En ce moment

    19/04/2019

    Même Fox News a trouvé qu’il racontait n’importe quoi

    Karsenty, l’élu conspi de Notre-Dame

    Par Christophe-Cécil Garnier

    Interrogé par Fox News, l’élu de Neuilly laisse entendre que l’incendie de Notre Dame ne serait pas accidentel. L’élu qui se revendique des Républicains, n’en est pas à son premier coup d’éclat. Portrait.

    Il est 8 heures 27 à Paris. Depuis presque deux heures, les flammes dévorent la cathédrale Notre-Dame. La flèche s’est écroulée une quarantaine de minutes plus tôt. Sur Fox News, l’animateur Shepard Smith interroge Philippe Karsenty, qu’il présente comme « un élu français », sans plus de détail. Il est conseiller municipal à Neuilly. « Bien qu’il n’y ait pas eu de morts, c’est un peu le 11 septembre français, commence l’homme. C’est un grand choc. Cette église était là pendant plus de 850 ans. Même les nazis n’ont pas osé la détruire. Et nous devons savoir que durant les dernières années, des églises sont vandalisées en France toutes les semaines. » Il est en roue libre :

    « Bien sûr, le politiquement correct va vouloir nous faire croire que c’est un accident… »

    Le commentateur de la chaîne américaine ultra-conservatrice le coupe. « Nous n’allons pas spéculer ici sur les causes que nous ne connaissons pas », intime-t-il. L’homme de 52 ans tente de répondre : « Je dis juste que nous devons être prêts… ». Avant d’être immédiatement remercié par le présentateur.

    Depuis, Philippe Karsenty enchaîne les interventions. En plateau sur CNews. Titillé par les journalistes de Quotidien. Causeur, dont il est un auteur régulier, lui offre une tribune sur son site web. Mais aussi sur des médias outre-Atlantique. Adhérent de la branche française du parti de Trump, il bénéficie d’une petite notoriété aux USA. « Je suis très souvent sur les médias, que ce soit Fox ou d’autre, lance-t-il. L’opération de Fox est grotesque car je n’ai même pas pu expliquer ce que je voulais. »

    Avant de témoigner sur Fox News, il a entendu que le feu était parti en deux endroits, notamment sur LCI. Une théorie que les pompiers n’ont jamais confirmée. Restant sur cette mauvaise information, il ne comprend pas et n’est pas d’accord « avec le fait qu’on annonce tout de suite que l’origine du feu soit accidentelle. On n’en sait absolument rien, on n’a aucune information ». Le conseiller municipal de Neuilly va même jusqu’à dire qu’il y a eu une « vraie propagande, ou récit si on veut être moins agressif, [pour convaincre] que c’était accidentel ».

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/notre_dame_3.jpg

    L'incendie de Notre-Dame. / Crédits : Kiran Lorette

    Il persiste

    Sur Twitter, il publie l’extrait de son intervention coupée sur Fox News, avec la mention « Truth will come out », littéralement : « la vérité finira par sortir ». « Est ce que j’ai écrit que c’est un attentat et on le saura, ou que c’est un acte criminel ? Non, la vérité finira par sortir, rien de plus. On n’est pas obligé d’accepter le narratif des médias qui vous dit de penser comme il faut », s’emporte l’élu.

    « Ceux qui me sont tombés dessus, c’est les copains de Dieudonné. Je vois aligné ensemble face à moi certains médias et Dieudonné donc je ne dois pas être si loin de la vérité », avance-t-il avant de demander si StreetPress est un média « proche de Dieudonné ». « C’est ça ? Oui ? Oui ? Non mais je ne vous connais pas. » Pas vraiment… [relire nos enquêtes sur la galaxie Dieudonné – Soral]

    Face aux accusations de complotisme, l’homme remet une pièce dans la machine : « Comme dirait Charles Pasqua, quand on est pris dans une affaire, il faut créer une autre affaire, comme ça les gens n’y comprendront plus rien. Là, la question n’est même plus de savoir si c’est un accident ou non, la question est de savoir si Karsenty est complotiste ou non. Mais franchement on s’en fiche de moi. » Quelqu’un qui l’a affronté commente, sous couvert d’anonymat : « Je suis persuadé qu’il y croit et qu’il arrivera à persuader des gens que c’est un attentat. »

    Ses liens avec la Ligue de défense juive

    Ce n’est pas la première fois que Philippe Karsenty s’interroge sur « la vérité ». Il a été condamné en diffamation en 2013 face à France 2 et le journaliste Charles Enderlin, pour avoir affirmé que le reportage diffusé en 2000 sur la mort du jeune Palestinien Mohammed Al-Durah, devant une position israélienne, était une « mise en scène ». « Il y a eu une première séance à Paris en 2006 où il a été condamné, se souvient Charles Enderlin. Il est allé en appel et a été relaxé. On a été en Cassation et on a attendu quatre ans que la Cassation annule le jugement en appel. » Il est retourné en appel et a été condamné. « Mais avant la Cassation, il y a eu quatre ans durant lesquels il a caracolé en disant : “Voilà, c’est la preuve que j’avais raison” ».

    Aujourd’hui encore, malgré sa condamnation, Philippe Karsenty n’en démord pas. « J’affirme et je confirme que ce reportage était une pure et simple mise en scène. L’enfant n’a pas été tué, le père n’a pas été blessé ». Lorsqu’il parle de l’affaire, il évoque la « plus grande imposture médiatique du 21e siècle ». Insensé pour Enderlin : « L’armée israélienne, le Mossad et les services de renseignements ne sont pas des imbéciles. S’ils avaient la moindre preuve que X ou Y à Gaza avait monté une telle mise en scène, je vous assure qu’ils auraient déjà trouvé ».

    L’affaire Enderlin est le combat de sa vie et le conseiller municipal est décrit comme un jusqu’au boutiste. « Ce n’est certainement pas un grand ami de l’Islam et du peuple palestinien. Dans son domaine et son idéologie, on doit certainement dire que c’est un champion ! », commente une personne qui l’a eu en face. Avant de prévenir : « Préparez-vous ! Il peut faire une plainte en diffamation même en sachant qu’il va perdre. Le seul fait de faire un procès, c’est un succès pour lui. »

    Dès 2002, Philippe Karsenty participe à une manifestation devant le siège de France Télévisions pour décerner un « prix Goebbels de la désinformation » à la chaîne et au reporter. À la manoeuvre, on retrouve l’Union des patrons juifs de France, dont Philippe Karsenty est à l’époque le porte-parole, mais aussi, selon l’ouvrage OPA sur les Juifs de France (co-écrit par le fondateur de StreetPress, Johan Weisz), la Ligue de défense juive (LDJ). Un groupuscule d’extrême droite, interdit en Israël, dont il semble proche. Philippe Karsenty co-signe ainsi souvent des tribunes pour Causeur ou Valeurs Actuelles avec Pierre Lurçat, le fondateur de la LDJ. « Qu’il soit de la LDJ est une blague absolue, s’emporte l’homme d’affaire. C’est un avocat qui vit en Israël, il ne pourrait pas exercer s’il était dans une organisation interdite. Ceux qui lui ont accolé ça n’ont jamais été en mesure de prouver ».

    Sauf que StreetPress a pu prouver que Pierre Lurçat était le fondateur de la branche française de la LDJ. Ce dernier a même perdu un procès intenté contre notre média en 2015.

    Philippe Karsenty est également proche d’organisation plus « conventionnelle », comme le Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif). Le président du Crif, Richard Prasquier, se tenait à ses côtés en 2008 lors d’une audience du procès en appel dans l’affaire contre Charles Enderlin, comme le raconte ce dernier dans son livre Un enfant est mort (Éditions Don Quichotte, 2010).

    Un clash violent avec Rue89

    Les histoires judiciaires de Philippe Karsenty ne s’arrêtent pas là. En 2014, il s’écharpe avec le journaliste Pierre Haski, cofondateur de Rue89, sur Twitter. À l’époque, le média vient de subir des attaques du hacker Ulcan et plusieurs journalistes, dont Pierre Haski, sont harcelés. Ce dernier dresse un parallèle sur le réseau social entre la page Facebook d’Ulcan et les propos de Philippe Karsenty envers Charles Enderlin et son reportage d’il y a 14 ans. Philippe Karsenty traite ce dernier de « pauvre type », « son père a bien fait de l’abandonner», « toute la famille Haski le renie ». Jusqu’à marquer « @Ulcan, revient vite t’occuper de lui ;-) ». Une dizaine de jours plus tôt, le père d’un des journalistes de Rue89 était mort après un infarctus provoqué par des pièges téléphoniques du hacker franco-israélien.

    « C’était pour qu’il me lâche les bottes après m’avoir attaqué », se défend aujourd’hui Karsenty. L’élu a même été jusqu’à faire un parallèle entre le site et les départs de Français pour le djihad : « Tous ces jeunes qui vont faire le djihad, ils sont d’abord passés par des médias comme Rue89 qui leur ont expliqué à quel point l’occident était méchant. De fil en aiguille, ils sont allés ailleurs », a-t-il affirmé dans une interview au Lab d’Europe 1.

    Pierre Haski, a porté plainte pour « provocation directe à commettre des infractions ». Celle-ci a été classée sans suites. « C’était encore l’époque où la justice ne savait pas quoi faire de ce qu’il se passait sur les réseaux sociaux », explique-t-il, tout en refusant de s’exprimer davantage. « Il ne le mérite pas ». « C’était bidon, juge de son côté l’élu. Vous avez compris dans quel monde médiatique complètement bidon on était ».

    Conseiller municipal à Neuilly

    À l’époque, il est l’un des adjoints de l’édile Jean-Christophe Fromantin (ex-UDI) à Neuilly. « Il a pris des positions contre la majorité et je l’ai démis de ses fonctions en 2017 », détaille le maire. Cette année-là, Philippe Karsenty se présente aux législatives de la 6e circonscription des Hauts-de-Seine (Neuilly-Puteaux) alors qu’une autre candidate a été adoubée par le maire. C’est la goutte de trop. « Le maire a considéré que c’était une marque de défiance pour ne pas avoir soutenu sa candidate, qui s’est lamentablement plantée », commente Karsenty. À ces élections, la candidate du maire fait 13,07%, Philippe Karsenty… 4,18%. Adieu le remboursement des frais de campagne.

    « Il a eu ensuite des propos diffamatoire et une plainte est en cours », ajoute Jean-Christophe Fromantin. Au sein de la majorité municipale, on se dit étonné de ses récents propos mais « le jugement erratique est sa marque de fabrique. Il a un côté comme ça. Mais on n’a pas vu ce comportement pendant la première partie du mandat », assure-t-on au sein de l’équipe municipale.

    Ce n’est pas sa première campagne, ni sa première défaite. En 2002, il se présente dans les Hauts-de-Seine, aux législatives et récolte 2,77%. En 2012, il remet le couvert mais cette fois dans la huitième circonscription des Français de l’étranger, où se trouve Israël. Il tutoie les 15%. Mais à chaque fois, ses comptes de campagne sont rejetés et il écope d’un an d’inéligibilité.

    Philippe Karsenty se définit comme un homme politique de droite. Pourtant en 2017, il publie un livre-entretien avec Renaud Camus, chantre de la théorie (fumeuse) du grand remplacement. « Il m’a été présenté par un ami américain qui vivait à Paris. J’ai trouvé ses développements intéressants et je lui ai proposé de faire un livre, détaille l’élu. Contrairement à ce que disent les médias, il n’y a aucune théorie conspirationniste dans ce qu’il raconte. » Avant de reprendre à son compte la “théorie” de Camus :

    « Si vous habitez en France, en Europe dans certains pays, vous voyez bien qu’il existe une forme quand même de modification démographique dans le paysage. »

    Malgré ces positions, Philippe Karsenty affirme être encore aujourd’hui adhérent du parti Les Républicains, qu’il soutient pour les élections européennes. « Il se dit Les Républicains ? Je ne l’ai jamais vu aux réunions du parti à Neuilly pourtant », se gausse-t-on dans l’équipe municipale de la ville. Contacté pour savoir s’il y était toujours encarté, le mouvement de droite n’a pas répondu à nos demandes.

    Photo-montage réalisé par StreetPress.

    Cet article est en accès libre, pour toutes et tous.

    Mais sans les dons de ses lecteurs, StreetPress devra s’arrêter.

    Je fais un don à partir de 1€ 💪
    Sans vos dons, nous mourrons.

    Si vous voulez que StreetPress soit encore là l’an prochain, nous avons besoin de votre soutien.

    Nous avons, en presque 15 ans, démontré notre utilité. StreetPress se bat pour construire un monde un peu plus juste. Nos articles ont de l’impact. Vous êtes des centaines de milliers à suivre chaque mois notre travail et à partager nos valeurs.

    Aujourd’hui nous avons vraiment besoin de vous. Si vous n’êtes pas 6.000 à nous faire un don mensuel ou annuel, nous ne pourrons pas continuer.

    Chaque don à partir de 1€ donne droit à une réduction fiscale de 66%. Vous pouvez stopper votre don à tout moment.

    Je donne

    NE MANQUEZ RIEN DE STREETPRESS,
    ABONNEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER