Face A, il y a Matthieu. Un mètre 75, il porte un jean simple, un blazer bien coupé, et une casquette sous laquelle se cachent des yeux pétillants, et un petit sourire en coin. Un visage fin aux tics nerveux : « Je suis toujours stressé », avoue-t-il. Son attachée de presse est présente pour l’occasion, « il n’aime pas être seul », s’avance-t-elle. Il vient de publier au début du mois d’octobre, Rien ne dure vraiment longtemps chez HarperCollins. Et le bouquin est déjà salué par la critique.
Face B, il y a Charles. Le héros de son livre et la voix de Crackopolis, un documentaire audio diffusé par Arte Radio. Charles est un alias que Matthieu s’est donné lorsque Jeanne Robet l’enregistre pour la série audio dédiée à sa consommation de crack. Il y a quelques années, il s’est retrouvé à errer dans le nord de Paris. Matthieu Seel raconte les camps de Porte de la Chapelle qu’il dépeint en voie sans issue où les habitants survivent dans la violence la plus dure. Ce gamin du 19ème arrondissement de Paris, né sous X, retrace dans son roman autobiographique sa quête identitaire, de son enfance à la maîtrise de ses addictions.
Dans son roman autobiographique, Matthieu Seel raconte l’addiction au crack. Il explique aussi comment il a pu s’en sortir. / Crédits : DR
L’addiction au crack, c’est un merdier dans lequel Matthieu est « arrivé tout seul ». Cette drogue dure à base de cocaïne qui se fume, provoque des effets très addictifs. L’usager se sent heureux et puissant pendant quelques secondes. Un état d’extase qui redescend au bout d’une demi-heure. Et qui conduit à une envie irrépressible de consommer à nouveau. Elle est peu chère, ce qui en fait une substance très accessible. Du parking (lieu de consommation dans Paris) à l’hôpital, Matthieu a réussi à se soigner et raconte ses déboires sous la forme d’une auto-fiction précise et rythmée.
C’est quoi le quotidien d’une personne à la rue et accro au crack ?
Vivre une journée dans la rue, c’est à la portée de n’importe qui. C’est dans la durée que ça se complique : c’est de la survie. Tout est rendu compliqué par le fait de ne pas avoir de maison, de ne pas avoir d’argent et de ne pas être sociabilisé. Si une sociabilisation existe dans l’environnement recréé, c’est à travers la survie. Certaines personnes ne parlent pas du tout, certaines sont complètement muettes, je n’ai jamais entendu leur voix. Certaines sont en permanence dans un délire, avec qui tu ne peux pas établir de discussion. Ils ont des propos incohérents, parce qu’ils vont et viennent. Il y en a qui sont complètement brûlés ! Tu le remarques parce qu’il y a des changements d’humeur. J’ai décidé d’en parler parce que je me dis : quand c’est aussi violent, pourquoi vouloir se le cacher ?
C’est quoi la violence dont tu parles ?
La violence elle est à la fois à l’intérieur [du groupe de consommateurs] et à l’extérieur. C’est la répétition d’actes de violence et c’est le regard des autres qui passent devant toi et t’ignorent.
La violence c’est la peur. La peur dans les yeux des gens qui ne font pas partie de ce milieu-là. Et je pense que c’est ça qui contribue beaucoup à l’isolement des personnes qui sont là. Une personne intégrée normalement, elle ne supporterait pas d’être là-bas plus de quelques heures.
Comment ça se passe dans les camps comme celui qui a été démantelé à la Villette en octobre ?
À la porte de la Chapelle ou de la Villette, ce sont d’autres codes de la vie en communauté qui s’appliquent. On parle bien d’une vie en communauté, d’un lieu où les gens cohabitent, mais sans eau, sans électricité, sans confort aucun. Imaginez-vous ne serait-ce qu’une nuit dormir à même le sol en plein air, dans la ville. Vous n’êtes plus à l’abri de rien d’un seul coup. Pour n’importe lequel d’entre nous ce serait un choc. Les gens survivent ensemble, c’est dans la nature de l’être humain.
Et quel sort pour les migrants qui les côtoient ?
Les migrants ne sont pas attirés par le crack. Ils cherchent un lieu de vie en communauté. C’est dramatique de constater que par défaut, ils n’ont accès qu’à ceux-là et pas d’autres !
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Comment l’addiction te fait perdre pied ?
À partir du moment où l’on a plus de liens avec son entourage et avec son milieu social on perd pied. À ce jour il n’y a pas de traitement de substitution, bien que cela soit à l’étude – Marie Jauffret-Roustide, chercheuse à l’Inserm, travaille sur la question en ce moment. Le meilleur traitement, c’est l’accès à l’hébergement et aux soins. On ne peut pas envisager de rétablissement sans ces deux composantes.
Comment es-tu sorti du crack ?
Il a fallu lire, beaucoup. Consulter des professionnels aussi. Il y a un tel travail à faire sur soi, c’est super important pour se reconstruire. Tu vas parler dans des groupes, tu rencontres plein de gens dans des endroits [hôpital psychiatrique], où tout le monde est enfermé pour les mêmes raisons et qui ont choisi de se soigner. Avec les rencontres, ta capacité d’écoute te permet de te situer dans un environnement avec d’autres acteurs. Tu peux te construire une bulle. Ceci dit, je pense que c’est le travail d’une vie. Tout le monde, addiction ou pas, doit avoir dans sa vie des moments de questionnement. C’est nécessaire d’aller lire, écrire, d’en parler, d’écouter et d’être écouté aussi.
Tu as vu d’autres gens s’en sortir aussi ?
Tout ce que je peux dire, c’est qu’il y a des gens qui disparaissent. Probablement, certains s’en sont sortis, mais on n’a pas de traces, on ne sait pas. C’est ce que disent les gens du milieu. Ils savent rarement ce qu’ils sont devenus une fois qu’ils ont quitté le centre de soins.
Les gens dans la rue ont-ils des problèmes de santé mentale ?
Les gens dans la rue ont pour certains des pathologies mentales lourdes qu’on a beaucoup de mal à récupérer. Si tu passes deux jours au milieu de ces gens, tu vas repérer tout de suite qui est qui et à peu près à quel degré ils en sont.
Ils sont en rupture avec la société, souvent avec leur famille. C’est comme les gamins à l’école : des fois, il y en a qui dégagent, mais c’est à nous de les garder dans notre système. Je dirais que les gens qui sont dans la rue et dans l’addiction, sont peut-être en rupture parce qu’ils ont une pathologie mentale. Mais de toute façon quand c’est le cas, tu continues la rupture. Et on s’en fout de savoir ce qui est à l’origine. Le but du jeu est d’arriver à sortir les gens de la rue. Mais je peux dire que le système de santé, il est là, il existe. Seulement, il est à la portée de ceux qui savent aller chercher et de ceux qui savent s’en servir. C’est ça qui est très compliqué.
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