En ce moment

    26/01/2021

    « Pour les logements étudiants, il n’y a pas de trêve hivernale ! »

    Une étudiante expulsée par le Crous de Lille dort dans sa voiture

    Par Pierre Bonnevalle

    Le 19 janvier, Mégane, 26 ans, est mise à la porte de sa chambre étudiante gérée par le Crous. Une expulsion menée par un huissier, sans la présence des forces de l’ordre. Depuis elle alterne nuits à l’hôtel et dans sa voiture.

    Mardi 19 janvier 2021, Lille (59) – Le Crous met à la rue Mégane, étudiante en sociologie. L’expulsion est, raconte la jeune femme, exécutée de force et sans l’autorisation du préfet par maître José L., huissier de justice à Roubaix. Pour l’occasion, il est accompagné de deux « témoins » et d’un serrurier. Alors que l’État d’urgence sanitaire impose un couvre-feu à 18 heures et que la météo est glaciale, l’étudiante alterne désormais les nuits dans sa voiture et à l’hôtel.

    Mégane, 26 ans, donne rendez-vous à côté de sa Peugeot qui fait office d’abri depuis mardi. Elle est calme et souriante malgré la situation mais déterminée à faire valoir ses droits. Elle est en rupture familiale depuis ses 15 ans :

    « Mes parents ne sont pas dans la métropole lilloise et ne m’ont jamais aidée. »

    À la sortie du lycée, elle enchaîne les petits boulots puis travaille un an pour une association pour laquelle elle distribue des paniers alimentaires. C’est en 2018, qu’elle décide de reprendre ses études. Elle s’inscrit en Licence de psychologie à l’Université de Lille. Après deux premières années difficiles, elle se réoriente en septembre dernier en sociologie. Son année, comme beaucoup d’étudiants, est compliquée : confinement, couvre-feu, cours à distance. Sa situation financière est précaire : elle ne peut plus prétendre aux bourses étudiantes.

    À cela s’ajoutent des tensions avec la directrice de sa résidence « Le Triolo », située sur le campus universitaire de Villeneuve d’Ascq, à quelques arrêts de métro de Lille. Depuis janvier 2020, la directrice lui reproche les allées et venues de son petit ami – pourtant chose courante dans les résidences étudiantes – qu’elle accuse d’insultes envers le personnel. Emmanuel Parisis, directeur du Crous à Lille, abonde en ce sens :

    « Son ami n’est pas étudiant, et elle n’a pas le droit d’héberger clandestinement quelqu’un. Et c’est quelqu’un qui est dangereux, qui a menacé des personnels. Il a menacé de mort la directrice et un étudiant qui est veilleur de nuit dans la résidence. Il y a eu deux plaintes de déposées. » (1)

    Mégane lâche, énervée :

    « Les accusations sont infondées, je ne comprends pas ce qu’il m’arrive ! »

    Pas de trêve hivernale pour les étudiants

    Le 1er juin 2020, le Crous envoie une lettre de résiliation de son logement à Mégane, lui intimant l’ordre de quitter les lieux sous peine d’être assignée au Tribunal administratif (TA). Contrairement à une procédure d’expulsion classique, les étudiants en logement Crous ont des droits limités, nous précise maître Muriel Ruef, son avocate :

    « Pour les logements étudiants, il n’y a pas de trêve hivernale, pas de délai pour quitter les lieux. C’est une expulsion sèche, une simple lettre de résiliation ! ».

    Alors que le Crous ne transmet plus ses attestations de loyers à la CAF depuis le premier juin, elle perd l’accès aux APL et accumule les dettes : 799 euros d’arriérés de loyers, et un peu plus de 1.000 euros de frais de procédure.

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/megane.jpg

    L’étudiante alterne désormais les nuits dans sa voiture et à l’hôtel. / Crédits : Pierre Bonnevalle

    Le 22 septembre, l’audience au TA confirme son expulsion « en raison du comportement de son ami et non de ses dettes de loyers », précise Emmanuel Parisis, le directeur du Crous. Il reste que le recours à la force publique n’a pas été prononcé. Mégane est censée partir, mais on ne peut pour le moment l’y contraindre.

    Une expulsion manu militari

    Début janvier 2021, elle reçoit une première visite d’un huissier, lui « demandant de partir », raconte Mégane, qui « refuse ». « Ce que la loi lui autorise », détaille l’Atelier Populaire d’Urbanisme de Lille-Fives. Une association qui aide les personnes mal logées ou en procédure d’expulsion, qui précise :

    « À aucun moment un huissier peut expulser une personne, étudiante ou non, de son logement. Il n’a même pas le droit de rentrer. Pour expulser quelqu’un, il faut que le préfet autorise le recours à la force publique. »

    Mardi 19 janvier, à 9 heures, José L., huissier de justice à Roubaix, serait intervenu – gazeuse à la taille – avec « deux malabars », selon Mégane, qui nous raconte son réveil brutal :

    « Avec mon copain, on entend quelqu’un taper à la porte, puis des bruits de perceuse. Mon ami ouvre la porte et les trois individus pénètrent dans le logement. Je leur explique alors que je ne sortirai pas de chez moi et appelle mon assistante sociale. L’huissier m’intime l’ordre de partir et me dit : “Vous prenez vos affaires et vous vous cassez !” ».

