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    18/12/2017

    « On s’est tous retrouvés une fois face à un schlass ou un calibre »

    Le blues des videurs de boîte de nuit

    Par Jérôme Delaby , Mathieu Genon

    Entre agressions et insultes, le quotidien des videurs de boîtes de nuit n'est pas facile. Les portiers des clubs de la capitale confient à StreetPress leur blues. Ils dénoncent aussi le manque de considération et de formation.

    Champs-Elysées (Paris 8e) – « Le videur plombé à Gentilly ? C’est un pote. » Il est deux heures du mat’ ce samedi soir, et Will (1), emmitouflé dans sa parka, tâte les poches des fêtards qui se présentent à la porte de cette boîte du quartier des Champs-Elysées. Entre deux clients, le grand bonhomme de 37 ans, dont 15 de sécu, raconte la suite de l’histoire :

    « Il s’est pris une balle dans le pied. Il est sorti de l’hôpital et en a pour six semaines de convalescence. »

    Le 12 novembre dernier, devant le Sélect à Gentilly (94), un client se fait gentiment refouler à l’entrée, poursuit Will. L’homme s’énerve. Alors que le videur parlemente avec lui à l’écart de la porte, cet habitué sort un pétard de sous son t-shirt. Il tire dans le pied du videur, avant de prendre la fuite. L’enquête a été confié au commissariat du Kremlin-Bicêtre rapporte le Parisien.

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    Dur dur d'être un videur (Photo d'illustration) / Crédits : Mathieu Genon / Hans Lucas

    La loi de la jungle

    Quand on les lance sur le sujet de la violence, les videurs sont insatiables. « Si tu bosses dans le milieu de la nuit, tu t’es forcément retrouvé face à un schlass [couteau, ndlr] ou un flingue une fois dans ta vie », assure Laga, agent de sécurité au Rooftop des Docks, quai d’Austerlitz, depuis 7 ans. Ce sénégalais de 42 ans a longtemps caché à son épouse les situations auxquelles il a été confronté, « pour ne pas l’empêcher de dormir. » « La nuit, c’est la loi de la jungle », tranche Jamel Zekiri. L’homme d’origine algérienne, 55 ans, le bouc finement dessiné, a monté sa société de sécurité il y a 17 ans après avoir tenu la porte pendant de nombreuses années :

    « Je me souviens d’un mec refoulé de manière brusque par un videur de boite près de la Défense il y a pas mal d’années. Il est revenu avec des cocktails Molotov et un fusil à pompe. »

    Et les filles ne sont pas en reste, ajoute Sonia (1). La jeune femme, au fort caractère, bosse pour une boîte à deux pas des Champs-Elysées. Elle a d’ailleurs été embauchée pour répondre à la recrudescence de violence féminine à l’entrée ou à l’intérieur des boites de nuit. « Les filles cachent facilement des armes ou de la drogue dans leurs vêtements », explique-t-elle.

    « Il y a plus de morts et blessés graves chez les agents de sécurité privés dans le monde de la nuit que chez les convoyeurs de fonds », déplore de son côté Mickaël, agent de sécurité dans la région de Genève et fondateur du blog 83-629, une référence pour les acteurs de la sécurité privé. Me Vincent Luchez, avocat spécialisé dans la sécurité, est quant à lui « frappé par la fréquence et le niveau des risques, menaces et violences subies par ces agents de la nuit. » Avec des conséquences désastreuses pour la sérénité des videurs, poursuit le baveux :

    « Quand on vous a ouvert le crâne, ou que vous avez été menacé par armes à feu plusieurs fois, votre analyse du risque et de la riposte va en être affectée automatiquement. »

    Si les histoires de bastons à la sortie de boites de nuit font souvent les choux gras de la presse nationale et régionale, impossible pourtant de connaître leur fréquence exacte. Contacté par StreetPress, le conseil national des activités privées de sécurité (CNAPS) n’a pas donné suite à nos demandes d’interview.

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    Jamel, Laga, Guy... Une team de choc / Crédits : Jérôme Delaby

    Violence verbale et discrimination

    Boulevard Poissonnières dans le 2e, John(1) est assis devant le bar qu’il protège depuis 5 ans. En attendant les clients, l’homme passe des coups de fil en Sierra Leone, son pays d’origine. « C’est calme ce soir. Rien à voir avec le week-end. » Samedi dernier, il s’est à nouveau fait insulter de « sale Noir » après avoir refoulé deux amis, trop saouls :

    « Ça m’arrive tout le temps. J’essaie de discuter, de les calmer. Mais après 15 minutes d’explications, j’en peux plus. La dernière fois, des clients refoulés m’ont balancé des tessons de bouteille depuis la rue. »

    Le racisme va aussi dans l’autre sens, reconnait l’ensemble des agents de sécu que nous avons interrogé. « Tu ne peux pas faire rentrer un groupe de dix rebeus ou renois sans nanas », déballe un videur. « Comme un groupe de dix rugbymans d’ailleurs, rebondit un confrère. S’il se passe quelque chose à l’intérieur, tu sais que tu n’auras pas le dessus. » Et les consignes viennent souvent de la direction des établissements.

    « Tout le monde a conscience de l’existence de ces discriminations », renchérit Guy Aldeguer. Ex-flic de la BAC, gérant d’une boite de sécurité à Paris, proprio d‘un club de strip-tease en banlieue et d’une salle de spectacle à Saint-Germain-des-Prés… L’homme, plein de gouaille, est un taulier du milieu. Il était d’ailleurs présent lors du seul colloque organisé sur le sujet par la préfecture de Paris en 2012 :

    « La mairie de Paris tente de lutter face à cela, mais la réalité n’a pas changé »

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    Dans le milieu de la nuit, la racisme est omniprésent. Des deux côtés de la porte (Photo d'illustration) / Crédits : Mathieu Genon / Hans Lucas

    Filles, flics, descentes

    « C’est tout un art de refouler quelqu’un devant une porte sans l’humilier », glisse Will. Pour le jeune homme, l’expérience vient avec l’âge et une connaissance du milieu de la nuit. Des deux côtés de la porte. « Il faut vraiment avoir un profil adapté pour ce boulot », insiste Ralph Bonan, président du collège des métiers événementiels pour le Syndicat national des entreprises de sécurité privé (SNES), et gérant d’une entreprise de sécurité à Lyon :

    « Les techniques d’intervention sont très particulières. On est dans un milieu où il y a de l’alcool, de la drogue et des filles dans des espaces confinés. »

    Guy et d’autres professionnels estiment qu’il revient aux directions d’établissement de « placer les bonnes personnes aux bons endroits ». « Les débits de boisson trichent encore en embauchant des agents d’accueil ou de prévention, et non pas de sécurité : ils n’ont pas de carte professionnelle et ne sont pas formés », explique Mickaël du blog 83-629 :

    « Dans certains établissements de province, les zones de prédilection pour recruter des videurs sont encore les salles de sport, ou les asso de motards. Ces mecs-là, devant une porte, ont l’impression d’avoir du pouvoir, et ça peut monter à la tête. »

    « La carte a été mise en place justement pour purger les fausses agences de sécu et épurer les sociétés bidon. », estime Jamel Zekiri. Pour l’obtenir, il faut passer par le CNAPS, le régulateur de la profession. Et avoir un casier judiciaire vierge.

    Les videurs voyous

    Installé dans le fauteuil en cuir du siège de sa société de sécurité dans le 6e, Guy enchaîne les coups de fil. Sur son bureau trônent les souvenirs de son glorieux passé. Ici, des livres sur la BRI, le Raid ou le GIGN. Là, des photos de lui en uniforme, à côté de ses diplômes encadrés d’agent de sécurité. « Certains videurs sont des voyous » finit-il par lâcher :

    « Un voyou, qu’il soit videur, patron ou gendarme, reste un voyou et fera des conneries. Il peut même être de mèche avec certaines bandes et donner des infos sur l’établissement, comme l’endroit où est planquée la caisse. Le loup est souvent dans la bergerie. »

    Will, le portier des Champs ajoute :

    « Un mauvais videur met en danger la clientèle, lui-même, tout le monde. »

    En 2013, six portiers d’une boîte toulousaine étaient accusés d’avoir castagné plus de 60 clients en deux ans. Pour Guy, « un gérant doit se faire respecter par ses videurs. Il doit être ferme avec eux. Se pointer à la porte avec eux, voir la façon dont ils travaillent. » A l’époque où il travaillait à la BAC, l’homme a mené un enquête en flagrance après qu’un videur se soit fait tirer une balle dans le dos à l’entrée d’une boite : « La semaine précédente, ce portier a défoncé un petit jeune qui faisait le cake. Il en a pris plein la gueule, et a foutu le camp. La semaine suivante, un “grand frère” l’a vengé. En tant que videur, tu ne sais jamais qui tu as en face de toi. »

