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    10/06/2022

    Le squat de Montreuil est insalubre

    Montreuil : Malgré l’action du rappeur Kalash, 120 femmes et enfants sont menacés d'expulsion

    Par Clara Monnoyeur

    Fin mai, le rappeur Kalash a engagé une société pour vider et nettoyer un squat de Montreuil où vivent une centaine de femmes et d’enfants. Le squat est désormais menacé d’expulsion. Reportage.

    Montreuil (93) – Ibrahim, 12 mois, joue dans sa bassine bleue. Il s’esclaffe. Sa mère, Cherif, le savonne et lui fait couler de l’eau sur son petit corps frileux à l’aide d’un pot en plastique. Les deux se lancent des grands sourires et se marrent. Mais quand Cherif détourne les yeux de son fils, c’est un autre visage, plus dur, qui apparaît. Avec 120 autres femmes et enfants, elle vit depuis le mois de mai dans un squat de Montreuil. Le rappeur Kalash et sa femme Klara Kata, alertés par la journaliste et membre du collectif Entraide Montreuil Capucine Légelle, ont financé un nettoyage des lieux. Ça n’a pas été suffisant. Mercredi 8 juin à midi, trois documents ont été placardés sur la devanture de cet ancien restaurant chinois. Un arrêté du maire pour « mise en sécurité urgente ». Dans 48h, ils risquent l’expulsion. Depuis, les habitantes de l’avenue Pasteur vivent dans l’angoisse.

    « On n’a nulle part où aller », lance Cherif tout en essayant d’habiller son fils. Pas simple : le bambin se débat, toujours en riant. Comme toutes les autres femmes présentes ici, elle a quitté son pays. Pour Cherif c’était la Guinée. Ses parents sont décédés et elle s’est retrouvée à vivre avec son beau-père. « Il me violentait. Et ça devenait de plus en plus fréquent. » Elle décide alors de partir avec une de ses amies, en laissant derrière elle sa fille de 11 ans. Sa voix se brise :

    « On a pris le bateau, on a eu un naufrage. Ma copine est décédée dans l’eau. »

    Depuis qu’elle est arrivée en France, il y a un peu plus d’un an, elle alterne entre la rue et les solutions ponctuelles proposées par le 115. Elle se retrouve finalement devant l’hôtel de Ville de Montreuil. Sur le parvis, Cherif et les autres femmes rencontrent l’association Utopia qui leur fournit une tente chaque nuit dans le parc des Guilands. Le jeudi 12 mai, elle décide avec les autres femmes de s’installer provisoirement dans ce restaurant à l’abandon depuis une dizaine d’années.

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    Cherif et son fils Ibrahim vivent depuis le mois de mai dans ce squat de Montreuil. / Crédits : Clara Monnoyeur

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    Mercredi 8 juin, un arrêté du maire a été placardé pour « mise en sécurité urgente ». Les 120 femmes et enfants du squat risquent l'expulsion et vivent depuis 48h dans l'angoisse de retourner à la rue. / Crédits : Clara Monnoyeur

    Des fuites au plafond

    Cela fait plus d’un mois qu’elle vit ici. Mais Cherif est inquiète. Son fils souffre d’asthme et les conditions de vie dans le squat n’arrangent pas la situation. Des matelas sont disposés à même le sol, les uns collés aux autres. Il n’y a pas de douche, ni de quoi cuisiner. « Moi j’ai mal à la gorge, ça me fait très mal », soupire d’une voix basse et cassée Timite Aminata. « Ça m’inquiète. Ici tout le monde est malade, tout le monde est enrhumé », ajoute celle qui est enceinte de plusieurs mois. Elles sont une dizaine de femme à arborer un ventre rond. « Je suis fatiguée, tout le monde est fatigué ». Les femmes sont aussi stressées pour Hawa (1), et son fils Amadou, né il y a une dizaine de jours :

    « J’ai appelé le 115, on m’a donné deux jours à un endroit, puis deux jours à un autre, mais je ne peux pas me promener deux jours ici et deux jours là avec un nouveau-né ! »

    Fin mai, la journaliste et bénévole Capucine Légelle contacte sur les réseaux sociaux le rappeur Kalash et sa femme Klara Kata. Le couple, ému par la situation, finance la venue d’une société pour vider et nettoyer le squat. Le lieu reste malgré tout « dangereux », juge Hawa. L’intervention aurait même « aggravé la situation », assure la mairie qui s’appuie sur un rapport d’un expert missionné par le tribunal administratif. Elle juge la situation intenable. Dans l’arrêté pour « mise en sécurité urgente » placardé entre deux tags, des collages, des affiches d’un meeting solidaire et du NPA, il est écrit : « Le plafond de l’ancienne cuisine est partiellement effondré par suite d’infiltrations d’eau (…), le plancher bois des combles est également effondré et surchargé » mais aussi « l’occupation illicite des lieux est à l’origine de branchements électriques sauvages qui présentent un risque important d’électrocution et d’incendies », ou encore : « Les eaux usées stagnantes peuvent représenter un risque sanitaire pour les occupants. » Ange, cheveux nattés attachés lance à travers le groupe de femmes rassemblées dehors : « Moi plus rien ne me fait peur, j’ai traversé la Libye, la Méditerranée, j’ai passé sept jours dans l’eau, avec des requins, ce n’est pas des plaques de plâtre qui gouttent ou une expulsion qui me font peur. »

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    Hawa, Salimata, Fatou et sa fille Kady. Les femmes du squat demandent que chaque famille « soient relogées ». / Crédits : Clara Monnoyeur

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    Le squat est un ancien restaurant chinois abandonné depuis une dizaine d'années. / Crédits : Clara Monnoyeur

    Le collectif est accompagné par deux avocates. L’une d’elles, maître Hanna Rajbenbach dénonce à StreetPress : « Nous soutenons le collectif dans leurs recours contre l’arrêté pris par le maire qui, de manière parfaitement hypocrite, sans qu’aucune autorité ne propose de solutions de relogement, invoque une nécessité de mise en sécurité urgente alors qu’il n’entraînera qu’un retour à la rue d’une centaine de femmes et enfants dont le plus jeune a 12 jours. » Elle explique que les habitantes de l’avenue Pasteur ont « conscience que cet endroit ne peut être que transitoire » mais elle pointe leur volonté « d’obtenir des délais pour avoir une chance de pouvoir trouver des solutions de relogement. »

    Pour Mama Doucouré, conseillère municipale déléguée au droit des femmes qui vient régulièrement échanger avec les habitantes du squat, la mairie fait face à un dilemme : « Il est difficile de déterminer si les personnes sont plus en sécurité à l’intérieur du squat ou dehors ». Elle déplore cependant qu’aucune solution n’ait été proposée avant de décider de l’expulsion. Et indique ne pas avoir entendu parler de possibles propositions à ce jour.

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    Des matelas sont disposés à même le sol, les uns collés aux autres. Il n’y a pas de douche, ni de quoi cuisiner. / Crédits : Clara Monnoyeur

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    Vu l'insalubrité, les habitantes de l'avenue Pasteur ont « conscience que cet endroit ne peut être que transitoire ». / Crédits : Clara Monnoyeur

    Après l’expulsion, le flou

    « Si au moins on nous proposait un hébergement, mais là on vient juste nous dire : “On va vous expulser”. Mais on va aller où ? On va aller où ? », répète Salimata, adossée sur la porte d’entrée, le regard perdu dans le vide. « On a peur, tout le monde est perturbé. On a peur de retourner à la rue. » Devant elle, Mohamed et Ismaël, 12 mois, se courent après, et jouent à taper du pied dans un ballon. Leurs cris de joie sont recouverts par le brouhaha ambiant et les allées et venues dans la pièce sombre.

    À LIRE AUSSI : À Montreuil, une maternité pour les femmes en détresse

    Salimata fait partie du trio « référent » du squat, avec Mariam et Ange. Venue de Côte d’Ivoire, elle est arrivée en France il y a un an et huit mois. Elle n’a pas d’enfants et est partie seule, après avoir fui « des violences sexuelles et un mariage forcé ». Elle a traversé le désert à pied, avant de passer trois jours sur un bateau pour atteindre l’Italie. En France, elle est d’abord hébergée par son neveu et sa femme. Mais ils se séparent « et sa femme m’a mise dehors ». Elle trouve refuge chez un ami qui l’héberge pendant plusieurs mois « puis il m’a dit de lui faire un enfant mais moi je ne voulais pas, donc il m’a mis dehors, et je suis retournée dans la rue », confie-t-elle, le regard fixe et détaché.

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    Les habitants du squat ont rédigé un communiqué demandant l’annulation de l'arrêté de la mairie « jusqu’à ce qu’une solution pérenne soit trouvée pour tous ». « Ne pas le faire c'est prendre la responsabilité de ce qui arrivera à nos nourrissons dans la rue. » / Crédits : Clara Monnoyeur

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    Le collectif des femmes a mis en ligne une cagnotte ainsi qu’une liste de leurs besoins. / Crédits : Clara Monnoyeur

    L’angoisse est aussi présente chez Mahoua, arrivée en 2019 sur le territoire. Elle aussi a fui un mariage forcé. « Mon mari est décédé, on voulait me donner au frère de mon mari, j’ai refusé et j’ai dû fuir pour venir ici. » Elle a fait une demande d’asile « qui n’a pas marché ». Devant elle, il y a sa fille, Aminata, six mois, qui gigote tout sourire dans sa poussette. Elle a dû laisser ses deux filles jumelles de sept ans et son fils de quatre ans en Côte d’Ivoire, chez son frère. Elle arrive à avoir des nouvelles de temps en temps. « Parfois, on fait des appels vidéos », chuchote-t-elle, les yeux qui brillent. Même si elle se plaint de maux de tête et que sa fille tousse, Mahoua préférerait rester ici, plutôt que l’incertitude ou la rue. C’est aussi l’avis de Fatou (1), Ivoirienne passée par le désert du Maroc puis « quatre jours sur l’eau » avec sa fille Kady de trois ans :

    « Il faut dire à la mairie, à la préfecture qu’on leur demande pardon, c’est juste qu’on ne connaît personne ici, on n’a nulle part où aller… il faut nous aider ! »

    Pour le moment, les femmes peuvent compter sur le soutien des associations montreuilloises comme Les potes de la maraude qui leur fournissent de la nourriture. Elles reçoivent aussi l’aide des habitants qui viennent déposer des affaires ou de la nourriture, comme Marie-Hèlène, 69 ans, qui habite l’immeuble d’à côté : « Je trouve ça inhumain de laisser des gens et des enfants dormir par terre, où il y a des rats… ». Elle déplore la décision d’expulsion et surtout le non-relogement des personnes : « J’estime qu’on est dans une ville sociale, ça m’étonne beaucoup. » « Les enfants ne peuvent même pas aller à l’école. Ce n’est pas un lieu stable pour eux. On ne fait pas l’éducation des enfants dans la rue. On demande que chaque famille soit relogée », complète Salimata.

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    Dans le squat, il y a de nombreux enfants dont le plus jeune a une dizaine de jours. / Crédits : Clara Monnoyeur

    Le délai d’expulsion expire ce vendredi 10 juin, à midi. Les habitants du squat ont rédigé un communiqué demandant l’annulation de cet arrêté à la mairie. « Nous demandons à la mairie de Montreuil qu’elle prenne un arrêté municipal anti-expulsion du squat de l’avenue Pasteur jusqu’à ce qu’une solution pérenne soit trouvée pour tous les habitants du squat ». Et écrivent : « Ne pas le faire c’est prendre la responsabilité de ce qui arrivera à nos nourrissons dans la rue. » Un recours gracieux a été déposé ce vendredi 10 juin à la mairie de Montreuil par les femmes accompagnées d’autres collectifs.

    À LIRE AUSSI : Entre bidonville et logement insalubre, c’est la galère pour les 80 occupants du squat qui a brûlé

    Du côté la mairie (2), on renvoie la balle à la préfecture en rappelant que l’hébergement d’urgence est une prérogative de l’État : « La ville de Montreuil demande à la préfecture que celle-ci trouve des solutions de mise à l’abri et de relogement dignes. »

    (1) Le prénom a été modifié.
    (2) La mairie de Montreuil indique par ailleurs avoir « recensé et signalé les personnes les plus vulnérables se trouvant dans ce squat. D’ores et déjà, certaines d’entre elles disposent d’une place en hébergement d’urgence ».

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