Jeudi 26 novembre, le média Loopsider diffuse une vidéo montrant le long passage à tabac du producteur Michel Zecler par plusieurs policiers. « Propre », commente sur Facebook un fonctionnaire lyonnais (1). « Ils ne font quasiment aucun usage de la force. » Un second abonde :
« Je regrette mais c’est super propre du début à la fin. »
Quand d’autres soupçonnent un coup monté du producteur. « Un peu de pub pour sortir un prochain album ? », s’interroge ainsi l’un. Un autre partage un article du site d’extrême droite Riposte Laïque qui évoque une « énorme manipulation ». « Hier soir sur le plateau d’Hanouna, plus aucune trace sur le visage et la lèvre [de Michel (…)], je suis sceptique », détaille Aurélie Laroussie. Elle est présidente de l’association Femmes des forces de l’ordre en colère (FFOC). Et c’est à ce titre qu’elle a été entendue, le jeudi 26 novembre, à l’Assemblée nationale dans le cadre de la commission d’enquête parlementaire consacrée à la police.
Les violences policières à l'encontre de Michel Zecler n'ont pas émeut les membres du groupe. Certains, dont une présidente d'association habituée des plateaux télés, n'ont pas hésité à verser dans le complotisme. / Crédits : DR
Le groupe vit bien
C’est sur le groupe Facebook TN Rabiot, dont Aurélie Laroussie (2) est une habituée, que StreetPress a pioché ces commentaires. Ce forum – où des milliers de policiers et gendarmes s’échangent des messages racistes – est toujours actif. Le 4 juin dernier, StreetPress révèle son existence au grand public. L’affaire fait grand bruit. Le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner à l’époque, est contraint de réagir. Il saisit le parquet qui ouvre une enquête pour « injure publique à caractère raciste » et « provocation publique à la haine raciale ». Six mois plus tard (presque jour pour jour), l’enquête est toujours en cours (3) et le groupe se porte bien.
Au moment de la publication de notre enquête, il comptait près de 8.000 membres. On aurait pu croire que les risques de poursuites auraient fait fuir les fonctionnaires. Mais pas vraiment. Ils sont aujourd’hui plus de 7.000. Le 20 octobre dernier, l’une des administratrices, Isabelle Biland-Perennes (4) – présidente du Clip, une association de soutien aux forces de l’ordre – se réjouit de la bonne santé du groupe : les demandes « d’adhésions explosent », près de 4.500 en attente, dit-elle. Et à propos de StreetPress, qui selon elle a juré d’avoir « la peau de TN Rabiot Police », elle adresse un « No Pasaran ! ». L’entreprise Facebook a, de son côté et à plusieurs reprises, supprimé certains propos. Mais le géant américain semble incapable de suivre.
Alors que StreetPress avait déjà pointé le racisme du groupe et qu'une enquête a été lancée, les risques de poursuites n'ont pas fait fuir les fonctionnaires. Ils sont plus de 7.000 avec 4.500 demandes d'adhésions en attente. / Crédits : DR
Soutien aux agresseurs de Michel
Depuis la diffusion des vidéos du passage à tabac du producteur. Le groupe TN Rabiot est en ébullition. Quelques voix s’émeuvent de l’impact sur l’image de la police. Mais la plupart des commentaires pointent le mauvais traitement que subissent… « les collègues du 17 » [arrondissement]. Il faut les soutenir. L’idée fait consensus. L’un propose une « grève devant Beauvau ». 50 likes tout de même, mais l’idée fait long feu. Un autre demande s’il existe une cagnotte. Non, pas encore ? Ni une, ni deux, la voilà créée et partagée. Elle est ensuite relayée par le syndicat Alliance et récolte plus de 15.000 euros en quelques heures, avant d’être supprimée. La plateforme Pot commun a considéré qu’elle ne respectait pas ses conditions légales d’utilisation. Retour à la case départ.