    Au volant de sa berline allemande, Jamel Zekiri ne passe pas inaperçu à Asnières-sur-Seine, où il a vécu toute sa vie. L’homme, désormais rangé du milieu nocturne, est aussi chauffeur privé. Tout en saluant les passants, il se souvient de ses années à la porte. Lui aussi a connu des confrères à l’éthique plus que douteuse : « Un jour, un mec à moitié mort [ivre, ndlr] s’est fait littéralement massacrer par cinq videurs avec qui je bossais. Ils l’ont pris comme un sac à patates et l’ont balancé contre un mur. Des malades. » Pour le vétéran de la profession, ces videurs auto-proclamés ternissent la réputation des agents de sécu. « On a le droit à la légitime défense. On ne peut que réagir de manière proportionnée à une agression », s’étrangle de son côté Mickaël, à l’évocation de ces sombres histoires. « Il y a un vrai manque de considération à notre égard », s’attriste Laga :

    « Ça n’encourage pas les jeunes à faire ce job. »

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    « La seule arme que l’on possède devant une porte, c’est notre tête. » (Photo d'illustration) / Crédits : Mathieu Genon / Hans Lucas

    Une formation inadaptée

    Pour Mickaël, la violence à la sortie des boites des nuits provient aussi du manque de formation des videurs. « [Dans la formation d’agents de sécu], il n’y a aucun module spécifique pour le milieu de la nuit. Les portiers sont complètement isolés, et il y a un vrai manque de considération. » Dans cette formation, mise à jour en juin 2017 par arrêté, seules 14 heures de cours préparent les videurs aux clashs à la porte.

    L’assainissement du milieu passe également par un cadre législatif plus contraignant selon lui. « Il faut imposer un nombre d’agents en fonction de la surface de l’établissement et du nombre de personnes accueillies. Cela obligerait les gérants de bars et de boites d’engager du personnel professionnel et éviter les débordements. »
    Guy de renchérir :

    « Je voyais bien lors de mes interventions en tant que flic : dans 90 % des problèmes, la faute revenait à l’encadrement des établissements. Les 10 % restants venaient des tarés saouls et agressifs qui cherchent la merde. »

    Le blogueur prend finalement l’exemple de la Belgique où les établissements sont plus armés niveau sécu. Pour les propriétaires, obligation d’installer une porte blindée et une caméra sonore. Pour les videurs, port d’un gilet pare-balles ou pare-couteau et d’une bombe lacrymogène :

    « Beaucoup d’agents en ont déjà une. C’est un secret de polichinelle toléré. Mais l’imposer entraînerait une formation et un usage cadré de son utilisation. »

    Aucun syndicat représentatif et pas d’association… Dur dur pour les videurs de faire entendre leurs revendications, poursuit Mickaël. « Vous ne verrez jamais une manifestation de videurs, poursuit Mickaël, comme les agents aéroportuaires l’ont fait. On est mal représentés. » Pas à court d’idée, le blogueur a contacté à de multiples reprises le CNAPS pour que soit organisé une fois par an un colloque avec les agents de la nuit.

    Travailler avec sa tête

    Pour l’instant, les portiers restent « livrés à [eux]-mêmes » comme dit Laga. Ancien de l’armée sénégalaise, l’homme a combattu en Guinée Bissau lors de la guerre civile de 1999, puis a travaillé dans la sécurité rapprochée à Abu Dhabi. « Ces expériences m’ont permis d’acquérir du sang-froid lors de situation conflictuelle. » Comme Will ou Johny, il continue d’exercer leur boulot, gardant la tête sur les épaules :

    « La seule arme que l’on possède devant une porte, c’est notre tête. C’est avec cela qu’on travaille. Que tu fasses deux mètres, que tu sois pro de boxe thaï ou de combat rapproché, il faut être intelligent, prôner le dialogue et se faire respecter. C’est la seule façon de bien faire son boulot et de ne pas prendre de risque. »

    (1) Prénoms modifiés à la demande des interviewés

    Article publié en partenariat avec le CFPJ.

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