Gilbert Collard, Stéphane Ravier, Samuel Lafont… Toute la Zemmourie s’est empressée de relayer la vidéo de militants de Génération Z, le mouvement de jeunesse d’Eric Zemmour, « agressés » par « la racaille d’extrême gauche », mercredi 9 à Montpellier. Des images montrant une demi-douzaine d’antifascistes qui attaquent un groupe de dix à 20 militants d’extrême droite. Il s’agirait selon nos informations de représailles suite à l’agression à coups de béquilles d’un membre du syndicat Solidaires étudiant-e-s survenue quelques minutes auparavant.
Selon des sources concordantes, un groupe mixant Génération Zemmour, La Cocarde étudiante et des radicaux violents de Jeunesse Saint Roch était venu tracter à la fac de Montpellier. Certains étaient « cagoulées et armées (gants coqués, gazeuses, matraques télescopiques) », détaille un communiqué de Solidaires étudiant-e-s. Il ressort des versions des deux camps que, très vite, des invectives sont échangées entre militants, Solidaires étant rejoint par des camarades du NPA, de Sud Education et de l’UCL. Tout en restant maîtrisée par les vigiles de l’université, la situation se tend. Au point que la police aurait été appelée. La rumeur amène le groupe de Génération Z à décamper.
C’est alors que plusieurs de ses membres s’en seraient pris aux militants de gauche, dont un a « pris deux-trois coups de pied et un coup de béquille dans la gorge », selon le récit d’un témoin. Les antifascistes arrivent dans la foulée, déclenchant la bagarre dont la vidéo a été allègrement reprise. Gilbert Collard, transfuge du RN et désormais président d’honneur et porte-parole de Reconquête !, allant jusqu’à dénoncer « ces Pinochets de gauche qui détruisent, jour après jour, la démocratie »…
Les universités françaises ont toujours été un creuset militant bouillonnant, avec son cortège de tensions. Et si une partie de la gauche chérit le souvenir des groupes gauchistes de Mai 68, l’extrême droite fantasme quant à elle l’activisme du Gud, qui militait à coups de barre de fer. Une période qui semblait révolue. Et pourtant, depuis quelques mois, les rixes se multiplient. Une nouvelle génération d’étudiants radicaux biberonnés à la violence tente de s’imposer à coups de poings.
Une résurgence depuis quatre ans
« Depuis environ deux ans, les syndicats membres de notre fédération ont pu attester de la résurgence de groupuscules d’extrême droite au sein de nos universités », alertait déjà Solidaires étudiant-e-s en mai 2020, après un duo d’années marquées par de nombreuses violences. À l’image du fameux « commando » qui avait frappé en mars 2018, déjà à Montpellier. Si les confinements et les cours en distanciel sont entre-temps passés par là, la situation n’en reste pas moins tendue. Car la jeunesse d’extrême droite reste décidée à « reprendre » les facs.
« Alors que partout dans les universités prospèrent les thèses du gauchisme culturel (…), il n’est plus concevable qu’à droite le militantisme d’opposition demeure cantonné aux questions du nombre de places dans les amphithéâtres ou d’aménagement des locaux. (…) La bataille des idées relève à nos yeux d’une dimension “supérieure” à celle des conditions matérielles », proclame ainsi La Cocarde étudiante sur son site. Ce syndicat universitaire d’extrême droite qui tente d’afficher une vitrine proprette se présente aux élections étudiantes et revendique une quinzaine de sections locales un peu partout sur le territoire. Apparu en 2015, il a toujours servi de vivier au Rassemblement national de Marine Le Pen ainsi désormais qu’à Eric Zemmour.
Des militants de La Cocarde aux meetings de Le Pen et Zemmour, début février. / Crédits : Instagram
Luc Lahalle et Pierre-Romain Thionnet, respectivement ex-président et ex-secrétaire général du syndicat depuis ce week-end, sont ainsi en parallèle de leur activisme étudiant, collaborateurs parlementaires des eurodéputés RN Jordan Bardella et Catherine Griset. Ça c’est pour le côté pile, à peu près lisse.
