Lundi 30 novembre, la majorité parlementaire a annoncé que l’article 24 de la proposition de loi sur la « sécurité globale » allait être totalement réécrit. Ce texte, qui prévoit de pénaliser la diffusion d’images des policiers, a rencontré depuis sa création une vive opposition. Et a eu tendance à occulter tous les autres articles de cette loi. Un large volet du texte porte sur le secteur de la sécurité privée. Certains articles y élargissent les opportunités de reconversions des forces de l’ordre, pour le plus grand bonheur du député qui mène cette proposition de loi : l’ex-policier Jean-Michel Fauvergue (1).
L’élu LREM, ancien patron du Raid, possède une société de « formation et toute intervention de ce type dans les domaines du management et de la sécurité », comme l’a révélé la Lettre A en janvier dernier. Si la Lettre A, et le Canard enchaîné dans son édition du 25 novembre, ont pointé que l’ancien superflic avait habilement évité l’écueil de l’activité de consulting – interdite pour les députés en activité après l’affaire Fillon – certains articles de la loi Sécurité globale interrogent : ils ressemblent à des cadeaux à la corporation policière.
L’article 15 permettra à un policier retraité de cumuler sa retraite avec des revenus de sécurité privée, sans plafond. Auparavant, si les policiers avaient trop de revenus provenant de la sécurité privée, leur pension était diminuée. Désormais, ce sera open bar. De quoi faire tiquer certains observateurs, comme le député France Insoumise Ugo Bernalicis. Lors de l’examen de la loi dans l’hémicycle de l’Assemblée le 19 novembre, celui-ci a évoqué un conflit d’intérêts en visant Jean-Michel Fauvergue. Joint par StreetPress, il explique : « Il ne faut pas me faire croire que le gendarme ou le policier à la retraite dépasserait son plafond pour des missions de sécurité privée. C’est ridicule. C’est bien pour ceux qui ont pour objectif d’avoir des assez hautes rémunérations du secteur privé à la retraite. Et ça concerne tout de suite beaucoup moins de gens ». Anthony Caillet, de la CGT-Police, complète :
« Les policiers qui partent dans ces milieux, ce n’est pas pour faire de la sécu chez Auchan. Ce sont plutôt des postes de cadres. On va aller chercher des anciens flics de la PJ et des renseignements. Ils ont des connexions et du réseau. Ils ont eu accès à l’entièreté des fichiers de police. »
L’exemple du Squale
Le syndicaliste cite à titre d’exemple Bernard Squarcini, qui a pu monnayer ses réseaux pour LVMH. Jean-Michel Fauvergue peut bénéficier de cet article 15, comme n’importe quel policier retraité – lui qui a remis son insigne depuis juin 2017, selon sa déclaration à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). Mais pas avec sa société actuelle. Les activités de sécurité privée concernées par la loi n’incluent que de la surveillance et de la protection de biens ou de personnes, pas de la formation ou des conférences.
Et quand bien même, ce ne serait pas pénalement répréhensible. Pour que ça le soit, « il faut arriver à qualifier une prise illégale d’intérêts », estime Élise Van Beneden, de l’association anticorruption Anticor, qui cite les articles 432-12 et 432-13 du code pénal.
Il n’y a plus de déontologue à l’Assemblée
Jean-Michel Fauvergue pourrait en tout cas contrevenir au règlement interne de l’Assemblée nationale. Selon celui-ci, le conflit d’intérêts représente « toute situation d’interférence entre un intérêt public et des intérêts privés de nature à influencer ou paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif du mandat ». Néanmoins, il n’y a pas de conflit d’intérêts « lorsque le député tire un avantage du seul fait d’appartenir à la population dans son ensemble ou à une large catégorie de personnes ». Les ex-policiers entrent-ils dans ce critère ? Pas selon Élise Van Beneden et Anticor.
Pour le savoir, le mieux pour Jean-Michel Fauvergue aurait été de consulter le déontologue de l’Assemblée nationale. Seul problème : « Il n’y en a pas en ce moment », se désole Élise Van Beneden. La secrétaire générale adjointe d’Anticor prévient toutefois : si Jean-Michel Fauvergue réoriente sa boîte vers la prestation de sécurité, son activité de député pourrait poser problème rétroactivement. « Nous serons très attentifs à cette question afin de vérifier que la loi n’avantage pas son entreprise ». De l’aveu même de cette avocate, la mandature actuelle est pleine de conflits d’intérêts :
« Depuis 2017, c’est du jamais-vu. Il existe une porosité inquiétante entre pouvoir public et intérêts économiques. Il faut remettre l’intérêt général, le sens du service public et les valeurs éthiques au centre de l’action publique ».
(1) Contacté, Jean-Michel Fauvergue n’a pas souhaité répondre aux questions de StreetPress, expliquant qu’il n’avait pas le temps « compte tenu de l’agenda ».
Photo d’illustration de l’hémicycle de l’Assemblée nationale prise le 22 septembre 2009 par Richard Ying et Tangui Morlier, via Wikimedia Commons. La photo a été recadrée. Certains droits réservés.
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