Alfortville (94) – « C’est symbolique d’être devant la mairie. On est là pour qu’on nous entende, on veut juste jouer au football », lance au micro, le vice-président de l’US Alfortville (USAF) Sami Belferroum. Ce dimanche 18 octobre, une centaine de personnes partage un brunch devant l’hôtel de ville. « Tous les dimanches matins, on organisait un repas dans le complexe du Val-de-Seine pour les joueurs et les enfants avant qu’ils aillent jouer leur match », expose-t-il devant l’assemblée. Sauf que depuis septembre, l’accès au complexe sportif d’Alfortville leur est interdit. Le résultat d’une guerre ouverte entre ce club de football et la mairie.
Le Parisien, 94citoyens ou SoFoot se sont déjà fait écho du sujet. Pour justifier la mise sur la touche du club, la mairie évoque de graves manquements dans la gestion financière. Les dirigeants de l’USAF se disent quant à eux victimes d’un règlement de comptes politiques entre le directeur général du club et le maire PS Luc Carvounas. De nouveaux éléments récoltés par StreetPress et notamment un enregistrement où l’on peut entendre le maire appuient cette thèse.
Un soutien de la famille Rabiot
Pendant que les enfants se montrent leurs cartes à jouer sur la place de la mairie, le micro passe de main en main. « Ce combat est juste. Je vous aiderais avec les moyens qui sont les miens pour que vous puissiez gagner », lance Véronique Rabiot aux parents et membre du club. La mère du joueur de la Juventus Turin et international français Adrien Rabiot est présidente d’honneur de l’USAF depuis le 22 septembre. « Je me suis impliquée car je ne supporte pas l’injustice. Ils m’avaient contactée quelque temps avant, quand ça a commencé à être compliqué pour eux », confie-t-elle à StreetPress. L’international français, passé par le club quand il avait 8 ans, s’est fendu d’une petite vidéo de soutien.
Début septembre, la situation est catastrophique pour l’USAF. La ville refuse au club l’accès au complexe sportif du Val-de-Seine qu’il occupe pourtant depuis des années. L’USAF est obligée de trouver de nouveaux terrains, une gageure en Île-de-France. Pour les gamins et de nombreux joueurs, jouer à Vitry-sur-Seine qui les accueille est trop compliqué. Et 500 des 641 joueurs ne reprennent pas leur licence.
« Ça a causé deux nouveaux problèmes. D’une part, avec moins de licenciés, on perd de l’argent, environ 100.000 euros. Et ensuite, sportivement, on a beaucoup moins de joueurs pour nos équipes et on risque des forfaits », indique Sami Belferroum.
Une alliance politique
Selon les dirigeants du club, pour comprendre les bisbilles actuelles, il faut remonter à l’hiver 2019. À l’approche des municipales, le directeur général de l’USAF, Abdoulaye Diakité, rencontre le député PS Luc Carvounas. L’élu a occupé le fauteuil de maire de 2012 à 2017, avant de laisser la place à son premier adjoint. Il compte bien se représenter et n’en fait pas mystère. Abdoulaye Diakité a de son côté mené une « liste citoyenne » concurrente lors des dernières élections municipales. Il avait récolté 6%. Le 18 novembre, une rencontre entre les deux hommes est organisée à la mairie d’Alfortville. Autour de la table Carvounas, Diakité et Mohamed B., l’un des collaborateurs de la mairie. StreetPress s’est procuré un enregistrement de 26 minutes qui couvre l’intégralité des échanges.
Véronique Rabiot est la présidente d'honneur depuis fin septembre. Présente aux rassemblements, estime que le combat de l'USAF est « juste ». / Crédits : Christophe-Cécil Garnier
Luc Carvounas demande à Abdoulaye Diakité s’il a « envie de monter dans l’aventure ». Comprendre la campagne. L’élu prévient le directeur général du club de foot :
« Soit vous êtes un enfant d’Alfortville et vous êtes avec les winners, ou vous faites autre chose et ça, c’est votre choix. »
Si le futur édile indique clairement qu’il ne « propose pas [à Abdoulaye Diakité, ndlr] d’être sur la liste », il lui assure qu’il y a « mille façons de faire de la politique » et qu’il connaît « des cadres associatifs qui sont aussi puissants qu’un maire-adjoint ». Luc Carvounas se permet même une blague sur leur précédent duel : « Dans ma vie, ceux avec qui je me suis fighté lourdement, quand on démarre quelque chose, c’est là qu’il y a les plus belles histoires ». L’élu confie même qu’Abdoulaye Diakité l’a fait « transpirer en 2014 », avant d’enchaîner sur une phrase lourde de sous-entendus :
« Après, tout le monde peut être contre moi… Mais faut gagner ! Quand on perd… »
Le revirement
Mais Abdoulaye Diakité n’est finalement pas convaincu par le discours de l’édile. « Je me disais que sa proposition était un piège », assure-t-il aujourd’hui. Il fait le pari de la majorité présidentielle et rejoint Jonathan Rosenblum, candidat LREM. Le trentenaire s’est dit qu’« en ce moment, le président c’est Macron et En Marche, donc si on les rejoint, on aura de la sécurité ». Raté. Luc Carvounas est élu dès le premier tour avec 57% des voix.
Depuis, les dirigeants de l’USAF estiment que l’édile a le club dans le viseur. Pour Karim Laouini, l’avocat de l’USAF à qui StreetPress a présenté l’enregistrement, la conversation « démontre incontestablement que lorsque la municipalité refuse de renouveler l’occupation des terrains, c’est une sanction politique. Vu que M. Diakité n’a pas rejoint la liste de M. Carvounas, c’est nécessairement pris comme une trahison, surtout quand on voit le contenu de leurs échanges. Le couperet est tombé pour le club. »
Pour appuyer ce propos, le club évoque plusieurs attaques antérieures contre Diakité. En 2015, un an après les élections, l’association La compagnie des parents, dont Abdoulaye est l’un des membres, est expulsée de ses locaux. À l’époque déjà elle avait dénoncé dans les colonnes du Parisien « des représailles politiques » de la municipalité. Durant la campagne 2020, l’homme s’est également fait radier de la liste électorale après la saisie du tribunal par le directeur de campagne de Luc Carvounas. Interrogé sur ces accusations, le maire coupe court :
« Je ne vais pas aller sur ce terrain-là. M. Diakité a certes été candidat en 2014 ou en 2020. Mais il fait 12% [le score de la liste LREM, ndlr] quand je fais 57% au premier tour. Ce n’est pas un adversaire politique, c’est un directeur technique. »
Et quand on lui parle de la proposition d’alliance qu’on peut entendre sur l’enregistrement, l’édile nie l’évidence :
« Ça n’existe pas, ça ne peut pas exister. Vous me voyez, moi, ancien parlementaire-maire, faire ce genre d’accord ? De quoi me parle-t-on ? Ça ne m’intéresse pas. »
Au cours de cet entretien téléphonique, StreetPress a pourtant indiqué au maire être en possession d’un enregistrement où on l’entend distinctement. Il a rapidement mis fin à l’interview.
Bisbilles de gros sous
Pour la mairie, tout ça est une affaire de gros sous. La municipalité reproche notamment à la direction une dette de 100.000 euros. Ce trou n’est pourtant pas de leur fait. Selon un audit de la Fédération française des clubs omnisports que Streetpress a pu consulter, le déficit a été creusé lors de la saison 2017-2018. À l’époque, le club est dirigé par un certain Chierno Ba qui a depuis quitté le club l’USAF. L’année suivante, la team de Sami Belferroum et Gueye Diakhité reprend les manettes et s’est depuis évertuée à assainir les finances. « Ça a été une découverte pour nous », assure le vice-président Sami Belferroum, adhérent des Lions depuis 1992. Le rapport final confirme le récit des dirigeants actuels et critique leur « manque d’organisation et de formation » mais note leur « bonne foi sur leur volonté de redresser le club ».
La ville a prétexté cette mauvaise gestion et une histoire de convention d’occupation non signée pour les mettre à la porte du complexe sportif. Pourtant, au cours de l’entretien enregistré, le futur maire Luc Carvounas, après avoir évoqué ce ralliement, propose l’effacement de la dette du club :
« Je vous donne ma parole qu’au mois d’avril, un des premiers courriers que je ferais, c’est de dire tout le bien que je pense de la direction de l’US Alfortville et que j’éponge la dette. »
La municipalité verse même en janvier une première subvention d’environ 24.000 euros au club. Sauf qu’après le premier tour (le 15 mars 2020) et l’engagement d’Abdoulaye Diakité dans une liste concurrente, l’argent n’arrive plus. Une nouvelle partie de la subvention pour l’USAF est bien votée en juillet avant qu’un nouveau vote en octobre n’annule la précédente délibération. « On nous l’a fait voter sans nous donner la moindre alerte sur ce club. Et un mois après, on nous dit que ce sont des voleurs, qu’il y a de grave manquements et que ça fait deux ans qu’ils n’ont pas les comptes. Vis-à-vis de la mairie, c’est très gros de faire gober ça maintenant », lance Jonathan Rosenblum, le conseiller municipal LREM, qui concède des « problèmes de gestion » dans le club.
Sami Belferroum (à gauche), Abdoulaye Diakité (au centre) et Gueye Diakhité (à droite). Ils se décrivent comme « des amoureux du club » pour qui ils jouaient depuis des années. / Crédits : Christophe-Cécil Garnier
Interrogé à ce sujet, Luc Carvounas explique qu’il pensait « qu’on avait affaire à une association qui avait envie de s’en sortir. Je ne suis pas là pour couler les gens, au contraire ». Avant donc de mettre fin à la conversation.
Si les dirigeants de l’USAF concèdent avoir mis du temps à rendre les documents, mettant en cause la crise du Covid-19, ils mettent en avant leurs comptes. Selon les documents consultés par StreetPress, le déficit est passé de 80.000 euros fin 2018 à 5.000 euros en 2019, même si la dette persiste.
Un nouveau club
En attendant, un nouveau club a été créé durant l’été : le FC Alfortville. La mairie en a fait la publicité sur les réseaux sociaux et lui a accordé 45,000 euros de subventions. « Le fait d’avoir accordé une telle somme à une asso qui n’a pas un an, où on ne connaît pas le nombre d’adhérents, c’est du jamais-vu », s’exclame l’opposant LREM, Jonathan Rosenblum. Pour maître Laouini, « le timing a parfaitement été choisi et le but est de faire de l’US Alfortville un souvenir de façon éclair ». Le nouveau club s’est notamment proposé de reprendre gratuitement les joueurs qui avaient déjà payé une licence à l’USAF. Jonathan Rosenblum conclue :
« Il y a une somme d’actions qui montrent la détermination de la municipalité à tirer un trait sur l’USAF et avoir la main sur le foot à Alfortville. »
Un mystérieux gros bras
Autre histoire étrange : au début de l’été, un certain Bernard B. serait venu voir les dirigeants de l’USAF. Il aurait revendiqué être un médiateur, sans expliquer clairement qui l’envoie et à quel titre. L’homme serait venu « mettre la pression » pour prendre la présidence des Lions. « Le maire ne veut plus entendre parler de vous, il ne veut plus que vous soyez à la tête du club. Soit vous me nommez président et vous bougez, comme ça l’USAF reste en vie, soit vous faites les têtus, vous restez et on fait un nouveau club », aurait-il menacé selon plusieurs témoins. À la fin de l’entretien, l’homme aurait bousculé le président du club, Gueye Diakhité. Rien ne permet de lier cette intervention au maire. Et nous n’avons pu évoquer ce point lui, puisqu’il a mis fin à la conversation avant notre question.
Sur le plan juridique, Me Laouini a déposé un référé-liberté concernant l’expulsion du complexe sportif devant le tribunal administratif de Melun, qui a été rejeté. L’avocat annonce déposer un recours devant le Conseil d’Etat ce mercredi 21 octobre.
(1) Abdoulaye Diakité a démissionné de son poste le 16 septembre 2020. Malgré son titre de directeur général du club, il n’était pas salarié de l’US Alfortville.
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