Emmanuel Macron l’a annoncé, il veut taper « là où ça fait vraiment mal : [au] porte-monnaie ». Pas celui des amateurs de paradis fiscaux exposés par les révélations des Pandoras Papers, cette vaste enquête du consortium international des journalistes d’investigation. Non, c’est au porte-monnaie des gens du voyage que veut s’en prendre le président de la République. Le 14 septembre dernier, à Roubaix, Emmanuel Macron clôturait le Beauvau de la sécurité, une concertation de neuf mois entre élus, syndicats de police, gendarmes et magistrats pour « améliorer les conditions d’exercice des forces de l’ordre », en annonçant la création de nouvelles « amendes forfaitaires pour occupation illicite des terrains par les gens du voyage. »
Une reconnaissance de culpabilité
Déployé à partir du 19 octobre 2021, ce dispositif permettra aux forces de l’ordre de distribuer des amendes de 500 euros (minorées à 400 euros et majorées à 1000 euros, selon le délai dans lequel elles sont payées) aux voyageurs stationnés en dehors des aires d’accueil. « Ces amendes ne sont pas de simples contraventions, comme lorsque vous prenez un PV de stationnement », met en garde l’avocat parisien Benoît Arvis. « Ce sont des amendes forfaitaires délictuelles. Ce qui signifie que lorsque vous payez, c’est l’équivalent d’une reconnaissance de culpabilité devant un tribunal correctionnel. Vous avez renoncé à vous défendre et vous vous retrouvez avec un casier judiciaire ! La fois d’après, vous êtes en situation de récidive, et là, des peines planchers s’appliquent : des amendes beaucoup plus lourdes et même de la prison. »
Alors que les aires d’accueil pour les voyageurs sont en nombre insuffisant, reléguées dans des environnements pollués et insalubres lorsqu’elles existent, aucune condamnation ne vient jamais sanctionner les collectivités qui dérogent à leur obligation d’accueillir les voyageurs dignement. Un récent rapport de la Défenseure des droits s’alarme de la situation. Pourtant, l’option choisie par le chef de l’État est de criminaliser toujours plus des voyageurs. « Comment vont faire les familles pour payer ? On parle tout de même de gens précaires. Et une fois qu’on les aura totalement ruiné, on en fait quoi ? On les met en prison ? On les force à se sédentariser ? », se désole Désiré Vermeersch, voyageur et pasteur évangéliste normand, président de l’association Action Grand Passage (AGP). Rien que dans l’agglomération de Rouen, où il vit, environ 150 familles sont contraintes de stationner illégalement, faute de moyens pour payer l’aire d’accueil ou de places disponibles sur des aires décentes. Et lorsque la Métropole se décide enfin, après plus de 20 ans d’obligation, à ouvrir un terrain pour les grands passages à la belle saison, élus locaux et riverains montent au créneau pour bloquer le projet. « On est 500.000 en France. On va où ? On n’est pas des oiseaux, on ne niche pas dans les arbres. On n’est pas des bateaux, on ne peut pas nous mettre à l’eau. On les met où les gens du voyage ? », martèle Désiré Vermeersch.
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Avec une dizaine d’associations de voyageurs et de défenseurs des droits des voyageurs, ils ont écrit une lettre au président de la République pour dénoncer cette attaque en règle contre leur mode de vie.
Sarkozy en rêvait
Pour comprendre comment une telle mesure a pu être adoptée, il faut remonter près de 20 ans en arrière à la loi de sécurité intérieure ou loi Sarkozy II de 2003. Cette année-là, Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, fait adopter une série de nouveaux délits et sanctions concernant, en vrac : la mendicité, le commerce des armes, la prostitution, le rassemblement dans les halls d’immeubles et les gens du voyage. Pouvait être punie de 3.750 d’amende et de six mois de prison, l’installation illicite sur un terrain « au moyen d’un véhicule automobile ». « Ce délit était rarement jugé. Il fallait que le propriétaire du terrain ou la collectivité porte plainte puis, que tout le monde soit convoqué devant un tribunal correctionnel, ce qui peut prendre plusieurs mois », explique Marc Béziat de l’Association nationale des gens du voyage citoyens (ANGVC), qui apporte notamment un soutien juridique aux voyageurs. « Or, il existe d’autres moyens beaucoup plus rapides qu’une procédure pénale pour expulser des voyageurs : un simple arrêté pris par le préfet, ou un référé pris par un tribunal et dans les 24 à 48h, les forces de l’ordre peuvent intervenir ! ». Les voyageurs se trouvent donc déjà trimballés de menaces d’expulsion en menaces d’expulsion sans toutefois, jusqu’à aujourd’hui, être trop exposés au risque de se retrouver avec un casier judiciaire ou en prison pour avoir stationné en dehors des aires.
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Comme si ce n’était pas suffisant, en novembre 2018, des sénateurs du parti Les Républicains de Haute-Savoie font adopter un texte qui renforce la loi Sarkozy II. Les sanctions sont doublées à 7.000 euros d’amende et un an de prison, et le délit d’installation illicite peut désormais être réglé sous forme d’amende forfaitaire délictuelle, comme pour la conduite sans permis ou l’usage de stupéfiants. Dissuasif et économique : même plus besoin de tribunal ! L’intitulé de cette loi « relative à l’accueil des gens du voyage et à la lutte contre les installations illicites » est limpide : ce ne sont pas les retraités en camping-car qui sont visés, mais bien une catégorie de population appréhendée par des critères ethniques. Une loi raciste donc. Il ne manquait que les décrets d’application pour la mettre en œuvre.
Voilà qui est chose faite. « Nous avons été pris au dépourvu », regrette maître Benoît Arvis. Faute de temps, il n’a pu déposer un recours devant le Conseil d’État que sur le tout dernier décret paru en août : « Les amendes délictuelles ne seront plus envoyées par recommandé mais lettre simple, donc en résumé, des gens vont se retrouver avec un casier judiciaire alors qu’ils n’auront peut-être même pas reçu un courrier ».
La mesure sera d’abord déployée à Marseille, Lille, Créteil, Reims, Rennes et Foix, le 19 octobre avant d’être appliquée à tout le territoire. Désiré Vermeersch, le pasteur normand ne peut que se faire le relais de la colère des siens :
« Pour le moment, avec les associations, on essaye la voie de la diplomatie, mais quand la première amende va tomber, les gens vont réagir d’eux-mêmes, dans la rue ou avec des blocages. »
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