Depuis plus d’une dizaine d’années, La Poste opère de la même façon que la SNCF ou les entreprises du secteurs de l’énergie : elle démantèle petit à petit son réseau d’agences, restreint l’activité syndicale, met en concurrence ses agents et réduit leurs compétences. Son objectif : pousser l’automatisation des services de la banque et du courrier, de façon à réduire les coûts au maximum pour augmenter ses marges. À coup de management radical, elle met en œuvre la casse du service public.
Le processus n’est pas inéluctable, mais seule la mobilisation des usagers et des postiers pourra l’arrêter.
Supprimer un tiers des bureaux de poste
La Poste a un maillage d’agences encore important en ville. Il y avait 181 bureaux à Paris en 2014. On en compte 159 aujourd’hui. Il devrait en rester 110 en 2020, si la direction atteint ses objectifs : la suppression d’un tiers de ses bureaux.
Streetvox recense sur cette carte les 30 bureaux parisiens fermés depuis août 2014, et les 13 autres qui pourraient bientôt disparaître, selon la CGT des Postaux de Paris.
En survolant chaque logo de La Poste, l’adresse de l’établissement et des infos complémentaires apparaissent.
Afin de réaliser cette carte, nous avons contacté La Poste : combien de bureaux ont fermé ces dernières années ? Est-il possible d’avoir une liste des bureaux encore ouverts ?
Voici un extrait de la version officielle du groupe que nous avons d’abord reçue par mail : « Paris compte aujourd’hui 197 points de service La Poste (187 début 2016), dont 173 bureaux de poste et 24 points de services “La Poste Relais”, soit un point de contact tous les 400 mètres environ. » Le hic : La Poste recense 173 bureaux de poste à Paris, les syndicats 159.
Nous avons donc appelé le service de presse des PTT : « Pourriez-vous nous envoyer la liste des bureaux ouverts, fermés, ou sur le point de l’être ? »
- « Ah, mais nous ne fermons pas les bureaux, nous les transformons en relais. »
- « Alors est-il possible d’avoir une liste de ces bureaux “transformés” ? »
- « Impossible, nous répond-t-on à l’autre bout du fil, nous ne tenons pas de liste, nous ne pouvons donc pas vous la communiquer. »
De standards téléphoniques en serveurs vocaux, nous avons fini par recenser à la mano la situation de chaque guichet de la capitale.
À en croire le site officiel du groupe, il ne resterait que 139 bureaux ouverts, soit 34 de moins qu’annoncé dans le 1er mail.
Nous prévoyons d’entamer un tour à vélo, un jour de fête (ou sans fin), pour actualiser ce recensement, mais vous pouvez aussi nous aider en contribuant !
Se mobiliser, ça fonctionne pour empêcher les fermetures
Dès que nous savons qu’un bureau est sur le point de mettre la clé sous la porte, nous lançons des batailles, dans la capitale comme dans d’autres villes. Il nous arrive de repousser la fermeture de certaines agences. Pour cela, on a besoin de tout le monde : les postiers et leurs organisations syndicales, les habitants, mais aussi les commerçants et les élus. Une mobilisation importante s’est mise en place à Saint-Fargeau (20e). Le bureau aurait dû mettre la clé sous la porte en début d’année, mais La Poste a repoussé l’échéance à l’année prochaine. Pour le bureau de la rue Curial, à Crimée (19e), on a obtenu un sursis jusqu’à mi-juillet.
Nous agissons dans le cadre de Convergence services publics, qui regroupe plusieurs assos depuis mars dernier (comme le DAL, des collectifs de locataires, des assos d’aide aux réfugiés), des partis politiques (PCF, Ensemble, Parti de gauche, EELV, République et socialisme avec qq élus parisiens) et des syndicats (Unsa, Sud-Solidaire, CGT). Il est encore difficile de mobiliser certains arrondissements. Les mouvements importants se concentrent surtout dans 14e et dans le nord-est parisien.
Licencier pour faute
En se désengageant dans les villes, après les campagnes, La Poste entend une fois de plus réduire les coûts, sur les loyers et sur son personnel : on chiffre à plus de 200 le nombre de postes de guichetiers, personnels des bureaux de poste en général, qui ont été supprimés à Paris depuis novembre 2015.
« Pour réduire son personnel, la direction a décidé de ne pas remplacer une grande majorité des départs à la retraite. »
Sylvie Bayle, postière et déléguée syndicale
Comment la direction fait-elle, alors que nous sommes protégés par le statut de fonctionnaires (pour les agents contractuels en CDI, la convention commune prend appui sur le statut de fonctionnaires) ? Le licenciement économique est donc impossible pour les fonctionnaires (50%) et pour les contractuels de droit privé (50%). Pour réduire son personnel, la direction a décidé de ne pas remplacer une grande majorité des départs à la retraite.
En revanche, les agents peuvent être licenciés pour faute très facilement : des retards à répétition, des erreurs de caisse, etc. Avec cet objectif de réduction des coûts, les dossiers disciplinaires et les licenciements pour faute sont de plus en plus nombreux.
Atomiser le travail
Autre méthode employée par La Poste pour décrédibiliser ses agents : la parcellisation du travail. Auparavant, nous avions la maîtrise de bout en bout de notre activité professionnelle. Aujourd’hui, elle est de plus en plus découpée. Par exemple, si vous, usagers, vous rendez dans un bureau parce que vous n’avez pas reçu votre colis, vous aurez affaire à un guichetier qui ne peut pas vous aider, qui ne sait pas où est votre colis et ne peut pas le savoir ! Il se retrouve contraint de vous renvoyer vers un centre d’appel, filiale de La Poste et de vous répondre :
« Faites le 36 31. »
Il n’a aucun moyen pour les agents de se renseigner sur un serveur général.
Même chose pour le service bancaire : si vous constatez une anomalie sur votre compte courant, un découvert anormal de 200 euros par exemple, le guichetier aura un mal fou à vous dépanner ou à intervenir pour régler la situation et vous renverra vers un centre d’appel. Il n’a ni vision d’ensemble, ni moyen d’agir.
Que pensent alors les usagers de ce service public ? Ils ne comprennent pas pourquoi, plutôt que d’avoir des réponses en direct quand ils se déplacent, on les renvoie vers un numéro de téléphone. C’est normal qu’ils ne comprennent pas. Ces situations renforcent l’idée que le service public est inutile, que les agents font peu d’efforts pour satisfaire les besoins des consommateurs.
Mécaniser les services
Non seulement on empêche les agents de répondre aux besoins des usagers, mais on leur demande en plus de vendre de nouveaux produits dont ils n’ont pas besoin. On casse l’image des postiers. Pendant un moment, on a vendu des téléphones au guichet. Aujourd’hui, on propose de nouveaux produits financiers, comme n’importe quelle banque privée, mais qui ne correspondent pas aux besoins de la clientèle.
L’activité courrier est devenue complètement secondaire. Vous ne pouvez plus acheter de timbres à l’unité en caisse. Nous, postiers, vous redirigeons vers des machines, ces grosses caisses jaunes sur lesquelles il est inscrit en gros « affranchissement ».
Retirer de l’argent ou alimenter son compte courant sont aussi des opérations mécanisées aujourd’hui. La Poste part du principe qu’il n’y a plus besoin de femmes et d’hommes pour le faire.
« Non seulement on empêche les agents de répondre aux besoins des usagers, mais on leur demande en plus de vendre de nouveaux produits dont ils n’ont pas besoin. »
Sylvie Bayle, postière et déléguée syndicale
Les supérettes remplacent les bureaux de poste
Déposer un courrier, acheter des timbres… Que propose La Poste pour remplacer ses fonctionnaires ? L’externalisation.
Dans les campagnes, c’est le cas depuis quelques années. L’entreprise a d’abord créé des points-contacts tenus par des agents de la Ville. On restait alors encore dans le service public, mais très vite, elle a transféré ces services vers les commerces de proximité : l’épicerie, le tabac, la boulangerie.
Dans les grandes villes, La Poste sous-traite désormais le service de courrier auprès d’enseignes de supérettes, celles qui remplacent doucement les commerces indépendants. La première ouverture d’un relais-poste a eu lieu en 2014, dans un Franprix du 16e arrondissement de Paris. Les Carrefours City ou les À 2 Pas s’y mettent aussi et réceptionnent les lettres recommandées et autres colis; ils vendent parfois des enveloppes pré-timbrées ou des boîtes cartonnées pour les gros envois. C’est autant de travail supplémentaire pour les caissières de ces enseignes.
Ce processus est beaucoup moins coûteux pour l’entreprise que d’assurer elle-même ces services : La Poste paie 320 euros par mois à chaque boutique et verse 1 euro de participation par objet vendu. Alors vous vous dites peut-être que ce n’est pas grand-chose, que c’est un mal nécessaire, mais c’est autant d’argent public qui file vers le privé.
Aller plus loin ou dans le privé
La direction ne cesse de répéter qu’il y a toujours autant, et même d’avantage de présence postale, de “points-contacts” dans les villes, grâce à ces enseignes. Sauf que Franprix n’est pas La Poste et réalise un service minimum. Si vous avez besoin d’envoyer votre colis à l’étranger, c’est compliqué : il existe des réglementations, le coût de l’envoi change en fonction du poids et du pays de destination. Pour un recommandé, le prix varie beaucoup en fonction de la valeur de l’objet que vous souhaitez envoyer.
« Que répond La Poste ? Que les habitudes changent et que les commerçants reçoivent de moins en moins de liquidités en caisse… »
Sylvie Bayle, postière et déléguée syndicale
Pensez à une bijouterie qui souhaiterait faire parvenir un colis à un client, avec une assurance, un processus de sécurité important que l’on propose en bureau de poste. C’est impossible dans ces petits magasins. Donc soit le bijoutier tente de trouver un bureau de poste plus loin, soit – et c’est le plus logique – il se dirige vers des entreprises privées, plus chères, de coursiers ou de transports de fonds. Quant au commerçant qui pouvait déposer son argent liquide au guichet, il est obligé de se renseigner sur le bureau le plus proche, avec un guichet ouvert et un agent spécifique à disposition. Ces postes sont de plus en plus rares. Donc le commerçant, lui aussi, s’arrange différemment et finit par changer de banque.
Que répond La Poste ? Que les habitudes changent et que les commerçants reçoivent de moins en moins de liquidités en caisse et qu’il reste encore des bureaux dans Paris, donc autant de possibilités de déposer son argent et d’entrer en contact direct avec des conseillers.
Si La Poste demeure un service public, si elle se vend encore comme tel, alors elle doit accompagner ses usagers, c’est primordial. De nombreuses personnes ne maîtrisent pas forcément la langue écrite, des résidents comme des touristes. Or c’est notre rôle de service public de les accompagner. Cette mission ne pourra pas être accomplie dans les Franprix.
Carte réalisée par Fatma Ben Hamad.
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