En ce moment

    09/12/2022

    « Ça n’est pas une vie d’habiter dans un camp collé au périph’ »

    Vasile, Josef et Mariza voudraient quitter le bidonville pour un vrai logement

    Par Elisa Verbeke

    Vasile, Josef et Mariza font partie de la même communauté rom de Paris. Ils voudraient un travail, avoir accès aux mêmes droits que les autres ressortissants européens et trouver un logement. Mais la muraille administrative corse leurs démarches.

    « Bonjour Monsieur Nicolas ! », s’exclame Vasile (1) souriant. Le jeune homme de 25 ans accueille à bras ouverts Nicolas Clément, un des représentants du Secours catholique. Une figure sur le bidonville, situé au sud de Paris, à côté du périphérique (2). Vasile habite une baraque de dix mètres carrés, à côté de celle de ses parents et pas loin de celle de Josef (1), son cousin. À l’intérieur, tout est propre et bien rangé. Des tapis et des draps recouvrent les murs et le plafond. Un poêle en ciment réchauffe la pièce. Il sert aussi de cuisinière, de cendrier et de poubelle : « Tradition romani ! », s’exclame-t-il, toujours souriant. Le grand gaillard aux yeux bleus et aux traits fins propose un Fanta et lance la conversation sur ses démarches administratives. Depuis un an et demi qu’il est en France, il a trouvé un CDI pour bosser sur les chantiers, il a appris le français et vient enfin de trouver un logement social :

    « Trouver du travail c’est facile, mais un logement impossible. Je n’en peux plus du platz. Ça n’est pas une vie ici dans la boue à côté du périph’. »

    Ce mercredi soir, comme toutes les semaines, une petite équipe de bénévoles vient rencontrer les habitants du platz, le nom donné par les Roms à leurs bidonvilles. Nicolas Clément, sur le terrain depuis plus de dix ans, explique : « C’est à nous de venir les voir et de maintenir le lien ». Il a remporté le prix Seligmann contre le racisme avec son livre La précarité pour tout bagage, publié aux éditions de l’Atelier. Avec les autres bénévoles, il accompagne les habitants du platz dans leurs démarches administratives ou aide les enfants à faire leurs devoirs. Voilà plusieurs semaines que l’équipe tente de débloquer les problèmes des riverains à la banque ou leurs tentatives d’accéder à un logement social. Car la majorité voudrait quitter le platz.

    Muraille administrative

    « Monsieur Nicolas, ma banque ? », interpelle Josef, le cousin de Vasile. Il habite le platz avec sa femme, Ana (1), et ses deux enfants de cinq et huit ans. Le jeune homme de 26 ans est plaquiste : « Lui parle anglais ! Il vient d’arriver en France, il était à Londres pour travailler avant. Mais il nous a rejoints ici », raconte Vasile. Au platz, tout le monde a un travail. Les hommes les plus jeunes ont des contrats sur les chantiers. Leurs pères sont agents d’entretien dans les immeubles du quartier. Quelques femmes font de la récup dans la rue. Mariza (1), la cousine de Vasile, passe souvent les mercredis. Elle vit dans un autre platz en banlieue avec son mari et ses deux enfants de 13 et huit ans. La maman de 26 ans écume la ville tous les jours à la recherche de ferraille. En moyenne, leur salaire tourne autour « d’une quarantaine d’euros, soit 20 euros par personne par jour » :

    « Les bons jours, avec mon mari, on peut gagner 70 euros. »

    Les autres femmes gardent leurs enfants et ceux de leurs voisins. Elles les amènent à l’école ou au foot, et gèrent la vie quotidienne du platz. Les maisons sont bien tenues, le linge est fait, les enfants sont nourris et ne sont jamais seuls. Ces emplois invisibles ne permettent pas aux femmes du platz d’avoir des fiches de paie ou de contrat. Vasile le confirme, avec son éternel sourire :

    « Ici, aucune femme n’a un contrat. C’est que les mecs ! »

    Pour ouvrir un compte en banque ou trouver un logement, il faut de multiples papiers officiels. Et surtout des contrats de travail. La plupart des étrangers se heurtent à une muraille administrative en France. Cela fait deux mois que Josef essaie d’ouvrir un compte à la banque. Malgré son contrat, ses fiches de paie et sa domiciliation à l’appui, impossible d’avoir un rendez-vous. C’est Stéphane, un bénévole qui ira directement à la banque pour en dégoter un. « En attendant, mon patron envoie l’argent sur le compte de Vasile, qui me le donne en liquide. »

    Depuis six ans qu’ils sont en France, Mariza et son mari n’ont pas de carte vitale. « Pour quoi faire ? Pas besoin ! C’est trop compliqué », clame son mari. Alice, une des bénévoles, raconte :

    « Les Roms sont confrontés à du racisme institutionnel. »

    C’est le cas de Vasile. « Il travaille depuis un an, il a donc automatiquement un numéro de sécurité sociale affilé. Mais à la sécu, on lui a demandé des papiers non-obligatoires comme par exemple un titre de séjour, quand bien même il est Européen. Puis l’administration a perdu son dossier. » Il a fallu repartir de zéro. Après neuf mois de démarches, il a finalement eu accès à la sécurité sociale. « Pendant tout ce temps, je ne pouvais pas demander de logement », explique Vasile.

    Quitter le platz

    Vasile est un des seuls à avoir trouvé un logement social aussi rapidement. La muraille administrative sépare Josef, son cousin, et d’autres, de cette possibilité.

    À quelques baraques de là vivent Robert (1), 60 ans, sa femme et ses deux petits enfants. C’est le patriarche du camp, le chef. Et il prend parfois son rôle trop au sérieux d’après Vasile. La mère de ce dernier a quitté son emploi de cuisinière en Roumanie pour venir en France garder Artur (1), son petit-fils, quand Vasile part travailler. Elle regrette des mentalités datées :

    « Je n’en peux plus de Robert. Il a essayé de dissuader Vasile de partir. Il lui a fait peur en disant que les services sociaux allaient saisir son fils ! Mais moi, j’en ai marre : quand je partirais d’ici, je bloquerais tous les gens du platz de mon téléphone. »

    Au fond de la rue, Matyas (1), 20 ans, vient presque tous les jours au platz pour aider sa mère. Après un apprentissage, il décroche un contrat et installe des chambres froides dans tout le pays. Il parle très bien français, mais précise : « Je parlerais mieux si je travaillais avec des Français. Je suis dans une entreprise tenue par des Roumains ». Assise sur le lit, sa mère est fatiguée. Elle ne parle pas du tout français et se contente de sourire timidement. Sur son bras, le nom de son premier mari est tatoué maladroitement. « ALEXANDRE », en lettres majuscules. Natalia (1) n’a plus de mari et ne travaille pas. Matyas passe régulièrement lui faire à manger.

    Juste à côté, Daniela (1) fume cigarette sur cigarette. Elle semble agitée. La jeune femme de 26 ans habite dans la plus grande baraque du camp, d’une vingtaine de mètres carrés, avec ses deux filles de moins de trois ans. Troublée, elle assure dans un français maladroit : « Je suis en train de devenir folle, je vous jure. Je parle toute seule ! ». Elle ne quitte que très peu le camp, comme la plupart des femmes. C’est son mari qui travaillait. Mais cette semaine, il est parti au beau milieu d’une nuit avec une autre. L’homme a bloqué Daniela sur toutes les plateformes. Elle reste seule avec leurs deux enfants. Elle pleure et peste contre lui à voix haute. Elle raconte être trop âgée pour la mission locale, qui lui offrirait pourtant un accompagnement pour trouver un projet de formation ou de travail. En attendant, « les gens du platz me donnent de quoi vivre, nourrir mes filles, m’acheter des cigarettes. » Quand on lui demande si elle souhaite un hébergement, Daniela secoue la tête :

    « Je veux rester ici, il y a tout le monde. »

    (1) Les noms ont été modifiés pour ne pas nuire à leurs démarches administratives.

    (2) Par peur des représailles, les habitants du camp et les associations nous ont demandé de ne pas mettre le lieu exact du platz.

    Image d’illustration d’un bidonville à Paris, sous le Pont des Poissonniers, le 18 mars 2017, par André Feigeles via Wikimedia Commons. Certains droits réservés

    Cet article est en accès libre, pour toutes et tous.

    Mais sans les dons de ses lecteurs, StreetPress devra s’arrêter.

    Je fais un don à partir de 1€
    Sans vos dons, nous mourrons.

    Si vous voulez que StreetPress soit encore là l’an prochain, nous avons besoin de votre soutien.

    Nous avons, en presque 15 ans, démontré notre utilité. StreetPress se bat pour construire un monde un peu plus juste. Nos articles ont de l’impact. Vous êtes des centaines de milliers à suivre chaque mois notre travail et à partager nos valeurs.

    Aujourd’hui nous avons vraiment besoin de vous. Si vous n’êtes pas 6.000 à nous faire un don mensuel ou annuel, nous ne pourrons pas continuer.

    Chaque don à partir de 1€ donne droit à une réduction fiscale de 66%. Vous pouvez stopper votre don à tout moment.

    Je donne

    NE MANQUEZ RIEN DE STREETPRESS,
    ABONNEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER