Paris 14ème, rue Maurice Ripoche – Sur la façade grise au crépi défraîchi de l’hôtel Balladin quelques affiches accrochent l’attention du passant. Sur une feuille A4, inscrit au marqueur « Squat Artistique-Féministe-Ecolo ». Postés sur le trottoir, Fatima, Christina et Jean-Charles se dorent au soleil. Chaque week-end les occupants du Safe proposent au public un « tour du propriétaire » afin d’expliquer leur démarche. Mais en ce dimanche de vacances scolaires, il n’y a pas vraiment foule.
Sous les pieds des militants, sur le trottoir, les traces d’un tag presque disparu : « Femen paye ton loyer ! », laissé par les militants du Renouveau Français. Si le groupuscule d’extrême droite, pétainiste et homophobe, est venu fanfaronner rue Maurice Ripoche, c’est parce que le squat a accueilli un briefing de soutien aux Femen. Leur faisant penser, à tort, que les « sextrémistes » avaient posé leurs valises au Balladin.
Kesako ? Les 5 filles et 4 garçons du « Coolectif » ont pris leurs marques. Dans les chambres à l’étage, des posters et slogans – « la domination masculine m’a tuée » – trônent sur les murs au papier peint fatigué. « Un squat féministe, c’est un squat où les garçons doivent faire attention à ce qu’ils disent ! » plaisante Léa Vasa, 23 ans, fraîchement élue sur une liste écolo dans le 10e arrondissement.
Léa et ses petites coupures de presse
Mais le Safe veut avant tout devenir un foyer pour les initiatives féministes, en « s’incrustant dans les luttes », explique Fatima-Ezzahra Benomar, militante de l’association « Les Effronté-e-s », à l’origine du projet. « Même si pour l’instant notre influence n’est pas grande », concède cette dernière. Le spot de la rue Maurice Ripoche sert régulièrement de lieu de réunion et une permanence d’écoute pour les femmes victimes de violences est en projet. Il héberge aussi le bureau des « Effronté-e-s » qui y organisent débats et ateliers de réflexion.
Sur son site internet, l’association se définit comme « féministe » – on s’en doutait – « progressiste et laïque », « antiraciste », « révolutionnaire », « mixte » et « abolitionniste du système prostituteur ». Une dernière position à l’origine de pas mal de clash, notamment avec le Strass, syndicat du travail sexuel.
The story L’idée du squat féministe trotte depuis un bout de temps dans la tête de Fatima, passée par le squat de la rue de Valenciennes (Paris 10e), tenu par Jeudi Noir. Car en matière d’égalité, le milieu ne s’avérerait pas aussi progressiste qu’on pourrait l’imaginer :
« Les taches y sont très genrées : les mecs au bricolage et les femmes à la cuisine. Les mecs monopolisent souvent la parole dans les réunions.»
Elle envisage d’abord de créer un centre d’accueil pour les femmes maltraitées.
« Mais ce n’est pas facile de garantir la sécurité de ce genre de structures. Entre les macs et les mecs violents qui peuvent débarquer à tout moment pour terroriser leur proie ! »
Jusqu’en 2011, tout va pour le mieux : diplômée d’une école de cinéma, elle décroche le statut d’intermittente du spectacle. Elle milite alors au PS, co-fonde « Osez le féminisme », expose ses peintures.
Quand un beau jour, patatras ! La préfecture lui réclame un contrat de travail et ne veut pas entendre parler d’intermittence. La jeune femme reçoit une injonction de quitter le territoire.
S’en suivront de longs mois de bataille administrative… et de galère. Sans autorisation de travail, Fatima grille ses dernières ressources et connaîtra même quelques nuits dans le métro.
De quoi renforcer ses convictions politiques. Elle rejoint Jean-Luc Mélenchon avant la campagne présidentielle de 2012, pour travailler sur les questions d’égalité. En 2013 Fatima a publié Féminisme, la révolution inachevée.
Le tableau des activités du squat
Elle se rabat sur l’idée d’un squat féministe et lance le « Coolectif du bonheur ». Novembre 2013, elle s’installe avec quelques militantes dans un commissariat désaffecté du 18e. « On a tenu à peine 48 heures avant de se faire expulser », témoigne la militante. Retour à la case départ. Ils repèrent alors l’hôtel Balladin dans le 14e. Une aubaine :
« La fenêtre du rez-de-chaussée est grande ouverte depuis un mois. On est entrés et on a fait le sous-marin pendant 48 heures, raconte Jean-Charles, militant des Effronté-e-s et compagnon de lutte de Fatima. Et puis on a inauguré officiellement tout début janvier, en invitant le quartier à une galette républicaine ».
Progressistes Dans la salle commune, au rez-de-chaussée, la déco est spartiate : une pile de matelas, quelques chaises dépareillées et une vieille télé qui prend la poussière. Jean-Charles discute avec le prof de yoga, venu offrir ses services en échange d’un endroit où donner des cours. « On paye notre loyer à la société en mettant cet espace à la disposition de l’intérêt général » explique Jean-Charles.
« Pour créer une société plus égalitaire il faut cesser de considérer la question des femmes comme un problème périphérique » insiste Fatima. Pour les militants du Safe, le féminisme doit s’articuler à d’autres luttes. Le squat accueille ainsi la coopérative d’achat de légumes bio « la cagette de légumes ». Cette Amap est entièrement gérée par des habitants du quartier, qui organisent la distribution et viennent une fois par semaine récupérer leur panier garni. Au Safe on trouve aussi, pêle-mêle : un « free shop » où chiner à l’œil, des cours d’alphabétisation pour les réfugiés, un ciné-club branché éducation populaire…
On paye notre loyer à la société en mettant cet espace à la disposition de l’intérêt général
Jean-Charles, sur le toit du squat
En poussant une porte, on tombe sur Christina, jeune artiste Roumaine de 22 ans. Affairée dans le bric-à-brac de sa chambre qui lui sert aussi d’atelier, elle explique avoir atterri en squat par nécessité mais adorer « cette ambiance trop cool où l’on rencontre plein d’autres artistes ». Quant à Jean-Christophe, papa d’un petit garçon et actuellement en formation d’électricien, il se voit d’abord comme un révolté du logement. « Les loyers ont augmenté de manière obscène. Quand j’ai réalisé que j’allai finir ma formation à dormir sous un carton, j’ai réagi ».
Expulsion ? Cette communauté un peu baroque, qui compte presque autant de combats, que de membres semble bien partie pour rester. Même si au départ « le 14e a été un choix par défaut. On aurait préféré s’installer dans un quartier populaire, où il y a un réel besoin d’animation socioculturelle, confesse Léa. Mais on ne va pas faire la fine bouche ! » D’autant que les propriétaires semblent désireux de se faire oublier, et n’ont engagé à ce jour aucune procédure. « Ils traînent des impayés fiscaux » croient savoir les squatteurs. Quand à la nouvelle maire socialiste de l’arrondissement, Carine Petit, elle est venue – herself – apporter sa bénédiction aux occupants. « On croirait presque qu’on est là pour 20 ans ! », lâche en rigolant Fatima.
Jean-Christophe, révolté du logement
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