Aubervilliers (93) – « On a des personnes qui sont en garde à vue, pour avoir occupé une salle étudiante. Il y a une semaine, une assemblée générale (AG) a été dégagée par la police à Strasbourg. C’est une offensive contre nous, étudiants », tonne Leda, étudiante en master 2 et syndiquée à Solidaires étudiant. Ce mardi après-midi, devant le centre des colloques tout neuf de l’EHESS, l’École des hautes études en sciences sociales, plus d’une centaine d’étudiants se sont réunis pour protester contre des interpellations qui ont eu lieu la veille sur le campus Condorcet, où se situe l’école.
C’est ce lundi 23 janvier qu’une vingtaine de personnes, dont trois syndiqués à Solidaires étudiants, revendiquent l’occupation d’un espace associatif et culturel, situé dans la cabane en bois, en face du restaurant universitaire. Ils protestent contre la réforme des retraites et aussi contre la réforme d’entrée en Master. Les occupants lancent un appel à une assemblée générale à 20h30.
20h25, les premiers convives arrivent. Surprise, ce ne sont pas des étudiants, mais des policiers, invités pour l’occasion par le président du campus Condorcet – le seul à pouvoir demander l’intervention des forces de l’ordre, selon l’article L712-2 du Code de l’éducation.
Naila, une étudiante syndiquée à Solidaires, assiste à la scène. À 20h passées, elle sort d’une autre AG avec son syndicat, quand elle voit des dizaines de voitures de police dans la rue des Fillettes, celle qui dessert les différents bâtiments du campus. Elle raconte qu’environ « 15 policiers ont pénétré le bâtiment. Ils ont d’abord vérifié les identités des occupants. Puis à 22h, ils ont embarqué tout le monde ». Direction les commissariats alentours : « Selon eux, à Aubervilliers, Stains, Saint-Denis et Epinay-sur-Seine », précise Naila.
Selon les informations de France Info, le parquet de Bobigny a placé 29 personnes en garde à vue ce lundi 23 janvier. Les étudiants ont été placés en garde à vue pour « dégradations », selon maître Hanna Rajbenbach, qui est une de leur avocate, avec maître Raphaël Kempf. Contactée, la préfecture de police a expliqué à StreetPress que « plusieurs individus cagoulés et armés de barres de fer » auraient « forcé les portes » du fameux local et auraient « bloqué les accès après y être entrés ». « Impossible », pour Leda qu’il y ait eu une entrée par effraction. La syndicaliste explique que cette salle est ouverte, meublée de canapés et expressément conçue pour que des étudiants s’y installent. Le parquet a également affirmé à France Info qu’il ne s’agissait pas d’étudiants, mais de militants anarchistes. Pour Leda, l’assemblée était composée de différents groupes de personnes, dont des camarades syndiqués et des anciens étudiants, qui ont arrêté l’EHESS, en colère contre les conditions d’enseignement. Elle finit :
« Je n’ai jamais entendu parler d’un groupe d’anarchistes. »
Du côté de maître Rajbenbach, on évoque des gardes à vues « vouées à réprimer et affaiblir un mouvement social étudiant, comme on les observe dernièrement pour les lycéens lors des blocus ou en fin d’année dernière dans les facs. »
Mobilisation et répression
De retour devant le centre des colloques ce mardi 24 janvier, de nouveaux étudiants rejoignent la mobilisation. Aux abords, sur les trottoirs de ce nouveau quartier d’Aubervilliers, une dizaine de policiers les surveillent. Il n’y a pas cours cet après-midi, les bâtiments ont été fermés par l’administration et les étudiants n’ont pas été prévenus. L’humathèque, une bibliothèque consacrée aux sciences sociales, le Crous, et le centre des colloques qui réunit régulièrement des chercheurs du monde entier, aussi. Pour Leda, syndiquée Solidaires EHESS :
« Ils ont voulu fermer tous les lieux assez grands que l’on aurait pu utiliser pour se mobiliser aujourd’hui. »
Sans succès. Un étudiant tonne, remonté : « On ne va pas discuter alors que 20 étudiants sont actuellement en garde à vue, et que les flics nous empêchent de nous mobiliser. On doit aller chercher le président dans son bureau ! ». Il tempête :
« On ne va pas rester plantés là sans rien faire ! »
Devant le groupe de manifestants qui a bien dépassé la centaine, l’étudiant, insurgé, montre le chemin vers le bâtiment de la présidence. Le trajet d’une centaine de mètres est rythmé aux chants de : « Libérez nos camarades ». Au passage piéton, une voiture s’arrête et le conducteur, déconcerté, laisse passer les quelque 200 manifestants qui huent désormais les policiers.
Une partie des étudiants s’engouffre dans le bâtiment du président. Dans ce grand building blanc et propre, le hall est trop petit pour accueillir tout le monde. Quelques-uns arrivent à monter les escaliers qui mènent au bureau du président. Les autres sont retenus manu militari par un agent de sécurité, en uniforme rouge : « J’ai besoin d’aide ! », crie ce dernier. Un autre agent arrive à sa rescousse, et à eux deux, ils repoussent violemment des étudiants qui tentent de s’introduire dans la cage d’escalier. Plusieurs tombent au sol. « Vous n’avez pas le droit de faire ça », reproche l’un.
Une poignée d’étudiants arrive à atteindre le bureau du président. À l’intérieur, une délégation inter-professionnelle du personnel de l’EHESS (chercheurs, chargés d’édition, etc.) discute déjà avec le président. Au pied du bâtiment, les étudiants continuent de scander : « Libérez nos camarades ».
Espaces non-adaptés
Outre leurs protestations contre la réforme des retraites et celle d’entrée en Master – « une plateforme de sélection sociale », lâche Leda –, les étudiants veulent également alerter sur leurs conditions d’études. Les bâtiments qui s’érigent autour du campus Condorcet sont pourtant flambant neufs. Ils ont été livrés en 2021 et l’Etat les loue très cher auprès de promoteurs immobiliers. « On dirait une entreprise, pas une fac », plaisante Leda en scrutant les tours de verre. « Ce n’est pas fait pour les étudiants. Le bâtiment n’est pas fonctionnel. Les salles sont toutes petites, plutôt calibrées pour des doctorants et pas des masterants. Parfois, il y a 20 places et on est 150 ». Malgré une promesse du président du campus, Pierre Paul Zalio, aucune salle suffisamment grande n’est mise à leur disposition. « On a aussi des retours horribles sur la question de l’accessibilité par des gens qui sont en situation de handicap », reproche Leda.
Mobilisation efficace
Après plusieurs heures de mobilisation, vers 17 heures, les étudiants ont fini par obtenir gain de cause : « On continue à maintenir le rapport de force », explique Leda, présente avec ses 150 camarades dans une salle en face du bureau du président. Confiante, elle ajoute : « et la présidence a fini par appeler le cabinet du ministère de l’Enseignement supérieur. La préfecture a été informée des vœux du président du campus de la levée des gardes à vue ».
22 heures de garde à vue plus tard, à 20 heures, les 29 interpellés sont finalement libérés.
Illustration de Une réalisée par Nayely Rémusat
Mise à jour le 25 janvier à 13h avec la déclaration de maître Hanna Rajbenbach.
Mise à jour le 26 janvier à 10h avec la version de la préfecture de police.
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