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    01/10/2017

    Des émissaires du régime autorisés à visiter plusieurs centres de rétention

    Comment la France a livré des opposants politiques à la dictature soudanaise

    Par Tomas Statius , Pierre Gautheron

    Accueil d’agents sur le territoire français, visites en centre de rétention… Depuis 2014, la police française collabore étroitement avec la dictature soudanaise, favorisant ainsi le renvoi à Khartoum d’opposants politiques réfugiés en France.

    Le 17 mars 2017, Mohammed, un Soudanais d’à peine 30 ans, est remis aux mains de la police de son pays après avoir été expulsé par la France. À la descente de l’avion, « la police française m’a confié à la police soudanaise. Celle-ci m’a mise en prison pour m’interroger », explique Mohammed dans un témoignage recueilli par le Collectif La Chapelle Debout, que StreetPress a pu consulter.

    Quelques semaines plus tôt, Mohammed, un darfouri d’une minorité oppressée, passé par les geôles soudanaises, avait reçu la visite d’une « délégation soudanaise », alors qu’il était enfermé au centre de rétention du Mesnil-Amelot (77). « [Ils] m’ont dit qu’ils faisaient partie d’une organisation humanitaire qui aide les exilés. Ils avaient l’air bizarre c’est pour ça que je suis resté méfiant et surtout plutôt silencieux », explique-t-il aux membres du même collectif.

    Selon des informations de StreetPress, cette délégation faisait en fait partie d’une « mission d’identification » du régime soudanais. Entre janvier et mars 2017, ce petit groupe de fonctionnaires du régime en provenance de Khartoum – il s’agirait de militaires selon un bon connaisseur du dossier – a visité au moins 3 centres de rétention en France : Marseille (13), Coquelles (62) et le Mesnil-Amelot (77). La visite de ces représentants de la dictature avait reçu l’aval de la France, confirment à StreetPress deux sources au ministère de l’intérieur. Son but ? Déterminer l’identité de Soudanais et ainsi permettre leur expulsion par la France. Suite à leur passage, au moins 4 exilés ont été expulsés vers Khartoum. Tous les quatre déclaraient être menacés par la police au Soudan.

    Mais ce n’est que la partie émergée de l’iceberg. StreetPress a remonté la piste de la collaboration policière entre le Soudan et la France. Et surprise : les relations entre les deux pays ne datent pas d’hier. Depuis 2014, la France collabore activement avec le régime dirigé d’une main de fer, depuis 28 ans, par le général Omar el-Bechir pour favoriser le renvoi au pays de Soudanais réfugiés dans l’Hexagone. Partage des informations, accueil d’agents soudanais chargés d’identifier les réfugiés, et même utilisation de bases de données de la police soudanaise par les pandores français… la collaboration est des plus étroites.

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    Photo prise dans la jungle de Calais avant le démantèlement. / Crédits : Pierre Gautheron

    Une coopération qui risque de faire tiquer les défenseurs des droits de l’homme : en 2008, la Cour pénale internationale a émis un mandat d’arrêt à l’encontre du dictateur soudanais, Omar el Bechir, soupçonné de crimes de génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre.

    Du côté du ministère de l’intérieur français, on s’efforce de dégonfler. « C’est un non-sujet », se contente de commenter la place Beauvau. Une broutille ? En Belgique, éclaboussés par une affaire extrêmement similaire, le Premier ministre Charles Michel et son secrétaire d’État à l’Immigration Théo Francken, risquent leur poste. StreetPress te raconte les coulisses de cette coopération.

    Premiers contacts en 2014

    Selon nos informations, les contacts entre la France et le Soudan au sujet des réfugiés ont débuté en 2014. Un rapport de l’ambassade soudanaise à Paris, daté du 19 septembre 2014, que StreetPress s’est procuré, fait état de « réunions hebdomadaires, régulières avec la police française dans le but d’identifier certaines personnes dont les demandes d’asile ont été rejetée ou ont été arrêtées pendant qu’ils essayaient de passer dans d’autres pays ». Dans ce même document, les autorités soudanaises appellent de leurs vœux la création d’une unité chargée d’identifier des migrants déboutés de l’asile. « Nous souhaitons que le ministère prenne l’initiative de former une unité spéciale », est-il écrit dans le rapport. Dans cette dream team chargée de rapatrier les migrants au pays, on retrouverait :

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    « Le service de renseignement national [soudanais], le ministère de l’intérieur [soudanais], la délégation des affaires des Soudanais travaillant à l’étranger, le ministère des affaires sociales, et la délégation de l’aumônerie islamique. »

    Un an plus tard, l’échange de bons procédés va plus loin. Après une première réunion en février 2015 au ministère de l’intérieur, plusieurs fonctionnaires de la Direction des étrangers en France (DGEF) sont reçus à l’ambassade par des dignitaires du régime, selon un compte-rendu des services soudanais que StreetPress s’est également procuré. Ensemble, ils esquissent les bases d’une coopération entre les deux pays avec le même objectif : réduire le nombre de Soudanais en France dont la présence est devenue, disent-ils, une « menace sécuritaire notamment dans la région de Calais et dans le quartier de La Chapelle à Paris ».

