Massy, 15h – La salle du Centre pour la formation et l’emploi de Massy est bien remplie, ce dimanche 7 mai. L’ambiance est calme. Des jeunes, souriants malgré la situation, servent des boissons à la centaine de personnes venue apporter son soutien à la famille de Curtis, 17 ans, décédé vendredi 5 mai. Le jeune homme tentait d’échapper à un contrôle de la Brigage Anti Criminalité (Bac) d’Antony, alors qu’il roulait sans casque. De nombreuses zones d’ombres subsistent : la police l’a-t-elle pris en chasse ? Depuis 2014, les forces de l’ordre ont pour consigne de ne plus engager de course-poursuite avec les deux roues et quads.
Pour les jeunes du quartiers, il y a peu de doutes : c’est une bavure. Sofiane est énervé. Il était avec lui 30 min avant l’accident :
« Nous on pense que la Bac d’Antony l’a tamponné. On sait comment ils sont… Des fois ils abusent. Ils nous insultent, ils sont violents, ils nous parlent comme si on était des chiens. Ils sont là pour faire chier ! »
Rassemblement à Massy / Crédits : Fares El Fersan / Hans Lucas
Depuis, les habitants sont à fleur de peau. Le drame a même réussi à rapprocher les quartiers d’Emile Zola et Place de France, jusque là « en guerre ». Même si la famille de la victime multiplie les appels au calme, les riverains ont du mal à cacher leur ressentiment. Certains aimeraient voir cette colère se transformer en mobilisation sociale pour la justice et contre les violences policières.
Croire en la justice ?
Les gens sortent petit à petit de la salle. La famille suit. Claude, le père de Curtis, un grand homme robuste, prend la parole devant l’assemblée. Il est accompagné de deux oncles de la victime. Marie-Edmonde, la mère, est là aussi. Elle est trop fatiguée, trop émue pour prendre la parole en public. La sœur de Curtis, les yeux ravagés par les larmes, se tient à ses côtés. « Il faut rester calme », assure le père, debout sur un banc au milieu d’une centaine d’adolescents :
« La justice va faire son travail. On ne va pas lâcher, on va tout faire pour savoir ce qu’il s’est passé. »
In memoriam / Crédits : Fares El Fersan / Hans Lucas
Un des oncles de Curtis, Didier, vif, de sa voix énergique et assurée, prend à son tour la parole :
« On sait comment vous vous sentez. On sait que vous avez la haine. Mais il ne faut pas la diriger vers la violence. Il faut l’orienter vers autre chose. Aujourd’hui vous êtes tous rassemblés pour Curtis, c’est ça qui est fort. Il faut rester unis, rester ensemble. »
Un message d’apaisement repris par les éducateurs de la ville, qui craignent que le quartier s’embrase :
« Il ne faut pas casser ce soir, pas brûler… pour la famille qui vous le demande, faites-le. Il ne faut pas qu’il y ait d’autre Curtis ce soir, plus jamais.»
Vérité pour Curtis / Crédits : Fares El Fersan / Hans Lucas
Des quartiers en colère
« Vous êtes de quel média ? Pas du Parisien ? Bon ça va alors. » Au pied des bâtiments, les journalistes n’ont pas vraiment bonne presse. Le quotidien d’Île-de-France a modifié à plusieurs reprises son article expliquant les circonstances de la mort de Curtis. Sofiane et ses copains s’insurgent sur ces médias qui, selon eux, écornent l’image de leur ami :
« C’est le genre de gars qui courait pour aider ta mère à transporter ses courses avant même que tu aies le temps de réagir. »
Ils racontent ensuite le jour d’après le décès de Curtis, quand une quinzaine de reporters ont débarqué de Paris, casque à la main en attendant que « ça pète ». Sans succès. Le quadrillage policier a limité les heurts. La colère est pourtant palpable. Tous les jeunes que nous rencontrons tiennent le même discours :
« Ce sont les policiers qui provoquent. Ils poussent à la réaction, ils n’attendent que ça ! »
Ça chauffe / Crédits : Fares El Fersan / Hans Lucas
Comme pour illustrer ces propos, des CRS s’approchent, et braquent leurs flash-ball sur la foule qui sort du bâtiment. Des jeunes les auraient provoqués en marge du rassemblement. La famille de Curtis calme la situation et les hommes en uniforme quittent rapidement les lieux. Lorsqu’ils se croisent, jeunes et policiers se défient du regard. Tessa, une ancienne camarade de classe de Curtis vient nous voir, très en colère :
« Moi, je les comprends les garçons. Je comprends qu’ils veuillent exprimer leur haine par la violence. Nous on pleure. Mais eux, c’est comme ça qu’ils réagissent. Avant, j’me disais que ceux qui disaient “nique la police” et tout ça, ils étaient bêtes. Mais quand je vois ce qu’il s’est passé avec Curtis et d’autres victimes, ça me pousse à être d’accord avec eux ! »
« Mais pour sa famille, pour Curtis, on va essayer de se canaliser », souffle Sofiane, qui continue tout de même, amer :
« C’est pas la première fois qu’ils nous enlèvent un frère. Adama, Zyed et Bouna, ce qu’ils ont fait à Théo… Au début c’était de la peine que je ressentais. Maintenant c’est de la haine ! »
La mobilisation s’organise
« On va tout faire pour que les institutions soient à la hauteur de leur rôle, pour qu’il y ait une action en justice », assure l’oncle de Curtis devant l’assemblée, prônant toujours le calme. Il ajoute :
« On est dans le recueillement, mais on lève la tête »
Le quartier est à fleur de peau / Crédits : Fares El Fersan / Hans Lucas
S’il est prouvé que la police a pris en chasse Curtis, il pourrait y avoir des suites à l’affaire. Mais sa famille est toujours dans l’attente du rapport médico-légal. En attendant, la solidarité s’organise :
« La famille, les proches, des gens qu’on ne connaît pas aussi, donnent de l’argent en ligne pour qu’on puisse prendre un bon avocat. »
« On en a trouvé un », ajoute Claude, le père de Curtis. « Mais pour l’instant il n’est pas disponible. Dès qu’il sera là, on mettra les choses au point. »
Pour organiser la mobilisation, les proches ont créé la page Facebook, Vérité pour Curtis. Avant même que la famille contacte des assos, Assa Traoré leur a publiquement apporté son soutien en participant à une cérémonie d’hommage organisée dans le lycée où Curtis étudiait. Amal Bentounsi, de Urgence Notre Police Assassine – qui vient en aide aux familles victimes de bavure policière – s’est aussi manifestée pour leur proposer de l’aide. Jointe par StreetPress, elle explique :
« C’est ce que je fais habituellement, pour leur donner des indications sur les démarches à suivre. Je leur ai conseillé de se constituer partie civile. C’est l’expérience de notre famille, pour éviter qu’ils se fassent avoir par la suite.»
Ajoutant :
« On sait pertinemment que la police a l’habitude de faire ça, ces “pare-chocages” [le fait de rentrer en voiture dans des personnes en fuite, ndlr]. Il faut rétablir la vérité, malgré ces différents témoignages qui ne concordent pas. »
Les gens discutent, la famille et les proches servent à manger, des jeunes jouent au foot… Petit à petit, chacun rentre chez soi en attendant un autre rassemblement prévu dans la soirée sur les lieux de l’accident. La résistance s’organise. « En attendant on se serre les coudes », lance Ezekias, le beau-frère de Curtis. Le jeune homme athlétique au regard doux détaille les mobilisations à venir :
« En plus de la marche de dimanche, on va faire des tshirts en la mémoire de Curtis. Des amis ont prévu d’organiser un tournoi de foot avec les gens du quartier et des villes alentours. Toutes les personnes qui veulent nous montrer leur soutien sont les bienvenues. »
Ma cité n’a pas craqué
20 heures, rue de des Baconnets. Plusieurs centaines de personnes sont réunies dans cette rue pavillonnaire d’Antony, adjacente à Massy. Malgré les deux jours de pluie, et le sable qui a été mis dessus, le sang de Curtis est encore visible. Après un discours émouvant du père, la famille demande qu’on observe une minute de silence. Le calme est seulement interrompu par les quelques voitures qui circulent et le bourdonnement sourd de l’hélicoptère des forces de l’ordre qui survole le quartier. L’oncle de Curtis prend finalement la parole :
« Maintenant, on va partir par petits groupes de 5. Et nous, la famille, on partira en dernier. On sait très bien que la police est là. Ils vont vous provoquer, mais ne les regardez pas. Quoi qu’il arrive. Vous avez des téléphones portables, ça filme. Alors vous filmez ! Ne réagissez pas ! »
Les potes de Curtis se sont réunis / Crédits : Fares El Fersan / Hans Lucas
Alors que les personnes présentes quittent les lieux, deux voitures banalisées traversent la foule. « C’est la Bac » nous glisse-t-on:
« Ils savent très bien ce qu’il se passe ici, mais ils viennent quand même. Ils cherchent vraiment à nous provoquer…»
21 heures. La plupart rentrent chez eux. Mais pour d’autres, la soirée est loin d’être terminée. Des parents du quartier vont voir les jeunes qui se réunissent vers Place de France. « On comprend que les jeunes soient excités, qu’ils aient envie d’être ensemble, explique l’un d’eux. C’est normal ils ont perdu un copain. » Ils tentent d’éviter les débordements :
« Il ne faut pas qu’ils [les jeunes de Massy] se fassent entraîner par des groupes qui viennent de l’extérieur et qui ne connaissent pas les gens du quartier. C’est ce qu’il s’est passé hier. Il y avait des jeunes de Paris qui étaient venus pour foutre la merde. Je le sais parce qu’ils m’ont demandé ou était le métro ! Il n’y a que le RER à Massy… »
Fahad*, la petite cinquantaine, avenant, est un médiateur bien connu des jeunes. Il ajoute :
« Il faut aussi gérer les policiers… Mais eux ne cherchent pas l’apaisement ! Je suis allé voir des gars de la Bac, je leur ai dit “ne vous inquiétez pas, on calme les jeunes, il n’y aura pas de problème…” L’un d’eux m’a répondu “de toute façon nous on a des grenades !” »
Le policier se serait ensuite éloigné sans un regard. Ce soir, malgré quelques interpellations, les heurts entre la police et les jeunes ont été minimes. Fahad conclut dépité :
« Les forces de l’ordre, on les salue, on se présente, on explique ce qu’on fait, et rien… Je crois qu’ils ont une batterie à la place du cœur ces gens-là. »
Dans le quartier on s'interroge / Crédits : Fares El Fersan / Hans Lucas
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