Place de la République, Paris – Le cercle qui s’est formé pour dénoncer les violences du régime au Soudan est traversé, de temps à autre, par les drapeaux des Algériens. Ce dimanche 16 juin, eux aussi occupent l’esplanade en soutien aux révoltes de leur pays. Deux d’entre eux sautent en se tenant par les épaules, avant de se saisir du micro des Soudanais :
« So, so, so, solidarité ! Les Soudanais ! Les Algériens ! »
Une poignée de manifestants brandit même les couleurs palestiniennes. Un Soudanais sourit en pointant la ressemblance des drapeaux et la similitude de leurs combats, « pour la paix ». Akila, poétesse algérienne, se balade dans le petit cortège. Elle insiste : « Toute l’Afrique manifeste pour les droits de l’homme. L’injustice est internationale : je manifeste même pour la France, avec les Gilets Jaunes. »
Les drapeaux se mêlent dans la manif'. / Crédits : Marta Sobkow
Massacres au Soudan
Le groupe de Soudanais danse au rythme des slogans et des danses. Un peu en retrait, Komi Ali avance rapidement dans la foule où il semble connaître tout le monde. Comme beaucoup de manifestants, il tient son téléphone dans la main et diffuse la manifestation en live sur les réseaux sociaux. Il a quitté son pays après que son village, situé à la frontière du Nord et du Sud du Soudan, ait été bombardé. Toute sa famille a été tuée. Emprisonné, il réussit à fuir en Europe. Aujourd’hui, il est étudiant au CELSA, l’école de journalisme, et veut rendre compte de l’histoire soudanaise. « Au Soudan et en Algérie, c’est un même système : une dictature. Les deux peuples luttent ensemble et ici, en France, on s’entraide.»
« On est là parce qu’il y a un massacre dans notre pays ! » Walid Abdallah, jeune homme d’origine soudanaise, interpelle les passants. Le 13 juin, 120 personnes sont mortes suite à la « dispersion » d’un sit-in organisé devant le QG de l’armée dans la capitale, Khartoum. Son ami, Mahomed Omar, le rejoint et raconte leur histoire. Ils sont arrivés récemment en France, fuyant la persécution des Janjawids. Ces milices armées sont composées de tribus arabes appuyées par le gouvernement soudanais dans tout le Darfour. Ils pourraient, selon le blog Mediapart Sudfa, avoir causé 3 millions de morts depuis 2003. Laïla (1), d’une voix déterminée, elle explique : « Ça fait 30 ans qu’il y a des injustices au Soudan, mais aujourd’hui on peut se mobiliser sur les réseaux sociaux. Si je suis là, c’est pour servir de voix aux martyrs, comme on les appelle, et à tous les Africains. »
Walid et Mahomed sont deux jeunes soudanais. Ils sont arrivés récemment en France pour fuir la persécution des Janjawids. / Crédits : Marta Sobkow
La France condamne… mollement
Algériens et Soudanais occupent la place pour montrer leur solidarité avec les révoltes de leurs patries mais aussi pour alerter le pays où ils ont trouvé l’asile. Walid reprend : « On a envie que la France voit notre problème. Peut-être qu’en ayant toutes les informations, l’Europe interviendra pour arrêter les guerres au Soudan, et même dans tous les pays africains. Ça fait 30 ans que ça dure, ça fait trop longtemps. »
Les manifestants savent que l’affaire s’annonce compliquée. « Je n’attends pas énormément de la France, parce que les interventions militaires sont souvent hypocrites. Mais j’ai quand même l’espoir de participer à faire bouger les choses », complète Laïla. Franco-Soudanaise, elle a participé aux mobilisations étudiantes en France où elle vit depuis l’école primaire. Zeinab, qui était diplomate au Soudan, sourit en replaçant son voile clair. Mais elle n’a pas plus d’espoir : « La communauté internationale, et tous les pays qui se déclarent en faveur de la démocratie doivent soutenir le peuple soudanais. Mais je ne suis pas optimiste. »
Et pour cause, comme StreetPress le révélait, la France a passé un accord secret avec la dictature pour favoriser l’expulsion d’opposants politiques. Zeinab affirme, avec résignation, avoir connu près de 25 personnes en situations irrégulières renvoyées au Soudan. Aujourd’hui la France condamne les violences en cours au Soudan et appelle au dialogue. La position officielle du gouvernement français est peu ou prou la même sur la révolte algérienne. Après avoir largement soutenu le président Bouteflika, elle déclare souhaiter que « les Algériens puissent trouver ensemble les chemins d’une transition démocratique ».
(1) Le prénom a été modifié à sa demande.
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