Calais (62) – Ils sont un peu moins de 200 Érythréens installés sur ce terrain de BMX. Mercredi 11 novembre, une intervention de la police dégénère. Les CRS font usage « de plusieurs grenades lacrymogènes et de cinq tirs de lanceurs de balles de défense (LBD) », détaille la préfecture du Pas-de-Calais. Selon plusieurs témoignages glanés auprès des exilés, un projectile de LBD touche un Érythréen au visage. Une semaine après, l’homme est toujours hospitalisé, selon les informations recueillies par Utopia 56 Calais :
« La personne blessée est hospitalisée et son état médical ne lui permet pas de donner son accord quant à la diffusion de son état de santé. »
« Il l’a visé en pleine figure »
Il est 15h, ce mercredi 11 novembre. Deux bénévoles de Refugee Info Bus sont de passage sur le camp. Mais il n’y a pas grand monde sur le terrain de BMX, raconte Amanda. Selon elle, à quelques dizaines de mètres de là :
« Une compagnie de CRS empêche des exilés de retrouver leur camp et d’accéder au service [de l’association]. »
Une demi-heure plus tard, une vingtaine d’exilés rejoignent le petit groupe de personnes bloquées par les CRS. StreetPress a pu consulter plusieurs témoignages recueillis par l’ONG. Ils témoignent de l’incompréhension qui règne chez les migrants. Abel (1), présent au moment des faits, explique :
« Les CRS ont bloqué certains de nos compatriotes au niveau du pont. Nous leur avons demandé pourquoi. Et de laisser passer les personnes. Ils ont refusé de discuter avec nous. »
Selon la préfecture, la présence des CRS visait « à sécuriser une intervention des sapeurs-pompiers pour porter assistance à un migrant blessé ». Ces « blocages sont réguliers », assure pourtant Amanda :
« Les exilés utilisent cette route pour rejoindre le centre-ville, pour aller au supermarché ou revenir dans le camp. Les CRS les regardent, se moquent d’eux, les intimident. »
La tension monte. La scène est chaotique. Les forces de l’ordre se disent « victimes de jets de projectiles ». Dans la foulée, « plusieurs grenades lacrymogènes sont lancées par les CRS en direction des exilés », complète Amanda. Bientôt, plusieurs Érythréens se « retrouvent bloqués entre deux camionnettes de CRS », précise-t-elle :
« Les CRS ont alors tiré en direction des personnes qui se trouvaient entre les deux camionnettes. Il y avait beaucoup de gens qui couraient et de la fumée. C’est à ce moment que j’ai vu un homme tomber au sol, blessé. »
Dans son témoignage recueillis par les bénévoles, Abel confirme :
« Le CRS l’a visé en pleine figure ! Directement au niveau du visage, à moins de dix mètres. Il y avait beaucoup de sang, ça lui a explosé au visage. Il saignait abondamment du front. »
Les exilés retrouvent une douille de LBD 40 près du blessé. « La portée effective du LBD 40 est entre 25 et 50 mètres », explique IanB, du collectif Désarmons-Les :
« En dessous de 15 mètres, on est dans la distance dangereuse, voire létale. Les effets peuvent être multiples : fractures, traumatismes crâniens avec ou sans affections neurologiques, perte de goût, odorat, mémoire, aphasie, épilepsie, mutilations ! »
Un petit groupe s’affaire autour du blessé, tandis qu’un associatif appelle les secours. Mais les pompiers tardent à arriver. Amanda raconte :
« Les exilés ont supplié les CRS de les laisser l’emmener à l’hôpital et de ne pas le laisser mourir ! »
Finalement Amanda et son équipe embarquent l’homme dans leur camion. « Les CRS nous ont bloqué et nous ont demandé d’ouvrir la camionnette », s’indigne-t-elle. « Il était très clair que c’était urgent, car la table dans le fourgon était couverte de sang et sa tête était déformée. » Les sapeurs-pompiers arrivent dans les minutes qui suivent. Après un temps de négociation, l’un des hommes en rouge peut finalement voir le blessé. Chloé, de Human Rights Observer (HRO), est témoin de la scène :
« La personne blessée était complètement défigurée et méconnaissable. Elle n’arrivait pas à ouvrir les yeux et était couverte de sang. Elle avait une profonde blessure au milieu du front. Un pompier demande au CRS comment la personne s’est blessée. Il lui répond que c’était “surement un caillou d’un de ses compatriotes“ ».
Deux exilés portent leur ami jusqu’à l’ambulance. L’un d’eux est ensuite interpellé par la police nationale. « Formellement reconnu comme étant l’un des auteurs du caillassage », assure la préfecture. Jugé au tribunal judiciaire de Boulogne-sur-Mer, il a été condamné à sept mois de prison avec sursis. La préfecture précise également que « le préfet a sollicité le directeur départemental de la sécurité publique en lui demandant un rapport très précis sur les faits allégués ».
Le terrain vide des Érythréens après une expulsion, le 23 octobre 2020. / Crédits : Human Right Observer
Les exilés dénoncent des violences récurrentes
Depuis le 21 juillet 2020, HRO explique que ce camp d’Érythréens a fait l’objet de plus de 50 expulsions, dont deux démantèlements d’ampleur, le 21 août et le 29 septembre. À chaque fois, ils reconstituent leur camp. Depuis le reconfinement, migrants et bénévoles témoignent d’une recrudescence des actes de violences et d’intimidation à l’égard de cette communauté. Abraham (1) raconte :
« Les CRS m’ont bloqué, ils m’ont frappé avec le bâton de police. J’ai été gazé aussi. Ça arrive presque à chaque fois qu’on va dans le centre-ville ou quand on veut rentrer à la maison [au terrain de BMX, leur lieu de vie]. »
Asmara (1) qui vit également dans ce camp abonde. « À plusieurs reprises, les CRS accélèrent fortement en nous voyant marcher le long de la route, comme pour nous écraser ». Pour lui, les CRS instillent « une peur constante. Ils ne nous laissent jamais tranquille ». Et quand ce n’est pas la peur, ce sont des moqueries, dit-il :
« Les CRS nous filment, rigolent, c’est humiliant. »
Au nom de la communauté érythréenne de Calais, HRO a saisi – lundi 16 novembre – le Défenseure des droits et questionné le préfet du Pas-de-Calais et la direction centrale des CRS sur ces violences exercées sur les exilés.
L’affaire n’est pas nouvelle, même si les tensions semblent s’intensifier. Ainsi, en avril dernier, déjà, dans une lettre ouverte relayée par les associations calaisiennes, la communauté érythréenne témoignait de « faits de harcèlement et de violences policières ». Dans la foulée, plusieurs procédures judiciaires ont été lancées : cinq plaintes au procureur de Boulogne-sur-Mer, cinq saisines auprès de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) et cinq saisines à la Défenseure des droits.
(1) Les prénoms ont été modifiés.
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