Université Carlone, Nice (06) – Les étudiants du syndicat Solidaires papotent gaiement sur le stand qu’ils ont monté pour cette rentrée 2020. Soudain, un commando de six personnes, les visages dissimulés par des masques hygiéniques et des lunettes de soleil, débarque. Après avoir renversé une table et fracassé le nez de l’un des jeunes présents, ils emportent la banderole antifasciste qui décore le stand. Ils s’enfuient au cri de : « Nice, Nice nationaliste ! ». Quelques jours plus tard, l’attaque est revendiquée par un nouveau groupuscule dont c’est la première action (coup-de-poing) : les Zoulous Nice.
En réaction quelques jours plus tard, plusieurs syndicats (CGT, FSU et SUD éducation) demandent la fermeture du « Club 15.43 », un local niçois logé au 9 rue Ribotti, qui se décrit comme un « bar associatif » :
« Nous exigeons la fermeture de ce local qui permet à des bandes d’extrême droite de s’organiser et de s’entraîner pour ensuite aller jouer le coup-de-poing contre des étudiant.e.s à l’université. »
Deux ans plus tard, le troquet de 130 m2 situé dans le quartier niçois de Barla-Arson est toujours ouvert. Canapé en cuir, baby foot et produits locaux, le Club 15.43 joue à fond la carte locale et fait tout son possible pour gommer tout signe d’appartenance trop évident à l’extrême droite. Et on peut, par exemple, se retrouver chaque année pour célébrer l’Oktoberfest dans une chouette ambiance à base de « Bières allemandes, bretzels, planches de charcuterie/fromage & camaraderie », vante le bar sur internet.
Mais le 15.43 reste le lieu de rassemblement privilégié de tout ce que la ville compte de militants nationalistes radicaux et violents. Les identitaires aux manettes s’installent au 9 rue Ribotti en juin 2010. Le spot qui prend la succession de La Maïoun (la « maison ») ouverte dans le quartier depuis 2004 s’appelle Lou Bastioun. Il s’agit, alors, du QG principal de Philippe Vardon et de son mouvement identitaire local, les « Nissa Rebela ».
Soupe au lard et bastons de rue, les années Vardon
Vardon, encore jeune, fait un passage par le groupe de musique nationaliste Fraction Hexagone, un moment de sa vie qui lui vaudra notamment une apparition remarquée dans le documentaire « Skin or die », où on le voit entonner des chants néonazis – comme : « Nous sommes la Zyklon Army, l’armée des skinheads ». En 2002, avec son ami Fabrice Robert, proche du FN, ils créent le Bloc Identitaire et son pendant junior, les Jeunesses Identitaires. Trois ans plus tard, il participe aux élections cantonales sous l’étiquette Nissa Rebela. La franchise identitaire locale qu’il a fondée.
Ce sera le début d’une décennie d’agitation décomplexée, qui verra la petite bande de Vardon secouer la ville. Le 9 rue Ribotti leur sert de base arrière. Ils multiplient les collages de stickers et les distributions de tracts aux slogans-chocs « oui à la socca, non au kebab », « ni voilées ni violées ». La bande organise des distributions de soupe à base de lard pour les sans-abris, mais Français seulement. Mais surtout, la bande fait régulièrement le coup de poing.
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Après l’agression en 2007 de deux étrangers lors du congrès des Jeunesses Identitaires à Nice, le parquet engage une procédure pour « reconstitution de ligue dissoute ». Pour ce dernier, les Jeunesses identitaires ont repris le flambeau d’Unité Radicale (dissout après la tentative d’assassinat de Chirac). Les poursuites vaudront aux identitaires d’être condamnés, toujours en 2007, à 20.000 euros d’amende. Quant au président Philippe Vardon, il prend quatre mois avec sursis et 10.000 euros d’amende.
Communiquant talentueux, charismatique et intelligent, le solide bonhomme, passé par la fac de droit et boxeur à ses heures, fait donc ce qu’il sait faire : du bruit et de la fureur. En 2015 et 2016, cependant, c’est la ratatouille. Vardon rejoint les rangs du Front national avec une partie des effectifs des Nissa Rebela. Il emmène notamment Benoît Loeuillet, co-fondateur du mouvement dont il fut longtemps le secrétaire général, et par ailleurs l’un des créateurs des « Brigade Sud », asso’ de supporters ultras de l’OGC Nice, club de foot local. Il prend alors ses distances, au moins en apparence, avec les remuants identitaires. Philippe Vardon laisse notamment les clefs du mouvement – et du local – à des militants plus jeunes et notamment son frère Benoît.
