« C’était la première et dernière fois », lâche Erwann Terrier, dessinateur, en parlant de sa participation au Brunch de l’info. Dimanche 29 septembre, il est convié dans l’émission de LCI. Embauché (en pige) pour commenter les débats et l’actualité en dessins, et en direct. Le lendemain, Erwann Terrier monte au créneau sur Twitter : aucun de ses dessins n’est passé à l’antenne, explique-t-il. Sur les cinq œuvres réalisées, une seule a en réalité été diffusée.
Ce jour-là, l’essentiel de l’émission est consacré à Jacques Chirac et à l’hommage populaire. Comme prévu, Erwann Terrier s’installe sur le plateau et dessine sur son iPad. Mais, d’après le dessinateur, la présentatrice Marie-Aline Meliyi n’est pas fan de son travail : « Le seul dessin qui est passé, c’est celui sur Chirac, pendant cinq secondes. Elle ne m’a même pas laissé commenter. Je n’ai presque pas ouvert la bouche de toute la diffusion », explique Erwann Terrier, joint par téléphone. Pour lui, ça ne fait aucun doute, si ses caricatures ne sont pas passées à l’antenne c’est parce qu’elles ne « correspondaient pas au ton de l’émission », durant laquelle « tous les invités ont servi la même apologie du pouvoir et des grands serviteurs de l’État », comme il le dit sur Twitter.
« Soit vous le diffusez, soit j’arrête »
Parmi les dessins refusés, de quoi froisser les invités : Greta Thunberg se faisant cracher dessus par des éditorialistes suite à la publication du troisième rapport du GIEC sur l’état des océans. Un autre souligne l’hypocrisie des autorités suite à l’incendie de l’usine Seveso de Rouen, ou encore une caricature qui illustre la baisse des moyens alloués au ministère de l’Écologie malgré le discours de Macron à l’ONU…
Avec son dernier dessin, Erwann Terrier tente le tout pour le tout : il croque Marion Maréchal faisant un salut nazi. Une allusion au congrès des droites, dont LCI s’était largement fait écho. La veille, la chaîne du groupe TF1 avait même diffusé, en intégralité, le discours du polémiste d’extrême-droite, Eric Zemmour.
Ce nouveau dessin est recalé. Sur le plateau, l’auteur fulmine : « J’ai écrit sur mon iPad : “Soit vous le diffusez, soit j’arrête”. Le technicien me dit qu’il va en parler au rédacteur en chef, et me confirme ensuite qu’il ne passera pas. » Il décide d’arrêter de dessiner et attend donc 11h, l’horaire prévu avec LCI, pour quitter les lieux.
« Après l’émission, la chaîne m’a reproché des dessins “trop acides” et un “manque de souplesse”. On prend des précautions avec mon humour, mais pas avec le discours de Zemmour… », soupire le dessinateur. « Cet été, j’ai participé à une répétition qui s’était bien passée. Il connaissait mon style, ça n’aurait pas dû les surprendre que je sois mordant. » Sur Twitter, Erwann Terrier conclut :
« J’ai perdu un boulot, pas grave, quant aux spectateurs de ce type d’émissions à sens unique, ils ont perdu la possibilité de se forger un esprit critique »
Un plateau sans contradiction
Pour le caricaturiste, habitué des plateaux TV, c’est une première. Tous les mois, il participe à 28 Minutes sur Arte. « Pour moi, tous les dessins doivent être diffusés sans conditions, c’est pour ça qu’on m’invite ! Si j’avais su, j’aurais refusé de participer », explique l’auteur, qui espérait apporter un « point de vue contradictoire ».
StreetPress n’a pas pu consulter le replay de l’émission, qui n’est pas disponible sur le site. Mais dans son article, Arrêt sur Images retranscrit l’ambiance sur le plateau. Dans les locaux de LCI, le ton n’était visiblement pas vraiment à la critique du pouvoir : « Les journalistes et invités se sont surpassés dans la flagornerie à l’égard de l’ancien président » ou encore « Quand le journaliste Christopher Quarez nous parle des phrases “qu’on retiendra” de Jacques Chirac, on se dit qu’enfin un peu de critique va s’immiscer dans le débat, en rappelant le tristement célèbre “le bruit et l’odeur”. Mais Quarez préfère citer… “Mangez des pommes” », détaille le média en ligne.
Chez LCI, « c’est un non-sujet »
Du côté de LCI, on tente de dégonfler l’affaire en expliquant aux journalistes qu’il n’y a pas de quoi écrire un article. Un communicant de la chaîne, qui a tenu à s’exprimer en off, assure qu’il s’agit uniquement d’un « choix éditorial ». « Quand on parlait de manque de souplesse, c’est parce qu’il n’a pas su s’adapter à l’actualité », justifie-t-il, sans confirmer ni infirmer les reproches sur « l’acidité » du dessinateur. Et d’insister, encore une fois en off : « On a aucun intérêt à le censurer, on ne fait pas ça sur LCI. C’est un non-sujet, ce n’est même pas un dessinateur connu… » La réponse officielle de Marie-Aline Meliyi, en charge de la présentation de l’émission ne dit pas autre chose : « C’est un non-sujet ».
Edit le 04/10 : Après la publication de notre article, LCI a contacté StreetPress et nous demande de publier en intégralité leur réponse, ce que nous faisons ici : « J’ai souhaité faire venir des dessinateurs de presse depuis la rentrée dans mon émission, c’était une volonté forte de ma part. Quatre dessinateurs se relayent en alternance avec des dessins tout aussi mordants, chacun peut le constater en regardant l’émission. Chacun prépare plusieurs dessins et en fonction de l’actualité nous passons ceux qui sont les plus à propos, ce qui semble logique. C’est la même chose chaque semaine et pour chaque dessinateur. C’est un non sujet ».
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