Il est tôt et il fait encore frais. À la mi-janvier, dans un parc parisien, un groupe d’une quarantaine de jeunes hommes pour certains cagoulés s’entraînent à la baston, au milieu de rares promeneurs. Ce sont des militants d’extrême droite radicale. Bientôt, ils se séparent en deux groupes pour s’affronter à la manière des hooligans dans ce qu’ils appellent les « forêts » : des fights illégaux et violents qui généralement se déroulent dans des lieux discrets.
Ce « stage » de sports de combat a été organisé par les néonazis du Gud Paris avec leurs potes de Luminis, de la « Division Martel » et les Versaillais d’Auctorum. Au total, une grosse quarantaine de néofascistes survitaminés et adeptes du coup de poing. Un certain nombre sont déjà passés devant la justice, et même derrière les barreaux. Sur les réseaux sociaux, ces groupes se vantent de cet événement et diffusent les images à des fins de propagande viriliste. « Au programme : boxe anglaise, muay thaï, lutte, grappling et MMA », annoncent-ils fièrement :
« Le militant nationaliste se doit d’être un exemple de santé, de vitalité, de combativité, de culture, de force mentale et physique. Ces qualités ne lui sont pas seulement bénéfiques, elles lui sont nécessaires. »
La session est également dédiée à la mémoire d’un combattant du régiment Azov : Artem Novikov, hooligan du Dynamo Kyiv, engagé avec Azov et tué au combat en Ukraine en début d’année. « Que son exemple nous guide ! » proclament les radicaux français. Tout un programme.
Le Gud Paris s'entraîne au combat avec leurs potes de Luminis, de la « Division Martel » et les Versaillais d’Auctorum. Au total mi-janvier, une grosse quarantaine de néofascistes survitaminés et adeptes du coup de poing. / Crédits : DR
Ça se file des gnons de bon matin. / Crédits : DR
La baston en héritage
Moins d’un mois plus tard, les mêmes groupes se retrouvent au cimetière de Charonne dans le 20e arrondissement de Paris. Une cinquantaine de militants se sont réunis dans l’après-midi du 5 février sur la tombe du collabo Robert Brasillach, exécuté à la Libération pour « intelligence avec l’ennemi », en l’occurrence le IIIe Reich. L’occasion aussi de « rendre hommage » aux morts du 6 février 1934, quand les ligues d’extrême droite se sont lancées à l’assaut de l’Assemblée nationale. Prévenue par la mairie d’arrondissement, la police a débarqué et a procédé au contrôle d’identité des participants. Bilan : une vingtaine de fichés « S », comme l’avait révélé le journal Libération, des armes saisies et une garde à vue. Une fin de commémoration un peu piteuse dont le Gud n’a pas fait mention sur ses réseaux sociaux, préférant pavoiser :
« Nous réaffirmons ainsi notre fidélité à l’héritage que nous ont légué tous les combattants nationalistes tombés pour leur idéal. »
Car ces militants dessinent ainsi très précisément à la fois le pourquoi et le comment de leur engagement : le combat. Avec les poings, dans les artères de la région parisienne afin de « reprendre la rue aux gauches », nous disaient des membres des Zouaves Paris que nous avions pu rencontrer il y a quelques années. Enfin des poings… Ils sont à l’occasion armés de manches de pioche, de marteaux brise-vitre ou de bombes lacrymogènes, comme lors de l’attaque du bar antifasciste le Saint-Sauveur en juin 2020. Les Zouaves ont même fait du club de golf un signe de reconnaissance. Ils posent avec sur leurs premières photos de groupe, en 2018, et il trône sur leurs stickers.
Le 5 février, une cinquantaine de militants du Gud se sont réunis dans l’après-midi sur la tombe du collaborateur nazi Robert Brasillach. La police est intervenue, a saisi des armes et a placé un militant en garde à vue. / Crédits : DR
Ces crosses sont un clin d’œil au Gud, ce syndicat étudiant ultraviolent né en 1968 et entré dans la mythologie de la mouvance pour son activisme anti-communiste. Au mitan des années 2010, l’organisation diffuse par exemple une vidéo mettant en scène une baston à coup de clubs de golf. À cette époque, l’organisation ne compte que quelques dizaines de membres, des gros bras ultra-violents. Dans leurs rangs, Loïk Le Priol et Romain Bouvier, les deux hommes qui ont exécuté le rugbyman Federico Martín Aramburú, le 19 mars 2022.
Marc de Cacqueray-Valménier, bourgeois ultra-violent
Quand en 2017 le GUD s’auto-dissout dans le Bastion social, ses militants parisiens se rapprochent de dissidents de l’Action Française. C’est l’un d’eux, un certain Marc de Cacqueray-Valménier, qui va prendre la tête de la nouvelle bande baptisée Zouaves Paris (ZVP). Le gosse de bonne famille est surnommé « Marc Hassin ». Il voyage un peu partout en Europe, pour réseauter, se castagner ou même prendre les armes comme au Haut-Karabakh et devient progressivement une figure de la mouvance. À 24 ans, il est fiché S.
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Ratonnades, émeutes dans les manifs de Gilets jaunes, vendettas et autres attaques de militants de gauche : le groupe devient central dans la mouvance. Ni association déclarée, ni même un groupe faisant à proprement parler de la politique, les « ZVP » font même des petits. Un peu partout, ce schéma d’un groupuscule quasi-exclusivement dédié à la baston et accueillant 50 nuances de brun est reproduit. À Lyon, avec le « Guignol squad ». À Toulouse (31) avec le « Lagaf’ crew ». À Strasbourg (67) avec les « Gargouilles ». À Nice (06) avec les « Zoulous Nice »… Aux quatre coins du pays, les crânes rasés y côtoient les identitaires, frayent avec les royalistes ou copinent avec les ultranationalistes.
Cette violence attire aussi l’attention des autorités. Les procès se multiplient. Les ZVP finissent donc par être interdits en janvier 2022 dans la foulée du lynchage de militants pacifiques de SOS Racisme qui avaient brandi dans un meeting d’Eric Zemmour des pancartes antiracistes. Le chef, Marc de Cacqueray-Valménier, atterrit derrière les barreaux. Tout ce petit monde se calme, mais à peine quelques mois. Le Gud Paris, en sommeil depuis des années, (re)surgit au début du mois de novembre. Croix celtique brandie bien haut et activisme violent revendiqué : les Zouaves se sont mués en rats noirs, le surnom que se donnent les gudards.
Depuis quelques mois, le Gud s'affiche dans les manifestations parisiennes. Notamment mi-janvier, à la manif annuelle des anti-avortement de la « Marche pour la vie ». Cette fois encore, Luminis et Auctorum posent aux côtés des gudards. / Crédits : DR
Et ils ne sont pas restés les bras croisés (ou tendus). Leur première action est une vidéo annonçant le retour du Gud Paris, mis en scène avec une esthétique néofasciste affirmée. Dès la mi-novembre, des tags « Gud is back » et « Gud vaincra » apparaissent dans le Quartier latin. Puis les rats noirs se montrent, mais encore discrètement, dans une manif anti-GPA le 25 novembre dernier. Au fil des actions, ils gagnent en confiance, d’autant plus facilement que les autorités ne réagissent pas. Mi-janvier, à la manif annuelle des anti-avortement, la Marche pour la vie, Marc de Cacqueray-Valménier, dont le contrôle judiciaire interdit pourtant de paraître à Paris (hors XVIe arrondissement), s’affiche en chef de bande. Il trône, visage découvert, au milieu de ses rats noirs qui jouent les durs et sortent les fumigènes pour être sûrs de ne pas passer inaperçus. Cette fois encore, Luminis et Auctorum posent aux côtés des gudards.
Conquérir les facs
Sur Paris, le Gud et ses amis fédèrent au moins une cinquantaine de néonazis violents qui ambitionnent de conquérir les rues de la capitale et notamment certains lieux symboliques. Depuis la réactivation du groupe il y a seulement quatre mois, ses militants ont participé à trois manifestations d’extrême droite et six tractages. Devant Assas, longtemps fief du groupe, mais aussi devant des universités emblématiques pour la gauche comme Science Po Paris ou La Sorbonne. À chaque fois est distribué le même tract qui appelle à la « riposte » contre la « vérole gauchiste » et revendique l’idéologie nationaliste-révolutionnaire du groupuscule. Une manière d’affirmer leur présence, et leur capacité à occuper le terrain.
Depuis la réactivation du groupe il y a seulement quatre mois, les militants du Gud ont participé à trois manifestations d’extrême droite et six tractages. Notamment devant des universités emblématiques pour la gauche comme Science Po Paris le 27 janvier dernier. / Crédits : DR
Dernière action en date, ce 17 février devant l’université de Nanterre (92), réputée « rouge » depuis mai 68. Pour l’occasion, les radicaux ont mobilisé un groupe de « 16 à 17 militants », nous affirme Saphia Aït Ouarabi, vice-présidente de SOS Racisme et étudiante, qui était sur place. Des militants vêtus de noir, au look très « casual » et pour beaucoup dissimulant leur visage, venus bander les muscles. Les deux tiers d’entre eux étaient visiblement chargés de sécuriser le tractage qui s’est déroulé sur le parvis de la gare, face à la fac. Une action musclée : au moins une femme voilée aurait été insultée et un jeune homme a été frappé, selon des vidéos filmées par des témoins que StreetPress a pu se procurer. Sur ces images apparaît, une fois encore, le même Marc de Cacqueray-Valménier qui – décidément – se soucie peu de son contrôle judiciaire. C’est avec son téléphone qu’est par exemple prise la photo immortalisant la scène et qui sera postée sur les réseaux sociaux.
La veille de cette descente, des gudards avaient collé dans le quartier de vieilles affiches de leur mouvement. Des visuels, datant de la décennie précédente, en témoigne le design différent du rat noir. L’utilisation de ces affiches témoigne à la fois de la continuité du groupe au fil des années, mais aussi des contacts qui existent entre les anciens et ceux qui ont repris le flambeau. « Ils n’ont pas pu reprendre le label Gud, sans obtenir l’aval des Châtillon et Loustau », assure un très bon connaisseur de la mouvance, à propos des anciens leaders du Gud aujourd’hui proches de Marine Le Pen.
À gauche, l'ancienne affiche du Gud. À droite, le nouveau logo. / Crédits : DR
Le 9 décembre dernier, les gudards avaient aussi tracté devant la Sorbonne à l’occasion d’un colloque sur la guerre d’Algérie co-organisé par SOS Racisme et le syndicat Solidaires. Une tentative d’intimidation. Sur ses réseaux sociaux, le Gud a revendiqué ensuite s’être opposé à cette « propagande culpabilisatrice et antifrançaise ».
Mais les rats noirs donnent aussi dans la ratonnade. Le 14 décembre dernier, le soir du match France-Maroc, une quarantaine d’hommes encagoulés et âgés de 17 à 36 ans se regroupent dans un bar du 17e arrondissement lorsque la police lance un coup de filet. Sur eux : matraques, gants coqués et bombes lacrymogènes. 38 sont placés en garde à vue et sept doivent passer devant la justice en septembre. Tous sont jeunes, nés entre 1999 et 2002. Tous sont des militants d’extrême droite radicale. Parmi eux, surprise, Marc de Cacqueray-Valménier.
Les militants du Gud se présentent avec un look très « casual » et pour beaucoup dissimulant leur visage. / Crédits : DR
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