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    01/03/2017

    Madame la Ministre, savez-vous ce que c’est d’avoir des galères de CAF ?

    Par Mohamed Lounas , Alice Maruani

    Les CAF sont le principal contact de l’Etat avec les classes populaires. Madame Touraine, à force de coupes budgétaires, vous avez désintégré le service public de proximité. Ne vous étonnez pas si les plus pauvres se tournent vers le FN.

    Madame la Ministre,

    Savez-vous ce que c’est d’avoir des galères de CAF ? Connaissez-vous l’angoisse qui vous prend au moment de regarder pour la dixième fois si votre dossier a été enfin traité ? Ces semaines où vous ne pensez plus qu’à ça parce que vous avez plusieurs mois d’aides de retard, ou ces aides sont bien plus basses que prévues, à cause d’une erreur ?

    Quand on vous demande des papiers que vous avez déjà envoyé ou que vous ne comprenez pas ce qui n’a pas marché ? Et tout ça alors que ces aides sont vitales pour vous, pour payer votre loyer, vos factures, etc ?

    Je vous écris tous les mois pour vous alerter

    C’est la situation vécue aujourd’hui par des dizaines de milliers d’allocataires. Ce n’est pas la faute des « fonctionnaires qui ne font rien », comme on l’entend très souvent. Mais bien des dernières « politiques de modernisation du service public ». Ca veut dire « coupes budgétaires » en novlangue administrative.


    « Les récentes “politiques de modernisation du service public”, signifient “coupes budgétaires” en novlangue administrative. »

    Mohamed Lounas, responsable CGT

    Attention, je ne suis pas contre les économies. Mais là, clairement, elles ont été faites en dépit du bon sens. Et surtout aux dépens des allocataires.

    Je vous écris tous les mois pour vous alerter sur la situation. Je ne suis pas entendu, et je ne sais plus vers qui me tourner. J’ai même écrit au Premier ministre le mois dernier. Chez vous, ils doivent me prendre pour un illuminé. Mais depuis un an et demi, il faut que vous sachiez que c’est vraiment devenu intenable sur le terrain, pour tout le monde.

    On a supprimé le contact humain dans les CAF

    De 2013 à 2017, le budget de fonctionnement des CAF a baissé de 15%. Parallèlement, le nombre de bénéficiaires n’a fait qu’augmenter, crise oblige. Rien qu’avec la nouvelle prime d’activité mise en place le 1er janvier, on a 1,5 millions d’allocataires supplémentaires par exemple.


    « Madame Touraine, je vous écris tous les mois pour vous alerter sur la situation à la CAF »

    Mohamed Lounas, responsable CGT

    Pour traiter plus de dossiers avec moins de moyens, les CAF ont appliqué des politiques absurdes. La première a un nom : le « tout numérique ». Ca veut dire qu’on ferme tous les guichets, et on demande à prendre rendez-vous sur internet. Avec souvent une longue attente.

    Certes, il y a encore des guichets ouverts au public, mais sans travailleurs sociaux professionnels à l’intérieur. A la place, ils mettent dans ces accueils des contrats précaires et non formés.


    « Dans les CAF, les seuls guichets ouverts au public ont interdiction de donner des informations sur les aides ! »

    Mohamed Lounas, responsable CGT

    Ces derniers ont formellement interdiction de donner des informations sur les aides. Leur travail est de rediriger vers des postes informatiques, en expliquant aux personnes qu’elles doivent les faire leurs recherches par eux-mêmes.

    Si un malheureux se prend à vouloir donner un début de réponse, il se fait remonter les bretelles. Imaginez, ça pourrait être dangereux ! Si il y a un endroit où on vous aide, et que les usagers se passent le mot, il risque d’y avoir foule.

    Preuve que que les gens ont besoin d’infos directes. Mais on préfère fermer les portes et les volets pour ne pas voir les problèmes plutôt que de de les traiter.

    Les CAF, ce sont le principal contact de l’Etat avec les classes populaires

    Cette politique est totalement déconnectée des besoins et des attentes de la population. Mais aussi du fonctionnement de ce service public, qui est le principal contact de l’Etat avec les classes populaires et les populations marginalisées.

    La CAF n’est pas le service des permis de la préfecture. Dans le social, on a impérativement besoin d’un contact humain. On fait de la détection pour éviter que les cas ne s’aggravent.

    Avec la baisse des budgets de fonctionnement, on a moins de personnel, et on gère tout à flux tendus. Pour aller plus vite, on utilise depuis une dizaine d’années les techniques néo-libérales du « lean management », axées sur la productivité . On fait pression sur les fonctionnaires avec des objectifs chiffrés.

    La productivité n’est pas la solution

    On nous dit de traiter toujours plus de dossiers toujours plus vite. Sauf que les situations sont complexes, chaque cas a ses particularités. Et quand on fait vite, on fait mal.

    A la CAF, un service de mauvaise qualité a des conséquences lourdes. Quand une personne ne reçoit pas en temps et en heure les aides dont elle a souvent dramatiquement besoin, son cas va s’aggraver. Elle va accumuler les loyers impayés, les dettes…

    Elle va bien sûr relancer, faire appel à la CAF trois ou quatre fois au lieu d’une. Ca donne encore plus de travail. C’est un cercle vicieux.

    On vous maquille les chiffres

    Les indicateurs de performance montrent que 90% des dossiers sont traités en moins de dix jours. Mais ces comptes-là sont faux, on vous les maquille ! C’est le serpent qui se mord la queue parce que vous nous dites : regardez, ça ne va pas si mal, les réformes sont intégrées. Circulez, y a rien à voir.

    Sauf que pour avoir de bons indicateurs de performance, il suffit de mettre en priorité les dossiers qui sont comptabilisés dedans. Les minima sociaux notamment passent devant, avec leur délai maximal de 10 jours. Les APL ou les allocations familiales par exemple passent après. Tous ceux qui constat
    ent des retards d’attribution de ces aides ne doivent pas s’étonner. C’est volontaire.

    Les travailleurs sont à bout, les allocataires aussi

    Les travailleurs en CAF sont à bout, ils deviennent fous. On leur répète que « l’allocataire est au centre de tout », mais on les empêche de faire correctement leur travail. Et on les a privé de son sens, qui est l’humain. Pas étonnant que les burn-out s’accumulent. Tout ça ruine aussi votre chère productivité !

    Les bénéficiaires des aides sont les premières victimes de ces politiques de réduction budgétaire à l’aveugle. Les gens ne sont pas stupides, ils voient bien qu’on les abandonne.

    Madame la Ministre, les usagers de la CAF correspondent, en grande partie, aux classes populaires. Ce sont celles qui votent traditionnellement à gauche et qui se tournent aujourd’hui vers le FN. Logique : c’est le prix de la destruction des services publics de proximité.

    Il est urgent de repartir des besoins du terrain et de construire notre offre sociale à partir de là.

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