vos propos. C’est une sorte d’anti-journaliste, car il fait du montage pour servir sa démonstration en expurgeant de vos propos ce qui le gêne. »
« Ce monsieur part du postulat que les membres du black bloc sont des gosses de bourgeois et l’essentiel de l’entretien que j’ai eu avec lui, c’est pour dire le contraire. Tout d’abord, parce qu’on a du mal à savoir qui compose le bloc, par essence, et ensuite parce que les sociologues qui ont travaillé récemment sur la question expliquent qu’il y a en effet des jeunes militants de gauche éduqués mais que sa composition est beaucoup plus complexe ». Contacté par StreetPress, Georges reconnaît qu’en effet la composition du bloc est plus complexe et pointe au téléphone un court passage où il évoque la présence de « hooligans » et de « nationalistes » dans le bloc. Une brève incise qui ne pèse pas très lourd puisqu’il décrit, très largement, le bloc comme un rassemblement de « jeunes bourgeois d’extrême gauche ».
Thierry Vincent, auteur de Dans la tête des black blocs, Vérités et idées reçues (ed. de l’Observatoire) et dont le travail est repris par Georges dans sa vidéo, tire le même constat du visionnage de la vidéo. « Je dois dire en premier lieu qu’il s’est abondamment servi de mon travail mais n’a pas cherché à m’interviewer », assène ce vieux routard du journalisme (1). « C’est absolument n’importe quoi. Je ne sais pas d’où il tient cette idée que les militants du bloc recruteraient des jeunes de cité contre un peu d’argent et du shit pour grossir leurs rangs mais c’est totalement délirant. J’ai interviewé des policiers de terrain, des responsables de syndicats policiers et même des hommes du renseignement, aucun d’eux ne m’a jamais raconté cette fable… Pas plus que les militants au sein de bloc avec qui j’ai pu réaliser des entretiens ».
Même son de cloche chez Olivier Cahn qui s’interroge :
« Je ne sais où il a trouvé l’idée que des éléments d’extrême gauche recrutent des jeunes de cité pour grossir les rangs du black bloc et dépouiller des gens en échange de shit et de sommes d’argent modeste. C’est délirant. »
Pour justifier ces affirmations pour les moins péremptoires, le youtubeur s’appuie sur un témoignage sonore. Selon cette source unique, la scène s’est déroulée à Montpellier : « Quand il y a eu le mouvement contre le pass vaccinal et la Ligue du Midi, tous les autres qui étaient là, tu avais un cortège de 50 fefas [fafs] bien déterminés, et en face, il y avait des zadistes. Du coup, ce qu’ils ont fait, ils ont envoyé deux trois personnes dans un quartier dont je tairais le nom à Montpellier, ils ont donné de l’argent et du shit et ils ont promis qu’ils pourront dépouiller. T’inquiète pas, là-bas, tu donnes cinq euros, ça suffit hein ! ». Lors de notre entretien, Georges nous a expliqué qu’il ne s’agissait pas d’une source policière et ne pas pouvoir nous en dire plus. « Mais, assure-t-il, les “renseignements sont au courant de ces pratiques” ». Bon, selon Thierry Vincent, c’est non.
Georges-Gabriel Matharan est le créateur d’une chaîne YouTube sobrement intitulée « Georges », forte de plus de 100.000 abonnés. / Crédits : DR
Néanmoins, Olivier Cahn ne regrette pas d’avoir répondu aux questions de Georges : « Ça montre comment on peut faire un exercice de montage pour servir son propos. Attention, il n’y a pas falsification de sa part. Tout n’est pas à jeter dans sa vidéo, il apporte quand même un certain nombre de nuances mais il y a une volonté claire d’orienter les propos de ses intervenants, y compris les miens. »
La vidéo se termine en apothéose : Georges explique que, « les premiers actes des Gilets jaunes ont été éminemment pacifistes […]. À l’arrivée des mouvements de gauche et du bloc, les Gilets jaunes historiques délaissent le mouvement qui va mourir quelques mois plus tard, gangréné par l’extrême gauche ». Le vidéaste semble oublier les actes II et III du mouvement avec le saccage de l’Arc de triomphe – où se sont notamment illustrés des membres de l’extrême droite radicale, Zouaves Paris en tête –, les images impressionnantes de la police obligée de se replier face à la charge des manifestants sur la place de l’Étoile ou encore l’incendie de la préfecture du Puy-en-Velay (43). Au téléphone, il se fait plus mesuré « quand je parle des premiers actes, je parle des rassemblements avant l’acte I, où les gens se rencontrent et se rassemblent sur les ronds-points ». Un début du mouvement des GJ que Georges fait remonter à « un bon mois avant l’Acte 1 ».
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Question nuance, Georges n’est pas vraiment un habitué des faits. Mi-décembre 2020, le jeune homme fait partie de la petite équipe qui lance la chaîne YouTube VA+, où il fait ses armes et tient la rubrique la Revue d’actualité que l’on retrouve désormais sur sa propre chaîne. On le retrouve aussi sur une vidéo de Baptiste Marchais avec Julien Rochedy et Papacito en octobre 2021 dans un entretien au cours duquel les journalistes Lucie Delaporte et Paul Conge sont copieusement insultés au motif qu’ils ont travaillé sur les trois vidéastes d’extrême droite.
Passé par VA et Livre Noir
Au cours de la dernière campagne présidentielle, Georges quitte VA pour le très zemmouriste Livre Noir. Parallèlement, il présentera avec Bahia-Carla Stendhal, une influenceuse d’extrême droite, un éphémère format court sur la chaîne YouTube de Génération Z, « Les Z’Actus ».
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Porosité vous avez dit ? Après un passage éphémère au poste de « directeur de la rédaction » de Livre Noir, Georges quitte le média qui périclite déjà depuis la fin de la présidentielle et l’échec d’Éric Zemmour. Il décide de se consacrer à sa chaîne YouTube pour laquelle il a lancé au début du mois de mars, un appel aux dons pour lever 50.000 euros auprès de sa communauté. Un échec.
(1) Thierry Vincent a publié plusieurs articles sur StreetPress.
_ Edit le 26/04 à 17h43 : À quelques reprises, nous écrivions que Georges s’appelait Georges-Gabriel. Il s’agit en fait de son deuxième prénom.
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