« École occupée » ; « Un logement digne pour Mandel ! ». Sur l’école maternelle de Ménilmontant, des draps inscrits de slogans ont été accrochés. La nuit est déjà tombée ce vendredi 10 février, et des parents d’élèves attendent qu’on leur ouvre la porte, paquets de nourriture à la main. Dans la grande salle de l’école, des enfants se courent après. D’autres jouent sagement avec des dinosaures.
Entre deux armoires, une grande bâche bleue dénote avec le mobilier jaunâtre de l’Éducation nationale. En dessous, se trouvent toutes les affaires de Fatoumata Kouyate, entreposées là : « Il y a six ans d’affaires sous la bâche bleue. J’ai tout là. Quand je le vois, ça me fait quelque chose. Toute ma vie qui est dehors comme ça… », confie-t-elle, avant de fondre en larmes.
C’est la maman de Mandel, scolarisé en grande section et de Marie, qui va encore à la crèche. Ce soir, tout le monde est réuni pour elle. Jeudi, elle a perdu son logement dans un hôtel social du quartier, après avoir dénoncé l’insalubrité de ce dernier. Il est bien question de la reloger, mais à sept kilomètres de là, à Ivry-sur-Seine (94). Une « non-proposition » pour les parents d’élèves et l’équipe de l’école, qui ont promis d’occuper l’école jusqu’à ce que Fatoumata soit logée dans l’est de la capitale. Ils n’auront finalement pas besoin d’attendre très longtemps. Ce lundi 13 février, le maire du 20e arrondissement, Éric Pliez est venu annoncer la bonne nouvelle à Fatoumata. L’ancien président du Samu social lui a obtenu un hébergement d’urgence dans un hôtel à Louis Blanc, à quelques stations de métro.
Sous cette bâche, sont entreposées toutes les affaires de Fatoumata : « Il y a six ans d’affaires sous la bâche. J’ai tout là. Quand je le vois, ça me fait quelque chose. Toute ma vie qui est dehors comme ça... » / Crédits : Elisa Verbeke
L’insalubrité au Montana
Tout a commencé au début de l’hiver. Au Montana, un hôtel social où la petite famille vit depuis six ans, le chauffage ne marche plus. « L’hôtelier est venu voir, ça a fait pif ! Court-circuit, plus rien », raconte Fatou, calme de sa douce voix. « Les canalisations de l’hôtel se bouchent régulièrement. L’eau déborde et pourrit la moquette. » Elle est obligée de laver ses enfants et soi-même dans une bassine. Sa chambre d’hôtel est constituée d’un coin sanitaire, avec douche et WC, d’un frigo et d’un lit double superposé d’un lit simple, « mais on dormait tous les trois sur le lit double car une nuit, la barrière s’est cassée et Mandel est tombé. »
Pour illustrer son récit, elle fait défiler les photos sur son téléphone. On y voit des planches en caillebotis noircies par l’humidité. Les murs remplis de moisissures, une centaine de larves sous un lavabo, la douche noire de champignons, le chauffage cassé, la moquette qui prend la fuite… Entre deux fichiers, une photo de Mandel, grand sourire devant un petit fraisier. « Le 26 janvier, c’était son anniversaire », commente Fatou. Sa petite sœur le fixe de ses grands yeux, la bougie enfoncée dans la pâtisserie éclaire leurs visages enfantins. Fatou est arrivée de Guinée-Conakry en 2016 et ne s’attendait pas à connaître autant de galères, alors :
« Je fais tout pour que les enfants pensent qu’on vit dans de bonnes conditions, qu’ils ne se rendent pas compte que je suis épuisée. »
Pour illustrer son récit, Fatou fait défiler les photos sur son téléphone. On y voit les murs remplis de moisissures, des larves sous un lavabo et le sol rongé par l'humidité. / Crédits : Elisa Verbeke
Délogée du Montana
Pour Fatoumata, le Montana, ce n’est plus possible. « Si on n’arrête pas, on va nous tuer à petit feu. Parce qu’on s’étouffe. On est tous sous ventoline et antibio. Mes enfants saignent du nez la nuit. » Elle décide de prendre la parole pour dénoncer ses conditions de vie. Le 24 janvier, elle participe à une réunion-débat dans l’espace associatif de la Flèche d’or du 20e arrondissement, et raconte publiquement – pour la première fois – le cauchemar qu’elle vit dans sa chambre d’hôtel. Sur place, un représentant du Samu social, de l’association Dal (Droit au logement) et d’autres acteurs du milieu sont présents. Elle est entendue : quelques jours après, le Samu social de Paris est venu constater que le logement était impropre à l’hébergement. Et le 9, on lui attribue une nouvelle chambre… à Ivry-sur-Seine (94).
Jeudi 9 février, Fatou reçoit un SMS du Samu social 94 : « Vous devez quitter votre logement aujourd'hui avant midi et rendre les clés à l'hôtelier. » / Crédits : Elisa Verbeke
Un problème de taille pour une mère célibataire sans voiture. Pour faire Ivry-Ménilmontant, comptez une heure de métro, avec trois changements. Compliqué avec une poussette. « Je ne sais pas comment je vais faire. Mon médecin est ici, Mandel est dans cette école, Marie est à la crèche à côté, je dois reprendre une formation en mars dans le quartier, j’ai même une promesse d’embauche dans un restaurant à Gambetta (un quartier du 20e) », anticipe Fatou. « Elle est installée humainement dans ce quartier, toute sa vie est ici ! », observe Cécile, enseignante de l’école. À cela s’ajoute la vétusté du nouvel hébergement d’urgence selon Fatou :
« Quand je suis allée voir à Ivry, il y avait deux cafards dans la chambre et les volets étaient cassés. »
Une affaire de paperasse
Si Fatoumata Kouyate est envoyée dans le 94, c’est en raison du système d’attribution d’hébergements sociaux. « Quand son fils est né dans le 94, il n’y avait pas d’hébergement dans le Val-de-Marne. On l’a donc placée à Paris, ici dans le 20e, mais elle reste [d’un point de vue administratif] rattachée au Samu 94 », explique Cécile. Elle n’est donc pas prioritaire pour un hébergement d’urgence à Paris.
Quand elle reçoit le SMS qui lui annonce son déménagement dans le 94, le jour même, elle s’effondre : « C’était trop pour moi », s’émeut Fatou. « Je suis dans un groupe WhatsApp avec les parents d’élèves, on a tissé un lien fort, comme une famille. On s’entraide. J’ai écrit dans le groupe : “Urgence, SOS, j’en peux plus.” Ils m’ont appelée, j’ai tout expliqué, ils ont dit : “Non non non non ! On ne va pas laisser passer ça !” On a organisé une marche pour aller à la mairie du 20e, jeudi après-midi. Je suis bien entourée. » C’est l’adjointe au maire de l’arrondissement, Anne Baudonne, qui la reçoit. « J’ai senti qu’elle se mettait vraiment à ma place, qu’elle m’avait comprise », retrace Fatou, les yeux brillants. Des députés et leurs suppléants ont aussi soutenu la mère de famille.
« Les parents d'élèves m’ont appelée, j’ai tout expliqué, ils m'ont dit : “Non non non non ! On ne va pas laisser passer ça !” » / Crédits : Elisa Verbeke
Finalement, ce lundi 13 février, la bonne nouvelle tombe. Le maire du 20e arrondissement, Éric Pliez, a obtenu le transfert du dossier du Samu 94 au Samu 75 et un hébergement d’urgence a été trouvé dans un hôtel à Louis Blanc. En situation régulière, Fatou bénéficie d’un titre de séjour de dix ans. Elle a été licenciée de son emploi de cuisinière pendant la crise sanitaire, mais elle n’a pas perdu pied. Cécile ajoute :
« Elle est en lien avec Des étoiles et des femmes, une association qui accompagne l’insertion des femmes dans les métiers de la restauration. Elle vient d’obtenir une formation en CAP et une promesse d’embauche dans le quartier ! »
Cet article est en accès libre, pour toutes et tous.
Mais sans les dons de ses lecteurs, StreetPress devra s’arrêter.
Je fais un don à partir de 1€Si vous voulez que StreetPress soit encore là l’an prochain, nous avons besoin de votre soutien.
Nous avons, en presque 15 ans, démontré notre utilité. StreetPress se bat pour construire un monde un peu plus juste. Nos articles ont de l’impact. Vous êtes des centaines de milliers à suivre chaque mois notre travail et à partager nos valeurs.
Aujourd’hui nous avons vraiment besoin de vous. Si vous n’êtes pas 6.000 à nous faire un don mensuel ou annuel, nous ne pourrons pas continuer.
Chaque don à partir de 1€ donne droit à une réduction fiscale de 66%. Vous pouvez stopper votre don à tout moment.
Je donne
NE MANQUEZ RIEN DE STREETPRESS,
ABONNEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER