Depuis ce lundi 12 février, les agents de la Cour nationale du droit d’asile sont en grève. La chambre est en charge d’accorder ou refuser le statut de réfugiés politiques aux demandeurs d’asile, suite à un premier refus de l’Ofpra (office français pour la protection des réfugiés et des apatrides). Cadence infernale, trop grande proportion de vacataires et de contrats précaires, fort turnover… les magistrats et agents sont au bout du rouleau.
Également dans le viseur des juges, le projet de loi asile et immigration présentée le mercredi 21 février en Conseil des ministres. Ce dernier imposerait à la Cour de répondre encore plus rapidement aux demandeurs d’asile qui se présentent devant elle. « Depuis 2015, on est entré dans un objectif fort de réduire les délais de jugement à la Cour nationale du droit d’asile », s’étrangle Sébastien Brisard, rapporteur à la Cour et secrétaire général du Syndicat Indépendant des Personnels du Conseil d’Etat et de la CNDA (SIPCE) :
« On est arrivé à la limite de ce que l’on pouvait faire. »
Que pensez-vous du projet de loi immigration asile ?
Pour nous, le projet de loi asile immigration n’a pas de sens. Que le ministre demande à l’OFPRA [Office français de protection des réfugiés et des apatrides] de répondre aux demandeurs d’asile dans un délai plus court, c’est son droit puisque l’OFPRA est une administration qui dépend du Ministère de l’Intérieur.
Mais quand le projet de loi prévoit que l’OFPRA et la CNDA doivent répondre à une demande d’asile en moins de six mois, ce n’est pas tenable. Et cela participe à donner une mauvaise image des personnes qui travaillent dans la demande d’asile. Nous ne sommes pas des gestionnaires de flux. On est là pour écouter des récits de souffrance et dire si ça relève de l’asile.
De nombreux juges dénoncent une logique comptable de la Cour nationale du droit d’asile. Qu’entendez-vous par là ?
Depuis 2015, on est entré dans un objectif fort de réduire les délais de jugement à la Cour nationale du droit d’asile. On peut le comprendre : oui il faut répondre rapidement au requérant. Mais on est arrivé dans les limites de ce que l’on pouvait faire. Un dossier c’est un homme ou une femme, ce n’est pas un chiffre. Aujourd’hui, un juge traite 325 dossiers par an. Par séance, un magistrat peut statuer sur 13 dossiers. C’est énorme ! Ce n’est pas possible vu la complexité des dossiers.
L’une des preuves de cette logique comptable, c’est la multiplication des dossiers traités par ordonnance. Aujourd’hui, un tiers des contentieux est traité par cette voie-là, sans passer devant la Cour. Logiquement les ordonnances sont réservées aux dossiers pour lesquels le requérant n’a aucune chance d’obtenir l’asile. Sauf que depuis quelques années, on a vu des dossiers sensibles être traités de cette manière-là. Par exemple, dans le cas où des requérants affirment être persécutés en raison de leur orientation sexuelle, on ne devrait pas traiter leurs demandes par ordonnance, comme ça a pu être le cas.
Vous parlez de dossiers plus complexes… Qu’est-ce que vous entendez par là ?
Souvent, on est face à des dossiers où l’on doit déterminer la provenance du requérant, comme c’est souvent le cas pour des personnes qui disent venir du Soudan. On a aussi le cas des Afghans où l’on doit estimer la violence des conflits à laquelle ils ont pu être exposés. Cela nécessite une analyse poussée et fine, et donc du temps.
C’est notre quotidien d’entendre des récits de souffrance. Certains rapporteurs craquent. Ils viennent me le dire. « Ce n’est plus possible j’entends des choses horrible lors de l’audience : des viols, des crimes… » Il faut ajouter à cela l’impression de nombreux collègues qu’on ne fait pas toujours du bon travail, pour les raisons que j’exposais plus tôt. Tout cela provoque de la souffrance.
Le projet de loi asile et immigration prévoit la généralisation de la vidéo audience pour la CNDA mais aussi pour le Juge des libertés et de la détention (JLD). Qu’en pensez-vous ?
Sur le principe, c’est intéressant pour certains dossiers. Notamment pour les dossiers d’Outre-Mer. On le comprend très bien : on ne va pas demander à un demandeur d’asile de venir en métropole juste pour assister à l’audience. En revanche, on est complètement opposé à ce que ce soit généralisé pour tous les demandeurs d’asile et surtout que ce soit fait sans consentement.
Une vidéo audience, c’est un écran entre la Cour et le requérant. La Cour ne pourra pas sentir le requérant. On ne verra pas s’il stresse, on ne pourra pas le rassurer. Il y a plein de choses qu’on ne pourra pas détecter. La dimension physique a de l’importance pour ce type de contentieux.
La loi limite aussi le caractère suspensif du recours devant la CNDA. Un demandeur d’asile pourra être expulsé avant que la Cour lui ait répondu sur sa demande d’asile. Ça ne vous inquiète pas ?
Si, bien sûr ! On pourrait se retrouver avec une personne reconduite à la frontière, alors que la Cour a demandé sa protection. Et bien sûr, dans ce cas-là, on ne pourra pas faire revenir la personne en France.
Notre première crainte, c’est aussi de voir un autre juge statuer sur le fond du dossier avant nous. Si un demandeur d’asile conteste son expulsion devant le tribunal administratif, ce dernier devra se prononcer sur la demande d’asile avant nous. Alors que ce n’est pas à lui de le faire. La CNDA est la seule chambre compétente pour traiter ce type de dossier. On a du personnel compétent, un centre de documentation. Confier une partie de l’asile à d’autres juges, c’est dangereux.
Le droit des étrangers est-il le parent pauvre de la justice en France ?
C’est un contentieux qu’on ne met pas en valeur. Parce que les requérants sont étrangers, on ne se donne pas les moyens de les écouter, alors qu’on se gargarise d’être la France « terre d’asile ». Qu’ils soient immigrés économiques ou réfugiés, les gens viennent avec un parcours de vie que personne ne voudrait avoir. Il faut leur donner la possibilité d’être entendus.
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