Sur TN Rabiot, on bout du képi pour trouver une parade. L’association Hors Service (créée par des policiers) met sa propre cagnotte au service de la cause, promettant de reverser l’intégralité des dons sans prendre de commission. Mais assez vite, il leur est demandé « d’annuler ». « Une cagnotte a été créée de concert avec l’Amicale et les familles des collègues concernés », assure Maxime. Le lien resterait privé afin d’éviter de voir la cagnotte à nouveau strikée.
Et vive les syndicats de police !
Alliance n’est pas le seul syndicat qui entretient des liens avec le groupe TN Rabiot. Parmi ses membres, on trouve même la très médiatique Linda Kebbab, déléguée du premier syndicat de France, unité SGP police FO. La gardienne de la paix n’a jamais personnellement tenu de propos problématiques. Mais elle intervient à plusieurs reprises. Joint par StreetPress, la syndicaliste explique être sur « cinquante groupes », dont celui-ci. Et considère qu’à l’heure actuelle, elle n’a pas de raison de le quitter. « Il y a une enquête, la justice suit son cours. » Elle précise toutefois qu’elle se « condamne les propos racistes ou haineux. » (5)
On trouve aussi sur TN Rabiot, partagé par un membre du groupe, un tweet du très virulent syndicat des commissaires de Police (SICP), contenant une vidéo du journaliste à Là-Bas si j’y suis, Taha Bouhafs. Ce dernier participe à un rassemblement contre la loi de sécurité globale. En guise de commentaire, le commandant de police du Gard qui partage le tweet écrit :
« On continue à accepter ce genre de crétin sur notre sol ou on le catapulte de l’autre côté de la Méditerranée ? Moi, je dis retour à l’envoyeur ! Ça suffit ! »
Si d’autres journalistes comme Gaspard Glanz ou David Dufresne sont très brièvement évoqués dans le groupe, Taha Bouhafs cristallise la haine et le racisme de certains policiers. Un agent parisien republie la même vidéo (d’ailleurs tournée par StreetPress) agrémentée du commentaire :
« Taha Bouhafs dit le kabyle des écolos ou le toutou de la France Insoumise. Une seule solution, la reconduite à la frontière. »
Dans les commentaires, sous ces deux posts, c’est un véritable déchaînement raciste. « Je vote pour la catapulte », dit un fonctionnaire. Un non-policier propose « l’écartèlement lent ». Un policier, habitué des commentaires racistes lâche : « Grosse merde ! Plus aucune aide sociale et retour au bled !! ». L’homme revendique même de ne plus travailler sur la voie publique, car sinon il « serait à l’IGPN toutes les semaines ».
Le journaliste Taha Bouhaf cristallise la haine et le racisme de certains policiers. Chaque post qui le concerne sur le groupe est un déchaînement raciste. / Crédits : DR
Cyberharcèlement
Pour Taha Bouhafs, le harcèlement en ligne est quotidien. Il explique que les posts des syndicats de police qui le mentionnent cristallisent la haine. Et dans les commentaires ou réponses, on trouve de très nombreux messages racistes. Le partage de ces tweets dans le groupe TN Rabiot ne peut qu’attiser ce cyberharcèlement. Joint par StreetPress, Taha Bouhafs répète être « fatigué ». « Je n’ai plus l’énergie de lutter contre les insultes. Pour ma santé mentale, c’est impossible de lire et de signaler » :
« Le cyberharcèlement que je subis est devenu dément. J’ai des difficultés à utiliser mon compte Twitter car mes publications sont signalées en masse par des groupes. Ce sont de véritables raids. »
D’ailleurs, quand le compte Twitter du jeune journaliste est suspendu – après semble-t-il de nombreux signalements – les policiers se réjouissent sur le groupe. Malgré presque 100.000 abonnés, le réseau social refuserait de certifier le compte de Taha Bouhafs. Ce qui pourtant le protégerait de ces raids.
La haine des Gilets jaunes
Taha Bouhafs n’est pas la seule victime récurrente de la vindicte de ces policiers. La haine des Gilets jaunes est viscérale chez certains fonctionnaires. Un appel au rassemblement pour l’anniversaire du mouvement est partagé dans le groupe. Un fonctionnaire de la BAC 75 écrit ce commentaire lourd de menaces : « On va fêter ça comme il se doit ». Une brigadière du Val-d’Oise ironise de son côté :
« Il va y avoir des gâteaux d’anniversaire de 8/6 dès 9h du mat’ et un concours de celui ou celle qui aura plus de chicots que son voisin/voisine ! »
Un policier du Havre qualifie les Gilets jaunes de « tocards fini à la 8-6 », et de « connards ». Un autre de « sacs à merde ». Les messages insultants à leur encontre sont extrêmement nombreux. Dans le lot, de nombreux commentaires sont à l’intention de Jérôme Rodrigues, éborgné par la police. « Un débile mental » pour l’un. « Sale m… », pour un autre. Et surtout des blagues de mauvais goût sur son handicap : « J’ai l’impression qu’il louche », « Il voit cette loi d’un mauvais oeil ». Des commentaires accompagnés d’images d’homme qui louchent ou de cyclope.
La haine des Gilets jaunes est également viscérale chez certains fonctionnaires. Jérôme Rodriguez est une cible favorite. Les policiers se moquent de sa blessure à l'oeil. L'un d'eux est même d'une extrême violence en écrivant que c'est une « sous-merde à éradiquer ». / Crédits : DR
À l’été, Aurélie Laroussie, présidente du FFOC, annonce la paternité du militant. Elle agrémente le poste qui évoque la naissance d’une petite fille du commentaire :
« Oh merde ! Il se reproduit en plus ! »
En dessous de nombreuses insultes n’épargnent pas le nouveau-né. Les commentaires infamants qui visent Jérôme Rodrigues se comptent par centaines. Leur simple recension prendrait des jours. Joint par StreetPress, le Gilet Jaune n’est pas surpris. Il explique être également victime de ce genre de blagues douteuses de fonctionnaires en manifestation :
« J’ai déjà entendu qu’on allait me faire le second œil. Ou encore qu’on me tenait à l’œil. »
Même les responsables comme Aurélie Laroussie, présidente de l’association Femmes des forces de l’ordre en colère, se moquent du handicap de Jérôme Rodriguez. / Crédits : DR
S’il explique qu’il peut avoir de l’humour sur la question, Jérôme Rodrigues pense que le contexte ne s’y prête pas. Surtout, il ne supporte plus le harcèlement en ligne :
« C’est le plus dur à vivre, c’est pire que de perdre un œil. Cette cabale sur Internet, ça me détruit. »
Racisme partout, justice nulle part
À propos du comédien Yvan Le Bolloc’h – soutien des Gilets Jaunes, engagé contre la loi Sécurité globale, ardent défenseur des voyageurs –, un fonctionnaire de police très actif sur le groupe écrit :
« Ce genre de salopes qui sucent les gitans pour avoir le droit à une caravane chez eux/sur le parking de la municipalité, c’est un appel à la tondeuse ! »
Le commentaire est signé d'un fonctionnaire de police très actif sur le groupe. / Crédits : DR
Sur TN Rabiot, le racisme n’est pas présent dans chaque conversation mais quand un sujet d’actualité concerne des personnes racisées, c’est un véritable déchaînement. Ainsi, après l’expulsion violente des exilés, symboliquement installés place de la République à Paris, un policier du Gard s’enflamme :
« Des envahisseurs en situation irrégulière sur le sol français, aidés par des collabo-gauchos foutent le bordel sur notre sol et ce sont les policiers qui vont être emmerdés ! »
Sur le groupe, le racisme n'est pas présent dans chaque conversation, mais il se déchaîne quand cela concerne des personnes racisées. Comme lors de l'expulsion violente des exilés, place de la République à Paris, où un commentaire en profite pour se moquer de la mort de Steve Maia Caniço, noyé dans la Loire après une intervention policière. / Crédits : DR
Un autre en poste à Paris enchaîne : « Il fallait d’abord (…) verbaliser toutes ces petites merdes puis procéder à l’expulsion de nos chères valeurs ajoutées pour la France » (une expression ironique courante à l’extrême droite). En réaction à une autre manifestation de sans-papiers au mois d’octobre, une jeune adjointe de sécurité lâche : « Faut pas s’étonner d’avoir des profs égorgés ». Un militaire de la marine nationale s’enflamme en dessous :
« Réquisition des FDO, de l’armée, des bâtiments qui les ont conduits jusqu’ici et retour au bled direct ! »
Un post évoque une manifestation de ressortissants de la communauté turque en France. Un policier d’Alençon propose la « déchéance de nationalité et retour au bled ». Un brigadier-chef de la police municipale de Marseille lance carrément « feu à volonté ». Un autre propose de leur lancer une grenade.
Un post évoque une manifestation de ressortissants de la communauté turque en France. « Feu à volonté » lance un brigadier-chef. Un autre propose de leur lancer une grenade. / Crédits : DR
La famille Traoré
Ce racisme décomplexé n’épargne pas les figures de la lutte contre les violences policières, Assa Traoré et sa famille. Le décès de son cousin, Mahamadou Fofana, dont le corps a été repêché dans la Seine, est l’objet de nombreuses railleries. « Ils pensent à une mise en Seine », blague lourdement un premier policier. Un second reprend : « Un poisson de la police nationale qui patrouillait l’a sûrement percuté dans l’eau ». Puis : « Tous dans un avion et direction le Mali, ce sont des parasites », « prompt rétablissement au policier qui a plongé pour l’interpeller, j’espère qu’il n’a pas chopé un rhume » ou « au lieu d’apprendre à voler, il aurait dû apprendre à nager » et même le triste jeu de mots :
« Black Lives Water. »
Tandis qu’un policier de l’Yonne dresse un parallèle entre les morts des deux cousins, Adama et Mahamadou :
« Gendarmerie / Police, 1 partout balle au centre. »
Les moqueries racistes sont nombreuses envers les figures de la lutte contre les violences policières comme Assa Traoré et sa famille. / Crédits : DR
Dans le groupe, presque aucune voix dissonante. Une femme tente de signaler qu’une vidéo publiée met en scène des militants fascistes. Il s’agit en effet d’un rassemblement de l’extrême droite à Nice, après l’attentat commis à la basilique Notre-Dame. Elle se désole :
« C’est dommage que ce soit des mecs qui lèvent le bras d’une manière sinistre, qui rappelle une période dégueulasse de l’histoire. »
Mais pour d’autres membres du groupe, ce n’est que le signe des ultras, les supporters du club de football de la ville. Qu’importe si les manifestants scandent :
« On est chez nous ! Islam ! Islam ! Hors d’Europe ! »
(1) Pour chaque individu cité, StreetPress a vérifié, principalement en épluchant les comptes Facebook, qu’il s’agissait bien d’un fonctionnaire de police ou de gendarmerie.
(2) Contactées par StreetPress, Aurélie Laroussie estime ne pas se sentir responsable des propos relayés par StreetPress. Elle dit « gérer des groupes sur les réseaux sociaux et que celui-ci n’est pas de sa responsabilité ». Elle déclare être sur « plus de 30 groupes pro-police. J’ai un travail, des enfants, je ne vois pas tout ». Sur les propos racistes, elle se « désolidarise complètement. Je ne suis pas leur mère, ils doivent assumer ». Elle affirme vouloir rétablir un dialogue sain avec ceux qui n’ont plus confiance en la police. Elle explique également être victime de cyberharcèlement et recevoir des menaces de mort car elle est femme de CRS.
(3) Contacté par StreetPress le parquet confirme que l’enquête est toujours en cours et n’a pas répondu à nos questions sur l’avancée de la procédure.
(4) Contactée par StreetPress, elle n’a pas répondu à nos questions.
(5) Linda Kebab assure par ailleurs ne pas avoir elle même lu les propos racistes.
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