La nouvelle est tombée ce mercredi 18 mars au matin : la préfecture de police de Paris demande le prolongement de l’enfermement de Jérôme (1), un manifestant écologiste belge retenu au Centre de rétention administrative (Cra) de Vincennes. Ubuesque, comme l’ensemble de ce dossier.
Garde à vue sans masque
Samedi 14 mars, l’homme de 56 ans est arrêté alors qu’il manifeste aux côtés des Gilets jaunes. Initialement venu pour la marche en faveur du climat qui a été annulée, il s’est rabattu sur ce défilé autorisé. Un policier l’accuse de violences volontaires et de rébellions aux moments de son interpellation. Des faits qu’il conteste, rapporte l’une de ses avocate, Camille Vannier :
« L’interpellation a été filmée par une observatrice de la Ligue des droits de l’Homme. On ne le voit pas commettre de violence, par contre lui prend des coups. »
« C’est un vrai rouleau compresseur qui est arrivé et a commencé à me frapper violemment. J’ai cinq jours d’ITT [Incapacité totale de travail, ndlr] avec onze coups de matraques dans les jambes, sur le bras et au visage. J’ai le nez cassé et un oeil au beurre noir », abonde Jérôme au téléphone depuis une cabine du CRA de Vincennes où il est enfermé.
À la douleur s’ajoute la crainte du coronavirus qu’il pourrait avoir contracté au cours de sa garde à vue passée dans une cellule de 20m2 qu’il partage avec cinq autres personnes. « Certains montraient des symptômes qui pourraient être ceux du coronavirus et l’un d’eux se pensait atteint », s’inquiète l’avocate de Jérôme. Pourtant ni masque, ni de gel hydro-alcoolique n’est mis à leur disposition. « On voyait les policiers dire aux gens : “Vous toussez, vous ne vous approchez pas de nous. Par contre, on vous met avec les autres”. La logique… », déplore Jérôme. Les risques de contaminations sont évidents et après 48 heures de garde à vue, le manifestant commence à se sentir malade :
« J’ai toussé pendant trois jours, de dimanche à mardi. J’ai essayé de me calmer car je me suis dit qu’on allait vraiment me mettre dans une cage. »
Enfermement au tribunal avec des malades potentiels
Arrivé au tribunal de Paris, il montre donc à son tour des symptômes qui pourraient être ceux du coronavirus. « Les escortes s’en sont rendus compte », rembobine Maître Vannier. Les fonctionnaires de police décident alors de l’enfermer avec les autres personnes en attente de jugement, potentiellement malades. En guise de protection, ils leur fournissent un masque en papier. Insuffisant juge l’avocate :
« S’il n’était pas atteint à ce moment là, c’est peut être désormais le cas. »
« Ils m’ont mis le masque en me disant que j’avais une “présomption de maladie”. Parce que je renifle et qu’il “ne faut pas partager ça”. Mais je renifle surtout parce que j’ai le nez cassé ! », commente Jérôme.
L’enfermement au tribunal dure 24 heures : comme Jérôme est arrivé en fin de journée, son passage devant la cour est reporté au lendemain. C’est seulement en fin d’après-midi ce mardi, qu’il passe en comparution immédiate.
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Là encore, les précautions sanitaires ne sont pas respectées… Sauf pour le représentant du ministère public et les magistrats. « Les avocats et les traducteurs n’avaient pas de masque », rapporte Camille Vannier. « Comme je n’ai pas ma langue dans ma poche, je l’ai fait remarquer à la magistrate quand je suis allé dans son bureau. C’est une situation kafkaïenne à nouveau. Ces gens-là ne sont pas malades mais pourraient le devenir car on les traite de façon inférieure », soupire Jérôme à l’autre bout du fil.
Peu importe les conditions, ses avocates sont déterminées à plaider afin d’éviter à Jérôme « un prolongement de son enfermement » :
« Mais le président du tribunal a décidé d’un renvoi pour raisons sanitaires. »
Malgré les demandes du ministère public, aucun contrôle judiciaire n’est imposé à Jérôme. Il aurait donc pu enfin retrouver sa liberté, si la préfecture de Paris ne s’en était pas mêlée…
Placement en centre de rétention
À l’issue de sa garde à vue, Jérôme s’était en effet vue délivrer une obligation de quitter le territoire français, assortie d’un ordre de placement en centre de rétention administratif (Cra), ces prisons qui ne disent pas leur nom, réservées aux étrangers en situations irrégulières. Une décision rare (mais pas inédite pour des manifestants, StreetPress s’en était fait écho ici) pour un ressortissant européen. Pour motiver cette décision, que StreetPress a pu consulter, le représentant du préfet n’invoque rien de moins qu’une « menace réelle, actuelle et suffisamment grave à l’encontre d’un intérêt fondamental de la société française » et une « situation complète dépendance au système d’assistance sociale français ». Une décision démesurée s’indigne son autre avocate, Norma Jullien Cravotta :
« C’est une disposition normalement réservée aux infractions les plus graves, comme le terrorisme ou le crime organisé. »
Arrivé au Cra de Vincennes, Jérôme a d’abord tenté de changer de fringues. « Je n’ai pas ma valise et mes vêtements sont ceux de samedi. Vous imaginez mon état. Mais il n’y a pas de rechange », détaille-t-il. Derrière les murs, « les gens sont dépassés par la situation. C’est devenu totalement invivable », précise le quinqua belge :
« Ça ne l’était déjà pas à la base mais aujourd’hui c’est vraiment une situation catastrophique. »
Il prend pour exemple le téléphone qu’il utilise : « Est-ce que l’autre personne avant moi n’a pas postillonné dessus ? Je n’ai rien pour frotter et il n’y a pas de savon ou de gants. Ça n’existe pas ». D’après son récit, certains retenus commencent à avoir des masques mais il doute que ce soit suffisant :
« Comme on est trois dans une chambre, celui qui tousse envoie ses microbes à tout le monde. »
Un droit à la défense bafoué
Jeudi 19 mars, Jérôme va être présenté au juge des libertés et de de la détention qui doit statuer sur son maintien en Cra. Cerise sur le gâteau, la préfecture demande un prolongement de sa rétention de 28 jours. « C’est tout simplement irresponsable », pour Maître Jullien Cravotta :
« Le préfet est responsable de l’ordre public sanitaire et il demande l’enfermement dans des conditions sanitaires qu’on sait risquées. »
Une décision d’autant plus absurde que l’absence de vol jusqu’au 26 mars au moins [ils sont annulés, ndlr] empêche son expulsion, pointe son avocate :
« Par contre comme les frontières ne sont pas fermées, s’il était libéré, il pourrait rentrer par ses propres moyens en Belgique. »
À chaque heure ou presque sa mauvaise nouvelle. En fin d’après-midi ce mercredi Jérôme a appris que pour des raisons sanitaires, il ne serait pas présenté physiquement au juge :
« On m’a demandé d’écrire un mot et le tribunal en prendra note. Sous prétexte de cette situation sanitaire, on n’a plus le droit de se défendre. »
« C’est impressionnant la machine à détruire les gens », soupire-t-il en conclusion de la conversation téléphonique.
Edit le 19/03 : Ce jeudi matin, le juge des libertés et de la détention a ordonné la remise en liberté de Jérôme, considérant que son placement en centre de rétention était irrégulier, rapportent ses avocates. Cependant, le parquet dispose de 24 heures pour faire appel et de dix heures pour faire un appel suspensif (ce qui dans le second cas, impliquerait son maintien en rétention). .
Contactée, la préfecture n’a pas répondu à nos questions.
(1) Le prénom a été modifié.
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