« PayPal bloquait déjà les comptes des travailleuses du sexe, maintenant Le Pot Commun aussi… C’est hyper anxiogène. Il ne nous reste plus aucune alternative ! » Lullabyebye est camgirl : pour gagner sa vie, elle réalise des shows filmés avec une webcam, allant de la simple discussion à une performance érotique ou sexuelle. Comme de nombreuses travailleuses du sexe, elle galère à boucler les fins de mois. Les plateformes réservées aux adultes où sont proposés leurs services prennent des commissions retenant parfois jusqu’à 50% de leur revenu. Pour éviter de se faire sucrer la moitié de ce qu’elles gagnent, elles passent par des plateformes grand public comme PayPal, Leetchi ou Le Pot Commun. Problème : si elles se font griller, leurs comptes sont supprimés.
Ouverture de la « chasse » aux camgirls
Les webcameuses le savent, la plupart des plateformes, dont notamment PayPal et Leetchi, interdisent tout ce qui touche au travail du sexe. Leur dernière alternative aux sites +18 restait Le Pot Commun, d’après Lullabyebye. Sur cette plateforme, la commission est de 4% maximum. Une aubaine pour ces femmes, qui organisent différentes cagnottes : certaines leur servent à se faire rémunérer leurs prestations vidéos, d’autres à vendre des photos érotiques ou encore à collecter de l’argent pour acheter du matériel.
Julie (1), camgirl de 25 ans, a ouvert deux cagnottes : une pour vendre son calendrier 2020 de photos érotiques, et une autre pour s’acheter un nouvel appareil photo. Manque de bol, début décembre, son compte a été supprimé du jour au lendemain. En cause, son calendrier, considéré comme « illicite » selon le Pot Commun. « Ce n’est que de l’érotisme, il n’y aucune photo de moi nue ! Et ils ont aussi supprimé ma collecte pour l’objectif photo sans raisons en même temps… » Selon Julie, le problème est son statut de travailleuse du sexe, point barre :
« Quand t’es camgirl, si la plateforme trouve ton compte, elle le supprime, peu importe le contenu de ton Pot Commun. On est stigmatisées alors qu’on ne fait rien d’illégal ! »
Julie n’est pas la première à être victime de ce qu’elle appelle une « chasse aux sorcières ». Alina, une autre webcameuse, fait le même constat. Elle a ouvert un pot pour financer ses achats de lingerie, mais son compte a également sauté. « Les gens qui me suivent ont le droit de vouloir me faire un cadeau ! Ce n’est pas une prestation sexuelle », déplore la jeune femme.
Mais la plateforme met érotisme et porno dans le même panier. « Si ça touche au sexe, de près ou de loin, on supprime », tonne Ghislain Foucque, co-fondateur du site. Dans ces cas-là, la politique est claire : le compte de l’organisatrice est intégralement supprimé, avec tous les pots encore ouverts, même ceux qui respectent les Conditions générales d’utilisation. « Libre à elles de recréer un compte sans lien avec le sexe », poursuit Ghislain Foucque.
Activités légales ou non, le co-fondateur n’en a que faire : les camgirls n’ont pas leur place sur le site, comme toutes les autres travailleuses du sexe. « Maintenant qu’on en a les moyens, on fait la chasse à toutes ces activités », assène-t-il, avant d’ajouter qu’il a un message à faire passer :
« Arrêtez vos cagnottes chez nous, vos comptes seront suspendus. On est désolés qu’il n’y ait pas d’autres alternatives pour exercer, mais notre site n’est pas fait pour ça. »
« Ils se font de l’argent sur notre cul ! »
Alina, en colère, dénonce l’hypocrisie de la plateforme. « On leur rapporte plein de fric ! » Sur Le Pot Commun, une commission est automatiquement prélevée sur les sommes versées. Sur les crowdfunding ne dépassant pas 2.000€, elle est de 4%, puis de 2,9%, pour ceux avec des montants supérieurs. Sur sa dernière cagnotte, Alina avait collecté 5.000€. Au total, 145€ sont allés dans la poche de la plateforme. Et pour les utilisatrices qui n’ont pas eu le temps de transférer les fonds vers leur compte bancaire avant la clôture de leur pot, les donateurs sont remboursés, mais le site garde la commission.
Un manque à gagner important, déplorent les camgirls, pour qui ce recours est nécessaire. Les plateformes réservées aux adultes, comme Chaturbate, Cam4 ou encore CamCokine, leur coûtent bonbon. Elles y proposent leurs services, dont des shows publics, auxquels tout le monde peut accéder simultanément et gratuitement, et où l’avancée est calculée en fonction des pourboires versés. Elles font aussi des shows privés, payés à l’avance par une seule personne.
« CamCokine prend 30% de commissions, Chaturbate prend 50%… Ils se font de l’argent sur notre cul ! », lâche Julie. Malgré tout, « on n’a pas vraiment le choix, c’est sur ces sites qu’on se fait repérer par les potentiels clients », explique Lullabyebye. Pour compenser, pendant les shows publics, elles gardent en tête leur objectif : attirer les clients en privé, sur des services vidéo comme Skype, pour éviter d’être taxées.
« On ne sait jamais combien on va gagner »
Surtout que la paye des webcameuses n’est pas élevée, sauf pour quelques élues. Ava Moore fait partie des Françaises les plus connues : 162.000 abonnés sur Twitter. Julie en comptabilise, elle, plus de 10.000 et gagne parfois jusqu’à 6.000€ par mois :
« Je gagne bien ma vie. Mais quand on y pense, à la fin du mois, je gagne 4.000€ au lieu de 8.000 avec les commissions de Chaturbate ! »
Cette situation reste exceptionnelle. Lullabyebye, qui a commencé en 2018, oscille entre 200 et 400€ par mois. En parallèle, elle est actrice porno et performeuse de théâtre pour joindre les deux bouts. Même si Julie est plus à l’abri, il lui arrive de ne toucher que 400€ par mois avec la webcam. Pour éviter d’être sur la paille, elle vend aussi des vidéos et des photos.
En plus de multiplier leurs sources de revenus, les webcameuses font en sorte de mettre de côté autant qu’elles le peuvent. Certaines périodes sont difficiles, comme l’explique Julie :
« On ne sait jamais combien on va gagner. À Noël, par exemple, les gens sont en famille, donc on a moins de clients. »
Cette instabilité est aussi liée à la dépendance aux pourboires. À chaque show public, Lullabyebye constate à quel point il est difficile de demander aux gens de payer pour du sexe. « Beaucoup sont radins et veulent regarder gratos », note-t-elle, désabusée. Julie détaille :
« Les mecs ont du mal à capter que c’est normal de payer s’ils veulent se branler sur nous. Beaucoup pensent que ce n’est pas un vrai travail, alors que c’est de ça qu’on vit ! »
Elle croise les doigts pour que les mentalités évoluent. Sans trop avoir d’espoir. « On doit tellement se cacher que ça devient mafieux, alors qu’on a le droit d’être là ! Les sex workers ont le droit de travailler ! »
(1) Le prénom a été changé
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