Un syndicat violent
Côté face, c’est moins jojo. StreetPress avait déjà révélé (voir newsletter FAF du 30 novembre 2021) qu’un certain Tim F., responsable de La Cocarde à Paris, appartient au groupuscule radical Luminis. Une structure qui se réclame du nationalisme-révolutionnaire et fricote avec les groupes radicaux de la mouvance. Ce week-end, ils ont « fait du lien » avec les radicaux de Bordeaux nationaliste. Des héritiers du Gud. Comme les Zouaves, ces néonazis qui ne vivent que pour la violence de rue contre les « gauches » et dont le chef, Marc de Cacqueray, est actuellement en détention provisoire, accusé d’énièmes violences. Car La Cocarde s’adonne elle aussi à la violence. Qui affleure par exemple dans un reportage d’octobre 2020 de Quotidien où les militants du syndicat jouent les gros bras et bousculent même le journaliste venu à leur rencontre…
Et ce n’est pas une exception. En mai 2018, la victime d’un passage à tabac sur un campus parisien a fini aux urgences pour des points de sutures et des fractures au visage. L’Unef avait dénoncé une attaque de l’extrême droite tandis que plusieurs sources pointaient du doigt des militants de l’Action française et de La Cocarde.
En octobre 2019, c’est la fac de Nanterre qui connaît une vague de violences lorsque La Cocarde débarque pour les élections étudiantes. Les tractages virent systématiquement à l’affrontement. Les Zouaves Paris – qui ont depuis été dissous pour leur violence – viennent en renfort du syndicat étudiant. Ils revendiquent même, photo à l’appui, leur présence sur place et avoir « chassé » sur le campus, armés de béquilles.
Épidémie d’entorses chez les Zouaves Paris en 2019. / Crédits : DR
Autres exemples : en janvier 2020, des militants de La Cocarde ont attaqué des étudiants mobilisés devant Assas, à Paris. Rebelote à Tours quelques jours plus tard, lorsque le groupe revendique avoir tenté de « libérer » la faculté des Tanneurs occupée. Dans les faits, un commando formé avec les radicaux de l’Udet (liés aux galaxies identitaire et nationaliste-révolutionnaire) venu casser du gauchiste.
Pas plus tard que le 9 mars dernier, un groupe agresse un militant devant un meeting de Philippe Poutou à Besançon. Des témoins disent avoir formellement reconnu Théo Giacone, ex-RN et responsable local de La Cocarde, révèle le journaliste Toufik de Planoise.
Aux attaques s’ajoutent aussi les provocations. Comme en janvier 2021, lorsque les militants de La Cocarde tentent de s’imposer dans une manif de gauche. Ils se positionnent juste devant le cortège de la CGT, déclenchant une bagarre avant de devoir déguerpir. Était-ce le but de la manœuvre ? « On s’attend à un accueil assez négatif, on ne va pas se mentir », confiait juste avant les faits Vianney Vonderscher, alors porte-parole de La Cocarde (et nommé ce week-end président du syndicat), à Valeurs actuelles…
Des amitiés avec les Zouaves
Quelques bleus sont parfois utiles pour tenter de se faire passer pour les victimes et de faire mécaniquement des antifascistes les « vrais » méchants intolérants. Un comble, car La Cocarde, si prompte à dénoncer la violence de « la minorité gauchiste », n’est donc pas en reste. Et s’appuie aussi sur les radicaux de son camp. StreetPress a par exemple pu recueillir deux témoignages distincts et concordants relatant comment, en décembre dernier, Marc de Cacqueray (des Zouaves Paris) aurait tabassé un jeune qu’il estimait être un « antifa » en marge d’un tractage de La Cocarde à la fac parisienne de Tolbiac.
L’ex-président de La Cocarde, Luc Lahalle (à droite), prend la pose aux côtés d’Aloïs Vojinovic, un des leaders des Zouaves Paris au casier chargé. Une photo révélée par les journalistes Daphné Deschamps et Carlos De Sousa. / Crédits : DR
Les journalistes Daphné Deschamps et Carlos De Sousa ont également révélé l’an passé la double appartenance à GI et La Cocarde du lyonnais Sinisha Uros. Loin d’être gênant, visiblement : le même vient d’être nommé porte-parole du syndicat… Il faut dire que l’ex-président de La Cocarde, Luc Lahalle, a déjà pris la pose aux côtés d’Aloïs Vojinovic, un des leaders des Zouaves Paris au casier chargé. StreetPress a pu authentifier un autre cliché qui montre Lahalle cagoulé lors de l’un des premiers actes des Gilets jaunes à Paris, un de ceux marqués par les violences. Il y apparaît bras dessus, bras dessous avec un de ses amis : un certain Jérémy. Un hooligan parisien qu’une source qui l’a côtoyé dans les travées du Parc des Princes qualifie de « véritable nazi ». Le même Jérémy fricote d’ailleurs lui aussi avec les Zouaves, avec qui il s’adonne aux « fights » en forêt…
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Toujours dans la capitale, nous avons aussi pu déterminer que des militants de la Cocarde apparaissent posant à la manière de hooligans sur des photos de groupes de bagarre composés d’identitaires, de néonazis et autres fascistes. L’un de ces clichés a même été diffusé en décembre dernier sur le canal Telegram nazifiant Ouest Casual, chaîne de propagande où les fafs radicaux mettent en scène leurs « faits d’armes ». En légende, en anglais : « Six nationalistes contre huit antifas dans le Quartier latin. Les antifas ont fui. Paris est nationaliste ! ». Sur cette photo, aux côtés de fachos radicaux qui collent pour Zemmour du groupe Rempart, plusieurs militants actifs de La Cocarde.
Les militants de la Cocarde n'hésitent pas à poser à la manière de hooligans sur des photos de groupes composés d’identitaires, de néonazis et autres fascistes. Comme en décembre dernier après une prétendue bagarre dans Paris. Un des militants fait un « salut de Kühnen » – une variante à trois doigts du salut nazi. / Crédits : Telegram – Ouest Casual
Délocalisation
Mais ces méthodes sont loin d’être l’apanage de La Cocarde. En épluchant la presse, StreetPress a recensé plusieurs dizaines d’attaques et autres agressions d’extrême droite dans ou aux abords des universités sur les cinq dernières années. Les groupes responsables de ces agressions n’ont pas toujours pu être identifiés précisément mais toutes sont signées de la mouvance faf, voire même revendiquées. Il est intéressant de noter que les terrains de jeu des étudiants fafs évoluent au fil des années.
Si, de 2017 à 2020, une large majorité des violences ont été commises dans les plus grandes villes (Paris et sa proche banlieue en tête), elles semblent en quelque sorte se délocaliser ces dernières années. Elles gagnent des villes de taille plus modeste, où l’extrême droite n’est implantée qu’à travers une galaxie de groupuscules locaux, bien souvent héritiers de Génération identitaire.
Nous avons recensé une douzaine d’actes depuis 2020. Ce qui est important compte tenu du fait que les établissements ont été fermés, partiellement ou totalement, pendant de longs mois pour cause de Covid. Sur ce total, c’est cette fois moins d’un tiers des violences qui ont été commises dans les grandes villes. Ce sont de plus petites villes étudiantes qui semblent principalement touchées. Comme à Poitiers, au Mans, ou encore à Albi, où l’atmosphère s’est particulièrement tendue en quelques mois seulement.
Ici aussi, les militants de gauche locaux dénoncent l’implication de Jeunesse Saint Roch (mêlé aux violences de Montpellier, notamment). Mais également des identitaires, ex-GI qui ont remonté des groupes locaux à Toulouse (« Furie française ») et Albi (« Patria albiges »). Tous seraient liés à Génération Zemmour, affirme à StreetPress Antonin, militant antifasciste d’Albi.
Des chasseurs à Albi
« La ville a toujours été calme jusqu’ici, il y avait eu une tentative de monter une section La Cocarde à la fac par des militants de l’Action française notamment qui a fait flop. Mais on a eu des emménagements récents de militants identitaires de Toulouse qui ont structuré un mouvement », dit-il. Notamment un certain Foucault P., rejeton d’une famille militante bien connue dans la région :
« Un taré qui a la main lourde. »
Récemment, Thaïs d’Escufon, Toulousaine devenue cadre nationale de GI, s’est d’ailleurs déplacée à Albi pour une causerie avec les militants locaux.
Des militants d’extrême droite de Patria albiges maculent les murs d'Albi de messages pro Eric Zemmour mais aussi anti-LGBTQI. / Crédits : DR
Leur activisme va plus loin. Des militants d’extrême droite « se sont introduits dans un établissement scolaire d’Albi, le collège Jean Jaurès, pour maculer les murs du bâtiment de messages pro Eric Zemmour, afficher ostensiblement le matériel de propagande de sa campagne, noter des inscriptions anti-LGBTQI », dénonçait vendredi 11 un communiqué initié par Solidaires Tarn et Sud éducation 81.
« Ils chassent dans le coin de l’université », nous dit Antonin, qui liste plusieurs agressions perpétrées en quelques mois seulement. Un jeune qui décollait un sticker anti-LGBT de Patria albiges s’est fait tomber dessus, il a fini aux urgences. Antonin détaille :
« Il y a des zones à côté de la fac où il ne faut pas aller seul quand on est de gauche. »
Dans le viseur des fafs : l’université Champollion. « Ils veulent s’implanter, se faire un bastion d’autant qu’il n’y a pas de noyau dur antifa ici », dénonce le militant local. Albi est une ville-centre de ce coin d’Occitanie, à mi-chemin entre Toulouse et Montpellier. La « conquérir » passe donc aussi par la fac, qui pourrait servir de vivier.
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