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    02/11/2022

    Le maire avait promis qu’elle ne payerait pas de loyer

    La mairie de Saint-Denis menace d’expulsion l’association d’aide alimentaire MaMaMa

    Par Lina Rhrissi

    L’asso’ d’aide alimentaire risque d’être expulsée parce qu'elle ne peut pas payer 18.000 euros par mois. Dans une vidéo que StreetPress s’est procurée, le maire PS de Saint-Denis, Mathieu Hanotin, assurait qu’il ne leur demanderait pas de loyer.

    Début octobre, un huissier est venu apporter une mauvaise nouvelle aux cofondatrices de l’association MaMaMa : une assignation en justice. La Société d’Économie Mixte (SEM) Plaine Commune Développement, aménageur public de neuf villes du 93 dont Saint-Denis, demande au tribunal de Bobigny « d’ordonner l’expulsion de l’association MaMaMa et de tous occupants de son chef, avec au besoin le concours de la force publique ».

    La raison ? MaMaMa, créée en plein confinement pour nourrir mères isolées et nourrissons, occupe un hangar de 1.200 mètres carrés mis gracieusement à disposition il y a deux ans par la mairie de Saint-Denis (93). Mais l’association n’a pas payé les 18.000 euros de loyer par mois qui lui sont demandés depuis décembre 2021. L’audience a lieu ce jeudi 3 novembre.

    Depuis le début du conflit qui oppose la mairie de Saint-Denis et MaMaMa, les cofondatrices de l’association Magali Bragard, Marguerite Delalonde, Marielle Alluchon, et Aïcha Diémé répètent que le maire leur avait assuré qu’il ne leur ferait pas payer de loyer pour occuper ce local destiné à la destruction en 2024.

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    La mairie de Saint-Denis menace d’expulsion l’association d’aide alimentaire MaMaMa. / Crédits : Lina Rhrissi

    Promis, juré, pas de loyer à payer

    StreetPress s’est procuré une vidéo, dont nos confrères de Libération avaient déjà évoqué l’existence, qui confirme en partie cette version. Le 16 février 2021, le maire Mathieu Hanotin (PS), également président de la SEM Plaine Commune, rend visite à l’asso’. Après avoir assuré les cofondatrices de son soutien, derrière son masque, il déclare :

    « Moi je ne vais pas vous demander 200.000 euros alors que vous faites de la solidarité. Ça, c’est pas une option. On ne veut pas le faire. Et pour autant, on a cette contrainte économique qui fait qu’à la fin, on ne peut pas non plus vous donner 200.000 euros de subventions. […] Au-delà de la question même de savoir si vous pouvez payer ou pas, moi, je ne trouve pas ça normal que l’on porte sur votre charge, entre guillemets, 20.000 euros de loyer mensuel. »

    Mathieu Hanotin rassure les cofondatrices sur son souhait de travailler avec elles « dans un partenariat de long terme ». Mais il les prévient qu’elles vont devoir quitter les lieux rapidement et qu’il les aidera à trouver une autre solution immobilière. Il dit avoir déjà « deux pistes », qui pourraient leur permettre de s’installer durablement sur le territoire de Plaine Commune.

    L’ancien député de Seine-Saint-Denis ajoute :

    « L’essence de l’association, il faut la pérenniser. Quand il y a plus de 100 personnes, 150 personnes [les bénévoles, NDLR] qui donnent de leur temps pour une cause d’intérêt général, honnêtement, c’est quelque chose qu’il faut valoriser. »

    Et pour cause : en deux ans d’existence, MaMaMa revendique avoir soutenu plus de 70.000 femmes et enfants en distribuant chaque semaine plus de 500 colis. L’asso’ collabore avec la Croix-Rouge, Action contre la faim, France terre d’asile ou les Restos du cœur. Elle fournit aussi 110 centres de santé en Île-de-France. Fonctionnant d’abord exclusivement grâce à ses bénévoles, l’organisation compte aujourd’hui sept salariés, deux apprentis et huit services civiques.

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    En deux ans d’existence, MaMaMa revendique avoir soutenu plus de 70.000 femmes et enfants en distribuant chaque semaine plus de 500 colis. / Crédits : Lina Rhrissi

    Contactée par StreetPress, la première adjointe au maire Katy Bontinck confirme que Mathieu Hanotin est allé rendre visite à l’association et que les propos tenus par le maire sont cohérents avec le contexte de l’époque. Elle rappelle que la France était encore confinée, mais que l’activité économique était sur le point de redémarrer normalement. Par mail, Katy Bontinck nous écrit :

    « Le maire informe MaMaMa que la SEM va devoir reprendre la location classique de ses entrepôts à des acteurs économiques ou de l’ESS en capacité de financer un loyer. »

    Selon l’élue, ces loyers sont indispensables pour limiter la dette qui pèse sur les collectivités locales : « Il s’agit d’une question de bon usage de l’argent public », tranche-t-elle.

    Un local offert gracieusement par un adversaire politique

    Comment la relation entre l’asso’ et la mairie est-elle devenue si explosive ? MaMaMa est née en mars 2020, en pleine pandémie. Les quatre amies sont bénévoles de la plateforme Covidom de l’AP-HP où elles assurent le suivi téléphonique des personnes qui ont attrapé le Covid. Magali, photographe de métier, se souvient :

    « Au téléphone, on avait des mamans qui n’avaient pas pu acheter à manger depuis un ou deux jours. »

    Elle réalise que la précarité infantile est l’angle mort de l’aide alimentaire. Alors, avec Marguerite et Marielle, elle bombarde les entreprises d’e-mails. Blédina leur envoie 13 tonnes de nourriture pour bébé et Mam Baby, une marque de biberons, quatre palettes de produits.

    Sauf que pour stocker tout ça et préparer les colis, il leur faut un local. C’est le maire de Saint-Denis de l’époque, Laurent Russier du Parti communiste français (PCF), qui leur répond par la positive. En juin 2020, la mairie leur signe une première mise à disposition gratuite pour un hangar de 1.200 mètres carrés, dans les anciens studios d’AB Productions. La durée du bail précaire est fixée pour un an. Propriété de la SEM Plaine Commune Développement, il fait partie d’un ensemble voué à être détruit en 2024 pour être remplacé par un parc, des commerces et des logements pour certains sociaux. Aujourd’hui, il déborde de nourriture pour bébé mais aussi de poussettes, tables à langer, vêtements pour enfants ou produits d’hygiène.

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    Le nouveau local de l'association fait partie d’un ensemble voué à être détruit en 2024. / Crédits : Lina Rhrissi

    Le 28 juin 2020, au second tour des élections municipales, le candidat du Parti socialiste (PS), Mathieu Hanotin l’emporte face à son adversaire PCF. Dans la semaine qui suit, la nouvelle adjointe aux Solidarités Oriane Filhol rend visite aux cofondatrices de MaMaMa pour les féliciter. Mais elles ont l’impression de recevoir des signaux contradictoires. Magali dit sentir « des pressions » de la part de proches du maire fraîchement élu. Elle assure :

    « Certains de ses collaborateurs nous ont dit qu’on n’allait pas y arriver. »

    MaMaMa déclare sentir que leur présence dans ce local – qui pourrait rapporter gros – gêne. Inquiètes, les trois femmes proposent d’elles-mêmes de payer un loyer de 1.000 euros, puis de 5.000 euros.

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    L'association raconte sentir que leur présence dans ce local gêne. / Crédits : Lina Rhrissi

    Gloire dans le Washington Post et visite du nouveau maire

    Le 11 février 2021, le Washington Post publie un article qui parle de MaMaMa. Cinq jours plus tard, Mathieu Hanotin débarque au local accompagné de sa collaboratrice Oriane Filhol. « On avait eu zéro rapport avec lui avant ça », signale Magali. Une réalisatrice qui veut faire un documentaire sur l’association est présente ce jour-là et enregistre la scène.

    Pendant la conversation filmée, l’édile leur rappelle que le local va être détruit et que leur situation n’est pas pérenne. C’est à ce moment que Mathieu Hanotin leur assure ensuite qu’elles ne paieront pas de loyer de 20.000 euros et qu’il les aidera à trouver un nouveau local.

    Le 17 décembre 2021, pourtant, la SEM Plaine Commune leur propose un nouveau bail et leur annonce qu’elles devront désormais s’acquitter de 18.000 euros par mois soit 216.000 euros par an. Impossible pour elles de réunir une telle somme. Si l’asso’ déclare toucher 450.000 euros de subventions, ce sont des budgets « fléchés », destinés à financer les salaires ou des projets précis. D’autant qu’une grande partie des dons sont reçus en nature.

    C’est là que deux versions s’opposent. La mairie de Saint-Denis dit être arrivée au bout du soutien gratuit qu’elle peut apporter à MaMaMa après des mois de négociations infructueuses. L’élue socialiste Katy Bontinck justifie la décision de la mairie de couper court aux discussions par le non-respect du droit par l’association. Cette dernière réaliserait un accueil sur site de public, dont des enfants, sans autorisation ni mise aux normes, « ce qui nous inquiète particulièrement en matière de sécurité incendie du site. » Ce que dément MaMaMa.

    Quant à des locaux alternatifs, la première adjointe assure que la ville de Saint-Denis et Plaine Commune ont bien lancé des recherches pour en trouver et fait des propositions mais que « les conditions exigées par MaMaMa pour loger son projet associatif privé sont intenables ». L’asso’ prétend au contraire que les propositions n’étaient pas réalistes. Comme ces 80 mètres carrés dans une plateforme pour produits frais que la mairie leur a conseillé de louer. StreetPress a pu consulter un mail dans lequel le responsable de la plateforme estime lui-même que son local ne collerait pas aux besoins de MaMaMa.

    MaMaMa VS Hanotin : guerre ouverte sur les réseaux

    Malgré les mises en demeure, les responsables de MaMaMa décident de rester dans les locaux. Et de médiatiser ce qu’elles vivent comme une injustice. Le 19 juillet 2022, elles publient sur les réseaux sociaux une vidéo exposant le conflit qui les oppose à la mairie de la plus grande ville du 93. Lara, la coordinatrice de l’association, lance :

    « Leur message est clair, ils ne veulent pas de nous ici. »

    La capsule est relayée par des gros noms comme l’animateur Nagui ou l’actrice Julie Gayet. La journaliste vedette du PAF Léa Salamé tweete :

    « Bonjour Mathieu Hanotin. Pourquoi asphyxier l’association MaMaMa, qui aide les mères seules, démunies et leurs bébés ? Elles ont déjà aidé 70.000 femmes en deux ans. Je les ai vues agir. Elles se démènent et sont admirables. Ne les expulsez pas s’il vous plaît. »

    Du côté de l’hôtel de ville, on voit rouge. Dès le lendemain, Mathieu Hanotin publie un communiqué de presse cinglant sur son compte Twitter :

    « C’est avec consternation que la ville de Saint-Denis et la SEM Plaine Commune Développement ont pris connaissance de la campagne de dénigrement à leur encontre lancée par l’association MaMaMa. Il s’agit d’une réécriture des faits qui ne reflète en rien le soutien apporté par la Ville depuis mars 2020 sans lequel l’association n’aurait pu ni se créer ni se développer. »

    Et de conclure par un tacle aux célébrités qui se sont engagées derrière MaMaMa :

    « Les nombreux soutiens qui se sont manifestés pour interpeller comme souvent la Seine-Saint-Denis ne manqueront pas de poursuivre leur mobilisation pour trouver un local aux conditions exigées par l’association. »

    Magali, qui dit avoir vécu « un an d’enfer », ne comprend pas que la mairie de Saint-Denis ne les voit pas comme une chance pour la commune :

    « J’ai l’impression qu’ils nous considèrent comme un ennemi politique. »

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