    L’avocate de Mégane, maître Muriel Ruef complète : « L’assistante sociale atteste par écrit qu’elle a eu Mégane au téléphone pendant que l’huissier était là, qu’elle l’a entendue très nettement dire à l’huissier : “Je ne veux pas partir, je ne sais pas où aller”. Concrètement, ça s’appelle une opposition à une expulsion ! »

    L’huissier, qui se voit opposer une fin de non-recevoir, ne se débine pas pour autant et prend « Mégane par ruse », explique maître Muriel Ruef :

    « L’huissier lui a dit : “Prenez ce sac, posez le là-bas”. Le “là-bas”, c’était dans le couloir. “Maintenant, vous êtes dehors, vous ne rentrez plus !” Et ils ont sorti ses affaires au fur et à mesure ! »

    Deux versions

    Lorsque la police arrive, l’huissier et ses acolytes dénoncent des outrages et des menaces de mort à leur égard. Mégane conteste cette version :

    « Les policiers ont écouté l’huissier, qui racontait n’importe quoi, que moi et mon ami avions été violents. Que mon ami avait un couteau, c’est n’importe quoi ! Quand la police a contrôlé mon ami, ils n’ont rien trouvé sur lui ! »

    Jeudi 21 janvier, son ami est jugé en comparution immédiate. Comme le rapporte la Voix du Nord, ce sont de lourdes charges qui pèsent sur lui : outrage et menace de mort envers une personne dépositaire de l’autorité publique. Le petit ami est finalement condamné à des travaux d’Intérêts général. « On n’a pas cherché à contacter les étudiants de la résidence, ni le serrurier et les déménageurs », s’étrangle maître Kenza Gaillard-Benkhalef, avocate de l’ami de Mégane qui annonce l’intention de son client d’interjeter appel.

    Interrogé par StreetPress, l’avocat de maître José L., Benoît Cousin nous informe que son client « n’entend pas commenter les faits à l’origine de cette décision de justice dont la légitimité ne souffre d’aucune contestation », et voit dans la décision rendue par le tribunal « la reconnaissance de sa qualité de victime ».

    Des pratiques d’expulsion (ir)régulières

    Reste que selon maître Muriel Ruef, l’avocate de Mégane, l’expulsion de sa cliente était parfaitement illégale (2). Elle a sollicité l’huissier pour des éclaircissements et envisage de porter plainte avec Mégane contre celui-ci. Elle compte également interroger la chambre régionale des huissiers sur ces pratiques, et lâche :

    « C’est fou qu’on puisse expulser quelqu’un, livré à soi-même, alors que c’est le couvre-feu. C’est un scandale que les étudiants ne bénéficient pas de la trêve hivernale ! »

    Interrogé sur la légalité de la procédure, le directeur du Crous de Lille botte en touche :

    « Je ne maîtrise pas la procédure juridique… On est passé par un huissier pour mettre en œuvre la procédure… On attend encore le retour du huissier sur la restitution ».

    Le cas de Mégane ne serait pas isolé. L’Atelier populaire d’urbanisme de Lille-Fives, qui a suivi de nombreux dossiers d’étudiants logés par le Crous de Lille, dénonce les pratiques de l’organisme et des huissiers qui exécutent les expulsions :

    « Des étudiants nous ont raconté des cas où les huissiers sont entrés dans leur logement alors qu’ils n’étaient pas là. L’huissier s’installe avec des gros bras et quand les gens rentrent chez eux, ils les poussent à partir, les menacent, mettent leurs affaires dehors. C’est totalement illégal ! »

    Plusieurs syndicats étudiants sont mobilisés pour réclamer un moratoire sur le paiement des loyers et demandent le respect de la trêve hivernale pour l’ensemble des étudiants. Sud Étudiant « exige sans délai l’attribution d’un nouveau logement Crous pour Mégane ». Interrogée, la Fédération syndicale étudiante (FSE) s’indigne :

    « Les étudiants logés au Crous sont les plus précaires. Ils vivent dans des logements insalubres, et éprouvent des difficultés personnelles et financières. Dans le contexte actuel, les étudiants galèrent à trouver un emploi, un stage ou à renouveler un titre de séjour. Que le Crous se permette d’expulser ou de menacer d’expulsion nous afflige. »

    En attendant, Mégane a bénéficié du soutien de collectifs d’aide aux mal-logés. Elle a pu dormir à l’hôtel, et souffler un peu.

    (1) Malgré nos demandes, Emmanuel Parisis a refusé de nous faire parvenir les témoignages, même anonymisé.

    (2) Maître José L., l’huissier de justice, indique dans la procédure qu’il ne s’agit pas d’une expulsion, mais d’une saisie mobilière, ce qui serait légal. StreetPress l’a contacté pour en savoir plus. Il n’a pas répondu à nos sollicitations.

    Cet article est en accès libre, pour toutes et tous.

    Mais sans les dons de ses lecteurs, StreetPress devra s’arrêter.

    Je fais un don à partir de 1€
    Sans vos dons, nous mourrons.

    Si vous voulez que StreetPress soit encore là l’an prochain, nous avons besoin de votre soutien.

    Nous avons, en presque 15 ans, démontré notre utilité. StreetPress se bat pour construire un monde un peu plus juste. Nos articles ont de l’impact. Vous êtes des centaines de milliers à suivre chaque mois notre travail et à partager nos valeurs.

    Aujourd’hui nous avons vraiment besoin de vous. Si vous n’êtes pas 6.000 à nous faire un don mensuel ou annuel, nous ne pourrons pas continuer.

    Chaque don à partir de 1€ donne droit à une réduction fiscale de 66%. Vous pouvez stopper votre don à tout moment.

    Je donne

    NE MANQUEZ RIEN DE STREETPRESS,
    ABONNEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER