Des viseurs d’armes collés sur le front des musulmans, des juifs et des noirs ainsi que des politiques et des journalistes. Littéralement. Le photomontage publié la semaine dernière sur le canal Telegram d’extrême droite Les Vilains Fachos est un appel au meurtre explicite. En commentaire, sur un ton faussement humoristique, les administrateurs de cette chaîne glissent même un lien vers un site internet permettant d’acheter des pistolets à poudre noire, « létaux pour 130 euros, sans contrôle et livrés par la poste ».
Dans le viseur de ces néonazis, des dessins racistes censés figurer les musulmans, les juifs et les noirs et des photos ou caricatures racistes de personnalités engagées contre l’extrême droite. On trouve côte à côte, le candidat à l’élection présidentielle Jean-Luc Mélenchon, la députée de la France insoumise Danièle Obono, un syndicaliste étudiant (1) ainsi que les journalistes Taha Bouhafs (Le Média) et Mathieu Molard, rédacteur en chef de StreetPress. Dernier visage, celui d’Anne Frank, jeune adolescente déportée par les nazis et morte au camp de Bergen-Belsen.
Sur le montage, on trouve des dessins racistes censés figurer les musulmans, les Juifs et les Noirs et des photos ou caricatures racistes. Mais aussi des personnalités engagées contre l’extrême droite. / Crédits : StreetPress
Les auteurs du montage ont même pris le soin d’indiquer le score cumulé si on abat l’un ou l’autre : 88 points le plus souvent. Une référence néonazie de plus : le « h » étant la huitième lettre de l’alphabet, « 88 » est un code courant dans la mouvance pour « heil Hitler ». Danièle Obono vaut moins de points : le QI des noirs est, disent-ils, inférieur. La députée de la France Insoumise est figurée par un dessin tiré d’un article du magazine Valeurs actuelles la représentant en esclave, qui a valu à l’hebdo d’extrême droite d’être condamné. La légende qui appelle clairement au meurtre des différents protagonistes se conclut par cet hommage à Éric Zemmour :
« Et rappelez-vous de soutenir le Z »
Des suites judiciaires
Danièle Obono (représentée par maître Xavier Sauvignet), Jean-Luc Mélenchon et Taha Bouhafs (tous deux représentés par Arié Alimi) annoncent à StreetPress déposer plainte dès ce lundi. L’entourage du candidat LFI à l’élection présidentielle nous confirme prendre l’affaire très au sérieux, affirmant que « d’autres militants ou cadres ont également été menacés par l’extrême droite ces derniers jours et ils vont déposer plainte ».
« On constate que ces groupes ont un réel sentiment d’impunité et ne se cachent même plus. Les menaces se diffusent sur YouTube, sur des messageries, sur les réseaux sociaux… On peut légitimement craindre que les passages à l’acte se multiplient. (…) Il est temps que le gouvernement se saisisse sérieusement de cette menace et réagisse enfin ! », explique par mail à StreetPress Jean-Luc Mélenchon (2).
Tous soulignent que ce n’est ni une première, ni une rareté. « J’ai l’habitude », confie Taha Bouhafs. « J’ai l’impression qu’il n’y a pas de volonté politique d’agir… Ces groupes d’extrême droite se sentent dans l’impunité. » Même son de cloche pour Mathieu Molard : « Ce n’est pas la première fois que je reçois des insultes ou des menaces de mort, mais c’est la première fois qu’elles sont d’une telle ampleur. »
Mathieu Molard, représenté par Valentine Rebérioux – l’avocate de StreetPress –, a, sur cette publication des Vilains Fachos et d’autres, fait un signalement à la procureure de la République de Paris pour des faits notamment de « provocation à commettre un crime ».
Ce déchaînement de violence fait suite à une enquête de StreetPress qui montre des militants pro-Zemmour – la Famille gallicane – tirer à l’arme à feu sur des caricatures racistes. Au lendemain de ces révélations, le journaliste Mathieu Molard, auteur de l’article, était invité sur les plateaux de BFMTV et Le Média pour présenter son travail. La réaction de la fachosphère ne s’est pas fait attendre. Des « influenceurs » de la mouvance ont moqué le journaliste, déclenchant au passage un intense épisode de harcèlement en ligne.
[Communiqué] Nous ne nous laisserons pas intimider par l'extrême droite pic.twitter.com/HCCpHpyEiO
— StreetPress (@streetpress) November 4, 2021
Conversano aux manettes
Dans ce torrent de boue, le suprémaciste blanc Daniel Conversano s’est particulièrement distingué. Piqué au vif par une remarque de Mathieu Molard (qui a déclaré sur Le Média qu’il était « délirant »), l’ancien grouillot de l’antisémite Dieudonné a immédiatement lancé ses fidèles sur la piste du journaliste et sa famille. Insultes et harcèlement ont repris de plus belle contre le journaliste et ses proches. Jusqu’à ce qu’une cible soit donc collée sur son front par les administrateurs du canal Telegram « Les Vilains fachos », en fin de semaine dernière.
Leurs motivations sont d’ailleurs explicites. Dans un post on peut lire :
« Quand cette pustule journalistique s’en prend à Daniel Conversano, il s’en prend à nous tous. »
Le tout avec un lien renvoyant vers les messages d’insultes que Conversano avait adressés au journaliste. Quant aux menaces de mort, elles font « suite aux déboires de nos amis de la Famille Gallicane ». À l’extrême droite, on se serre les coudes…
La chaîne Telegram « Les Vilains Fachos » réagit après la remarque de Mathieu Molard, qui a dit sur Le Média que le suprémaciste blanc Daniel Conversano était « délirant ». L'auteur du post écrit notamment : « Quand cette pustule journalistique s’en prend à Daniel Conversano, il s’en prend à nous tous. » / Crédits : StreetPress
La chaîne Telegram « Les Vilains Fachos » ne compte qu’à peine 1.500 abonnés, mais est en réalité la resucée d’une autre qui en comptait plus de 10.000 avant d’être supprimée fin septembre. Le journaliste du Média, Taha Bouhafs avait révélé sur Twitter qu’ils constituaient une « grande liste de tous les juifs impliqués dans la crise du Covid ».
Un délire mêlant antisémitisme et complotisme auquel ils avaient bien vite ajouté une autre liste visant cette fois les « islamogauchistes ». On trouvait déjà, sur ce document au milieu de nombreux autres noms, Jean-Luc Mélenchon, Danièle Obono, Taha Bouhafs et Mathieu Molard. Des informations personnelles étaient compulsées. Obono, comme d’autres députées de la France Insoumise, faisait aussi l’objet de commentaires sexistes. Conséquence rarissime : Telegram avait restreint l’accès au canal, avant de le supprimer purement et simplement. Un traitement généralement réservé aux chaînes terroristes djihadistes ou aux canaux liés à des groupes terroristes néonazis internationaux.
« Les Vilains Fachos » n’en étaient, à cette époque déjà, pas à leur coup d’essai. Le groupe est depuis longtemps connu pour être un déversoir de haine et d’apologie du terrorisme d’extrême droite. En novembre 2020, les auteurs de ces lignes révélaient dans les colonnes de Libération que le groupe faisait aussi la promotion d’un club de tir monté par un néonazi. Ce club, sans existence physique ni installations propres, délivrait des licences de tir aux sympathisants de « la cause ». Un sésame qui permet d’acquérir légalement des armes à feu.
« Ce canal Telegram est connu pour être extrêmement radical, suivi par des gens dangereux », rappelle Mathieu Molard. « Je prends tout ceci au sérieux et j’espère que la justice en fera de même » confie le journaliste. Et Taha Bouhafs d’insister :
« Évidemment, il y a des enquêtes, la justice et des enquêteurs de police font leur travail. Mais ce qu’il faut c’est une volonté politique. »
Un risque terroriste
Armes et menaces de mort. Un mélange inquiétant, d’autant que les militants d’extrême droite passent à l’acte. À Lyon par exemple, où les ratonnades se multiplient. Certains projettent même des attentats. Les coups de filet permettant de déjouer ces attaques terroristes d’extrême droite se sont, ces dernières années, multipliées. Il y a quelques semaines, le coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme Laurent Nunez révélait que cinq cellules d’extrême droite à visée terroriste ont été démantelées en France depuis 2017. Parmi elles, le groupe OAS de Logan Nisin qui projetait des attentats islamophobes et, déjà, de s’en prendre à Jean-Luc Mélenchon pendant la campagne présidentielle de 2017. Décidément le fond de l’air effraie.
(1) Déjà victime de menaces par le passé, il a souhaité que son nom ne soit pas mis en avant.
(2) La réaction de Jean-Luc Mélenchon dans son entièreté : Le renseignement intérieur est en permanence en alerte contre l’extrême-droite. Ils connaissent depuis toujours les activistes et leurs projets (attaques contre des mosquées, contre des politiques…). Ils ont fait sonner l’alerte il y a longtemps déjà. Mais la haute hiérarchie macroniste a tout bloqué pendant trop longtemps. Laurent Nunez m’avait accusé de dénigrer les services lorsque j’avais dit que le danger d extrême-droite était minoré du fait de l’obsession anti musulmane de la macronie et de ses ambiguïtés avec Pétain et Maurras. Aujourd’hui on constate que ces groupes ont un réel sentiment d’impunité et ne se cachent même plus. Les menaces se diffusent sur YouTube, sur des messageries, sur les réseaux sociaux… On peut légitimement craindre que les passages à l’acte se multiplient. La première commission d’enquête organisée sur ce thème le fût par le groupe LFI. Il est temps que le gouvernement se saisisse sérieusement de cette menace et réagisse enfin !
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