    Utilisation des bases de données du régime pour identifier des migrants sur la base d’empreintes, patrouilles sur les lieux où les réfugiés se réunissent… La collaboration entre les pandores français et les services soudanais semble assez étendue. Reste à savoir, nuance le même rapport, si les autorités françaises accepteront de coopérer jusqu’au bout. Il est en effet impensable pour les Soudanais que le job soit fait de « manière unilatérale de la part de l’ambassade ». Ils attendent « le soutien et la participation du ministère de l’intérieur français ».

    205 personnes renvoyées

    Contacté par StreetPress, le ministère de l’intérieur ne confirme ni n’infirme ces informations. La place Beauvau se contente, à minima, de reconnaître une collaboration entre les deux pays, sans préciser de date, tout en rappelant qu’il n’y a « aucun accord », comprenez écrit. Charles Michel, le premier ministre belge, est le premier à éventer l’affaire. Devant le parlement belge, il affirme que la France a collaboré avec le régime d’El Bachir entre 2014 et 2016 avec 200 expulsions de Soudanais à la clé. C’est, en fait, 205 réfugiés qui ont été expulsés sur cette période, selon les données de l’agence de statistique européenne Eurostat.

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    Photo prise dans la jungle de Calais avant le démantèlement. / Crédits : Pierre Gautheron

    La mystérieuse délégation soudanaise

    Le ministère de l’intérieur français reconnaît également qu’une « mission d’identification » a été organisée avec les autorités soudanaises. Plusieurs fonctionnaires en provenance de Khartoum ont ainsi été invités pour déterminer l’identité de migrants présents sur le territoire français. Selon une source, ces dignitaires soudanais seraient membres de l’armée. Interrogés sur cette question, les services de Gérard Collomb se déclarent incapables de répondre.

    Cette mission a eu lieu entre janvier et février 2017, expliquent à StreetPress plusieurs cadres du ministère de l’intérieur. Et un fonctionnaire français aurait même chaperonné le petit groupe.

    Selon nos informations, les officiels soudanais se sont rendus dans plusieurs centres de rétention en France. Au Mesnil-Amelot (77), c’est au box des visites qu’ils se sont présentés un beau matin de février. « Un groupe de Soudanais – ils devaient être une quinzaine – est venu me voir », se souvient l’un des intervenants au centre de rétention :

    « Ils [les retenus soudanais] m’ont dit que la police leur a demandé d’aller voir une délégation soudanaise. Ils leur ont posé des questions sur leurs parcours. Ils ont cru que c’était une ONG. »

    Même topo à Marseille où la délégation est passée début mars et à Coquelles, le 30 janvier. Ce jour là, un agent Soudanais a ainsi questionné deux opposants politiques retenus, en se présentant comme le membre d’une ONG américaine. Après un bref entretien, les policiers expliquent aux deux hommes arrivés à Calais quelques jours plus tôt qu’il s’agit en fait d’un représentant du gouvernement soudanais. Il est à Calais pour superviser leurs cas. Suite à cet entretien, ce dernier fournit aux policiers le laissez-passer nécessaire à leurs expulsions. Les sans-papiers tombent des nues. Les associations s’emparent de leurs cas et dénoncent le « procédé déloyal » employé par les Soudanais, devant la Cour d’Appel. D’autant que l’un des deux a déjà connu les geôles soudanaises et l’autre subit des violences de la part du régime. Les deux réfugiés politiques, dont nous avons pu consulté les dossiers, seront tout de même expulsés.

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    Extrait des jugements de la Cour d'appel concernant les deux réfugiés qui ont croisé la délégation soudanaise à Coquelles (62) / Crédits : DR

    Les dissidents ciblés ?

    Le gouvernement soudanais, avec la complicité de la France, vise-t-il directement les dissidents politiques ? Les 4 migrants expulsés suite à la visite de la dite-délégation seraient des opposants politiques ou membres de minorités oppréssées. Interpellés à Calais les 30 et 31 janvier, trois d’entre eux déclarent être passés par les geôles de la dictature avant d’émigrer en France. Tous les 4 pouvaient encore prétendre à l’asile.

    Mohamed, lui, n’avait pas encore demandé l’asile quand il a été expulsé, le 17 mars 2017. Dans le témoignage publié par le collectif La Chapelle Debout, il raconte ses mois de galère, entre Calais et Paris, ainsi que son parcours. Mohamed aurait passé 10 mois derrière les barreaux dans le sud du Soudan. Dès son expulsion à Khartoum, il est à nouveau enfermé pendant 8 jours. Les policiers soudanais se montrent alors très intéressés par le parcours du jeune homme et à l’identité de ses proches :

    « Les questions portaient les raisons de mon départ en France alors que je suis opposant. Ils s’intéressaient aussi au chemin que j’ai emprunté pour arriver en France et aux personnes que j’ai rencontré et au travail que j’ai effectué en France. »

    Afin d’éviter de mettre en danger certains protagonistes et garantir la sécurité de ses sources, StreetPress a masqué les noms qui apparaissent dans les documents.

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