Fight club
En 2018, le Bastioun est rebaptisée Club 15.43. Le lieu se veut plus ouvert. Un « carrefour d’initiatives et projets enracinés et alternatifs », écrit son porte-parole Grégoire de Linares, également collaborateur du groupe RN au Conseil municipal de Nice. Le lieu reste la base arrière des identitaires locaux qui depuis la dissolution de Génération Identitaire se sont rebaptisés la « Banda Segurana », du nom d’une héroïne locale dont l’existence est contestée. Plusieurs autres groupuscules gravitent autour de la salle. Le « Cercle Lépante » – du nom d’une autre bataille entre les forces papales et la flotte turque – invite dans le club 15.43 une galaxie d’intellectuels proches de l’Action Française (AF) pour des conférences. Au programme, on trouve par exemple Jean-Pierre Maugendre, de Renaissance catholique, mis en examen, pour « provocation à la discrimination à l’égard d’un groupe de personnes à raison de leur orientation sexuelle ». Jacques Trémolet de Villers, avocat du Comte de Paris et animateur d’un Libre journal sur Radio Courtoisie. Ou encore Antoine de Lacoste, qui cause géopolitique du Moyen-Orient sur le site de l’AF.
Mais les plus remuants des habitués du bar sont sans doute les « Zoulous Nice ». Une bande violente apparentée aux « Zouaves Paris », dont l’émergence coïncide avec l’inauguration, en février 2020, de la salle de boxe du Club 15.43 : le Nikaïa Gymnasium. Le coach, Jean-David Cattin, est arrivé en 2011 à Nice. Ce Genevois est très loin d’être n’importe qui dans la mouvance. Ancien officier exclu de l’armée suisse à cause de ses engagements, il a notamment été l’un des organisateurs des camps d’été de Génération Identitaires (avec le titre de « directeur national de la formation ») pendant deux ans. Il fut également l’un des instigateurs de l’opération ultra-médiatisée « Defend Europe ». Celle-ci avait vu un navire, le C-Star, arpenter les eaux de la Méditerranée dans l’espoir de refouler les migrants vers les côtes libyennes. Et qui a été un échec retentissant. C’est lui qui entraine désormais la jeunesse nationaliste niçoise au combat de rue dans l’arrière-salle du 15.43.
« Ils ont beau prétendre avoir plein de groupuscules, en vérité tout est lié. C’est une fausse division qui leur permet de se visibiliser, d’avoir l’air plus nombreux qu’ils ne le sont », détaille Tranber, militant antifasciste local en faisant défiler le trombinoscope réalisé par les antifas locaux. Selon lui, il n’y a guère plus de « trois, quatre bandes de potes qui se retrouvent au stade et au 15.43 ». Et dans cette petite famille, tout le monde semble effectivement bien se connaître. Ainsi, les « féministes identitaires » du « collectif Némésis » sont les copines des Zoulous, et se font appeler, ici, les « Zoulettes ». L’une d’elle fut également un temps membre de l’UNI, syndicat étudiant d’extrême-droite qui fricota aussi ici avec la très droitière Cocarde Etudiante.
Le retour du « zbeul »
Tranber a eu à faire aux radicaux niçois en juillet 2020. Après une manifestation contre la nomination de Darmanin au ministère de l’Intérieur, ceux qui ne s’appelaient pas encore les Zoulous avaient débarqué dans un bar du Vieux-Nice vers minuit. Ils s’en sont alors pris à un petit groupe de personnes liées aux Gilets jaunes. Tranber fait partie de la bande. L’altercation est brève mais violente assure-t-il :
« Quelqu’un dans le bar a sans doute vu le drapeau antifa et les a prévenus. Ils ont mis des coups à la mère d’une pote, qui a plus de 60 ans, traîné une amie au sol… »
Plus récemment, ce sont – comme le racontait StreetPress – des Jeunes Communistes, dont un mineur, qui ont été agressés quelques heures après une manifestation contre les violences faites aux femmes.
Pour étoffer leurs rangs, les identitaires font de la retape au stade auprès des supporters ultras de l’OGC-Nice de la « Populaire Sud », affirme Tranber – même s’il tient bien à ne pas fourrer dans le même panier tous les ultras. Lors de la triste affaire du match OGC-OM du 22 aout 2021, qui avait dégénéré côté tribunes, on a ainsi pu apercevoir un supporter niçois exécuter un salut nazi.
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Le 4 novembre dernier, identitaires et Zoulous, capuches sur la tête, tous de noir vêtus, rodent à une quarantaine dans les ruelles du Vieux-Nice suite au refus des supporters du club hollandais du PSV Eindhoven de se bagarrer avec eux à Monaco à l’occasion d’un match européen. Croisant l’auteur de ces lignes en train de siroter une pinte à la terrasse d’un bar avec des potes, ils salueront d’un cordial :
« Eh ! Le gaucho ! Tu te rappelles de la cage d’escalier ? »
Une référence à une soirée de septembre 2020, où, alors que je rentrais chez moi, ils étaient venus me mettre quelques coups en bas de mon immeuble après m’avoir demandé : « C’est toi l’antifa ? »
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