Lycée Colbert, Paris 10e – Sur le trottoir, une poignée de lycéens ont encore les yeux rouges et brillants. Une lycéenne met des gouttes de sérum physiologique dans les yeux d’une amie. « Les flics ont gazé tout le monde d’un coup, il y a eu un gros mouvement de foule », raconte Emma, qui a participé au blocus de l’établissement.
Mercredi 4 décembre à 6h30, quelques dizaines d’élèves se pointent devant le lycée Colbert. Avec des poubelles, ils bloquent l’entrée de l’établissement. Ils se sont rassemblés pour protester « contre la réforme des retraites » et « les violences policières ». Vers 7h30, les forces de l’ordre arrivent sur place. Une heure plus tard, l’intervention policière dégénère. Un lycéen au moins est placé en garde à vue. Plusieurs adolescents racontent avoir été frappés par la police et une lycéenne a été transportée à l’hôpital après qu’un véhicule de police lui a roulé sur le pied.
« C’est toujours comme ça avec les flics »
« On a fait comme d’habitude », commence un lycéen avant de lâcher, dans un soupir d’agacement, « mais c’est toujours comme ça avec les flics ! » Vers 7h du matin, les élèves mobilisés se sont installés devant les différentes entrées du lycée, qu’ils ont bloquées avec des poubelles. Une demi-heure plus tard, une première voiture de policiers arrive. L’échange est immédiatement tendu, relate Luc, accompagné de plusieurs camarades qui acquiescent :
« Les keufs sont arrivés et nous ont encerclés. Ils ont commencé à essayer de dégager les poubelles, mais on leur a dit que bloquer, c’était notre droit. Là, ils ont commencé à prendre certains élèves par le col pour les pousser ».
D’après plusieurs élèves, vers 8h, « sept voitures de policiers sont arrivées, et un fourgon. » Un lycéen ajoute :
« C’est là que ça a dégénéré. »
« Il y en a plusieurs qui se sont pris des coups »
Dans la rue, devant le lycée, Luc prend le temps de montrer l’arrière de son crâne. Il a l’oreille enflée, des traces de sang sur la nuque et les yeux rouges. Encore choqué, il raconte :
« Je ne faisais rien ! On a tous formé une chaîne humaine pour empêcher les flics d’enlever les poubelles, et trois keufs s’en sont pris à moi. Il y en a un qui m’a attrapé, m’a vidé sa lacrymo à bout portant sur le visage et m’a frappé derrière la tête ! »
Luc montre l’arrière de son crâne et son oreille avec une boule enflée à l'intérieur après un coup. Il a aussi des traces de sang sur la nuque et les yeux rouges. / Crédits : Cassandre Leray
« Ce n’est pas le seul ! Il y en a plusieurs qui se sont pris des coups », affirme une autre élève.
Peu après 8h, alors que les policiers tentent peu à peu d’éloigner les étudiants bloqueurs de l’entrée du bâtiment, « Michel lance un oeuf », rembobine Luc. « Les keufs ont vu que c’était lui et l’ont mis par terre, à trois ou quatre. Ils ont commencé à lui donner des coups, l’ont collé au mur et l’ont embarqué dans leur voiture ! Juste pour un oeuf, alors qu’il ne s’est même pas débattu ! » Une scène que nous confirme cinq lycéens. Il a été, selon ses proches, libéré dans la matinée. Un autre jeune (2) également soupçonné du jet d’oeuf a été, ce 4 décembre à 9h15, placé en garde à vue, jusqu’au 5 décembre à 20 heure où il a été emmené au tribunal, détaille son avocate Norma Jullien Cravotta. Il a ensuite passé la nuit au dépôt du tribunal et présenté ce matin au procureur qui lui a notifié un rappel à la loi. « Un rappel à la loi n’est pas une reconnaissance de culpabilité », précise son avocate.
Une lycéenne évacuée par les pompiers
L’interpellation de Michel provoque un gros mouvement de foule devant le lycée. « On s’est tous mis à crier : Libérez Michel ! Un gars qui était trop près s’est fait pousser par un flic aussi. » C’est là que, d’après plus d’une dizaine de lycéens, les policiers ont commencé à asperger la foule avec du gaz lacrymogène, tout en embarquant Michel dans une voiture pour l’emmener au poste. Emma raconte la suite des événements :
« Une fille était sur le bord du trottoir. La voiture lui a roulé sur le pied. Quelqu’un a appelé les urgences et elle a été emmenée à l’hôpital… »
Quatre autres camarades confirment cette version. Vers 16h30 ce mercredi 4 décembre, Streetpress a finalement pu joindre Noah (1), l’adolescente en question. « Au moment où Michel a été embarqué, on a encerclé la voiture des policiers par solidarité. Ils ont quand même accéléré et la roue est littéralement passée sur ma cheville », précise l’élève de 2nde, encore choquée. « Les flics n’ont pas bougé, c’est une autre élève qui a appelé les urgences », poursuit Noah.
Après plusieurs heures passées à l’hôpital, la lycéenne âgée de 15 ans ressort avec une attelle à la cheville gauche et une chevillère à la droite. « J’ai une entorse à chaque cheville donc je ne peux même pas avoir de béquilles, c’est très dur de marcher… » Et s’estime chanceuse : « Je portais des rangers qui montent jusqu’aux genoux, bien résistantes. Les pompiers m’ont dit que, sans ça, ça aurait été la fracture assurée ! »
Malgré ces tensions, les lycéens ont poursuivi leur mobilisation. « On n’a pas peur, c’est habituel ces violences », lâche Luc. Avec plusieurs dizaines d’autres élèves, ils partent en direction du lycée Bergson. « On va les aider à bloquer, c’est la solidarité ! » D’ailleurs, ils sont nombreux à le dire : « Demain, on sera dans la rue avec tout le monde ! »
Après avoir bloqué le lycée Colbert, les lycéens sont partis bloquer le lycée Bergson. / Crédits : Cassandre Leray
(1) Edit le 04/12 à 16h45. Nous avons pu joindre l’étudiante et ajoutons donc ses propos.
(2) Edit le 06/12 à 14h.
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