Tribunal de grande instance (TGI) de Paris, tard dans la nuit du lundi 22 mars. Le policier Amar Benmohamed est convoqué dans le bureau de son supérieur. Le lieutenant s’est déplacé spécialement sur l’un de ses jours de repos pour cet entretien. Ce n’est pas très bon signe pour le brigadier-chef Benmohamed, d’autant qu’il se sait dans le viseur de sa hiérarchie depuis qu’il a révélé à StreetPress des centaines de cas de maltraitances et de racisme dans les cellules du tribunal.
Ce coup-là, pourtant, il ne s’y attendait pas. Le gradé informe Amar Benmohamed qu’il fait l’objet d’une enquête administrative pour ne pas avoir informé en amont ses supérieurs qu’il allait être entendu par des députés à l’Assemblée nationale. « Ça s’est fait un peu dans la précipitation et c’était sur mes jours de repos. J’ai rédigé un rapport dès mon retour », s’étrangle Amar. Mais surtout, il a été entendu à huis clos et en visioconférence par deux parlementaires chargés d’évaluer le cadre juridique qui protège les lanceurs d’alerte (1). « Nous avons invité plusieurs lanceurs d’alerte à témoigner, dont monsieur Benmohamed. Il a scrupuleusement respecté les procédures prévues par la loi mais fait l’objet de représailles. Son cas est emblématique », détaille Jean-Philippe Foegle, responsable du plaidoyer à la Maison des Lanceurs d’Alerte.
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Darmanin alerté
Joint par StreetPress, le député LREM Raphaël Gauvain s’indigne de cette procédure. C’est lui qui, au côté du député LR Olivier Marleix, a auditionné Amar Benmohamed. « Évidemment je ne me prononce pas sur le fond de l’affaire [la maltraitance et le racisme], c’est à la justice de faire son travail », introduit l’élu :
« Mais il n’est pas acceptable pour le Parlement qu’une pression soit exercée comme ça. Ça démontre qu’il faut renforcer la protection des lanceurs d’alerte. »
Le député LREM vient d’envoyer un courrier au ministre de l’Intérieur pour l’alerter de la situation. « Je ne doute pas que, dès qu’il le recevra, M. Darmanin va décrocher son téléphone pour mettre fin à cette situation inadmissible. »
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Le lanceur d’alerte mis sous pression
« Il y a une cohérence dans la manière dont le ministère de l’Intérieur traite “ses” lanceurs d’alerte : plutôt que de renforcer le droit d’alerte et faire en sorte que les problèmes soient traités, ces derniers subissent des représailles », tacle M. Foegle de la MLA. Arié Alimi, l’avocat du policier, partage cette analyse : « C’est une énième manière de mettre la pression sur le lanceur d’alerte ». L’administration n’en est, en effet, pas à son coup d’essai. En janvier dernier, déjà, le brigadier-chef avait hérité d’un avertissement dans une procédure assez similaire. Pour M. Foegle, c’est aussi une manière d’envoyer un message à toute la corporation :
« C’est peut-être pour dissuader d’autres lanceurs d’alerte de suivre ce chemin. C’est problématique et, surtout, cela invisibilise l’immense majorité de policiers qui font parfaitement bien leur travail et n’ont pas à avoir peur du renforcement du droit d’alerte. Au contraire. »
(1) Audition menée dans le cadre de la mission d’évaluation de la loi Sapin 2 et en vue de transposer en droit français la disposition européenne de protection des lanceurs d’alerte.
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