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    25/03/2014

    « Si tout se passe bien, il n'y a rien à foutre »

    A 3 mois de la coupe du Monde, l'ex-médecin des Bleus raconte le job

    Par Robin D'Angelo

    Sur StreetPress, Jean-Pierre Paclet, médecin des Bleus pendant 15 ans, revient sur l'ingratitude du job et distille quelques bonnes anecdotes. Tout en contrôle et sans dérapages sur le dopage.

    Dans L’implosion (éd. Michel Lafont) paru en 2010, Jean-Pierre Paclet, médecin des Bleus pendant 15 ans, allume à tout-va et fait péter quelques secrets de vestiaire de l’ère Domenech. Un règlement de compte pour celui qui estime avoir servi de «fusible» après l’Euro 2008.

    Aujourd’hui le doc n’a pas que des amis à la fédération mais son bagout en a fait un interlocuteur privilégié des médias – pendant notre interview, c’est RMC qui l’appelle pour lui demander son diagnostic sur la blessure de Falcao.

    A quelques mois du Mondial, que fait votre successeur à la tête de l’équipe de France ?

    Honnêtement, pas grand-chose. Il ne dispose pas des joueurs donc son principal boulot c’est de la logistique. Une grande réunion va bientôt avoir lieu à Rio avec toutes les sélections, les directeurs financiers, les gens de la sécurité … et bien entendu les médecins. On met en place l’équipement de soin, de physiothérapie, de balnéothérapie, de piscines glacées etc.

    Pendant la compet’, c’est quoi la journée type du doc ?

    Globalement si tout se passe bien, il n’y a rien à foutre ! On prend en charge les blessures, on surveille l’alimentation, on fait de la médecine préventive aussi. En particulier dans les pays chauds, on regarde s’ils n’ont pas de problèmes de pieds. Il faut suivre les petites plaies comme le lait sur le feu !

    Vous avez fait 2 Mondial : un avec Troussier, un avec Domenech. Est-ce que les coachs ont une approche différente du médical ?

    Avec ces deux-là non. Ils me faisaient totalement confiance. « Ce joueur-là ne joue pas, il faut faire ça ou ça », c’était moi qui décidais. Troussier avait fait des études de kiné, on était plus dans un langage paramédical, c’est tout. Mais aucun coach ne m’a demandé : « il faut que tu me retapes untel pour tel jour ». Je n’aurais pas accepté.

    Les médecins sont-ils plus proches des joueurs que ne le sont les coachs ?

    Les plus proches, ce sont les kinés. Quand j’ai commencé dans les années 90, la salle médicale, c’était un moment de détente. Mais ça a beaucoup changé quand les portables sont arrivés. Les mecs passaient leur temps à discuter avec leur chérie, avec Zahia, avec leur agent… J’avais foutu le bordel en les interdisant dans la salle de soin.

    L’aventure d’un Mondial permet-elle de connaître intimement ces superstars du foot ?

    On a naturellement des affinités avec certains joueurs. Sur un groupe de 23, il y en a 2 avec qui vous partiriez en vacances. 5 avec qui vous vous entendez bien, 10 auxquels vous êtes indifférents, et puis 5 sales cons. Comme dans la vie. Ceux dont j’étais le plus proche, c’était Coupet, Landreau, Sagnol – que j’ai eu tout à l’heure au téléphone. Toulalan était aussi un mec très intelligent. J’aimais bien Thuram. Encore que pour discuter avec lui, il faut avoir deux jours devant soi.

    Vous étiez avec Cissé quand il s’est cassé la jambe en 2006…

    C’est un de mes plus mauvais souvenirs de médecin de l’équipe de France ! Cette blessure, ça illustre bien le boulot. Je suis dans l’ambulance avec le camion du Samu qui me ramène au CHU de Saint-Étienne. Djib appartenait à Liverpool mais devait être transféré à Marseille. Mais rien n’avait été signé. Le médecin anglais m’appelle : « Faut le ramener en Angleterre pour le faire opérer par notre équipe ». Je dis : « très bien mais envoyez moi un fax, je ne veux pas que ce soit sous ma responsabilité ». C’est une connerie sans nom de faire voyager en avion un mec avec une fracture du tibia péroné ! Puis l’agent de Cissé me dit « faut aller à Marseille pour le faire opérer par Jean-Pierre Franceschi ». Ensuite, c’est le frère de Cissé : « faut aller voir Saillant à Paris » ! J’ai décidé de le faire opérer à Saint-Étienne. Mais pendant les deux heures de l’opération, tu te dis pourvu que le clou soit bien mis parce que si ça se passe mal, c’est pour ma gueule.

    C’est un boulot de diplomate en fait ?

    Le boulot, c’est de prendre des décisions plus que de la technique. On marche sur des œufs : les joueurs ne nous appartiennent pas et on n’est pas leur médecin. Quand c’est le choix entre deux chirurgiens de qualité, tu t’en fous. Mais en Angleterre, la médecine, ce n’est pas le niveau français. On demande au joueur s’il peut courir, et si c’est « oui », il joue.

    Est-ce qu’il y a une part de psychologie ?

    Ça dépend. Certains joueurs ont toujours besoin d’être rassurés. Je pense à un milieu de terrain, très intelligent pourtant, qui avait toujours un pet de travers. Toujours ! Il m’a fait hurler pendant le Mondial 2006. Il était sur le banc et devait rentrer lors du 1/8e de finale contre l’Espagne. Soi-disant il avait mal à une cuisse… Je savais qu’il n’avait rien ! J’avais envie de lui dire : « t’es vraiment con toi. Tu ne regrettes même pas de ne pas être entré pour un des plus beaux matchs de l’histoire de l’équipe de France.»

    Comment a évolué la médicalisation de la sélection en 20 ans ?

    En 93, il y avait un médecin et deux kinés. En 2008, on était deux médecins et quatre kinés. Plus un podologue. Je faisais aussi appel à une nutritionniste. L’avantage, c’est qu’on a tous les appareils de physiothérapie possibles et inimaginables. Gratuit. Les marques sont contentes, elles peuvent communiquer là-dessus. Puis le matériel a évolué. Dans les années 1990, une échographie, c’était une usine à gaz. Maintenant, il y a des échographes qui ont la taille d’un ordi. C’est des trucs qu’on a à l’hôtel.

    S’il y avait eu du dopage en 2006 dans l’équipe de France vous auriez été forcément au courant ?

    Bonne question… Pendant la compétition, oui.

    Pourtant il n’y a pas eu de contrôles pendant le Mondial.

    Des conneries ! Il n’y a pas eu de contrôles sanguins, mais des contrôles il y en a eu.

    Il y a eu des perfusions ou des injonctions en équipe de France durant votre carrière ?

    Non, jamais. J’ai quelques fois fait des infiltrations. Mais dans des cas médicalement reconnus, selon le code des bons usages thérapeutiques, avec déclaration.

    La prise de produits pharmacologiques est-elle quotidienne aujourd’hui dans le foot ?

    Pas forcément. Certains sont complètement opposés, d’autres non. Et ce sont principalement des compléments vitaminés, comme dans la vie courante. Dans votre rédaction, quelles sont les nanas qui prennent du magnésium ou des trucs comme ça ?

    Il y a une vidéo volée très connue où on voit Fabio Cannavaro, à Parme à l’époque, s’injecter du Neoton – un produit à base de créatine parfaitement légal en Italie. C’est du dopage pour vous ?

    Je n’ai jamais vu cette vidéo. D’un point de vue éthique, quand on en arrive à se piquer, même si le produit est légal, c’est un comportement dopant. Si on a besoin de faire appel à la pharmacopée pour se sentir bien dans sa tête … Comme à une époque, c’était la mode de faire des perfusions après les matchs parce que soi-disant, ça permettait de récupérer plus vite.


    VidéoCannavaro, une seringue dans le bras

    Physiquement, un joueur peut tenir 65 matchs sans avoir recours à des produits ?

    Bien sûr ! Globalement, ça ne court pas beaucoup un joueur de foot ! Quand il court dix kilomètres dans un match, c’est vraiment un mec qui cavale. Et physiquement, les joueurs ne s’entraînent plus. En pré-saison, oui, ils font du physique mais pas pendant la saison. C’est plus usant psychologiquement que physiquement. Par rapport aux entraînements d’un marathonien, ce n’est rien.

    Dans votre livre, vous employez le mot « gourou » pour parler des médecins perso des joueurs.

    Il y en a qui évoluent dans le milieu du foot. Des thérapeutes, des naturopathes… Bref, des beaux parleurs qui font de la médecine douce. On les voit apparaître, puis ils disparaissent, reviennent… Les joueurs ont toujours eu besoin de médecines ésotériques. Certains se laissent abuser. Je ne les critique pas. Ils sont tellement à la recherche du 5% qui va faire la différence qu’ils se disent « ça ne va pas faire de mal ».

    Vous êtes pour la présence de femmes des joueurs pendant une compétition…

    Ça leur change les idées ! Et paradoxalement, ils sortent moins. Aux JO d’Atlanta, on était à Miami et on avait décidé avec Domenech de faire venir les femmes pendant cinq jours. Comme ça, on a tenu les mecs. Le problème, ce sont les célibataires. On les suivait dans les boites où ils allaient ! On les précédait même ! Ils n’ont pas pu passer une soirée tranquille.

    Quand un joueur simule pour gagner du temps, les docs sont complices ?

    Bien sûr ! 9 fois sur 10 on sait si la situation est dangereuse ou si le mec simule. Tant qu’on n’a pas pénétré sur le terrain, le joueur peut se mettre debout et repartir. Sinon, il est obligé de sortir. Alors on prend le maximum de temps pour renter sur la pelouse…

    Il y avait des mecs extraordinaires ! Je me souviens d’un coup fabuleux de Jérôme Bonissel en Roumanie avec les Espoirs. Avant le match, l’arbitre avait fixé que les docs devaient évacuer les joueurs dès qu’ils entraient sur la pelouse, sans y faire le diagnostic. Sauf pour les traumatismes crâniens et les cervicales. Je dis à Jérôme, « si on est à la bourre en fin de match, il faut que tu aies mal au cou ». A 10 minutes de la fin, on mène 1 à 0 et c’est qualificatif pour la suite … Et sur un corner, on entend un grand cri, un mec tombe et reste allongé sur le ventre. C’était mon Bonissel qui faisait semblant d’être KO. L’arbitre me dit « take your time » et on a mis 7 minutes à l’évacuer ! A la fin du match, les journalistes de Canal sont venus me voir : « tu nous a emmerdé, on ne savait plus quoi raconter à l’antenne ! »

    Le doc sert-il de fusible quand on a besoin de responsables ?

    C’est ce qu’il m’est arrivé. Mais pas qu’à moi hein.

    “Riccardo Agricola”:http://www.independent.co.uk/sport/football/european/juventus-doctor-guilty-of-doping-offences-6157110.html par exemple…

    Oui, mais lui, il est allé très très loin.

    Comment vous expliquez qu’il ait été le seul à prendre de la prison dans le procès de la pharmacie de la Juve ?

    Je ne connais pas bien la justice italienne … Mais c’était la grande époque des pharmacies italiennes. Aujourd’hui ça s’est largement amélioré par rapport aux années 90 où il y avait de l’EPO et des hormones de croissance. Les Italiens ont vraiment eu la trouille.

    Il y a une omerta dans le foot ?

    C’est pas l’omerta, c’est la famille. Dès que ça reste en famille, il y a une petite mafia. Faut pas dire du mal. Le médecin de la fédé a été d’une lâcheté dans l’affaire Vieira (ndlr : Patrick Vieira a accusé Jean-Pierre Paclet de l’avoir mal soigné à l’Euro 2008. Domenech et la fédé n’ont pas soutenu le docteur ce qui, d’après lui, lui a coûté sa place). Il était parfaitement au courant. Il m’a dit « t’as raison de faire ça. » Et puis après, il était absent ! C’est des politicards.

    Ça vous a fait mal de quitter votre poste ?

    Non. J’en avais marre. Au départ c’est un métier qu’on aime parce qu’on aime le foot. Puis après ça devient toujours la même chose. A la 3e Coupe du monde, tu te dis « putain, on va encore partir six semaines ». En 2008, c’était l’enfer. On s’est pris une cuite avec Toulalan, Frey, Coupet après le dernier match … On en avait vraiment ras-le-bol.

    Vous avez des nouvelles de Domenech ?

    Je n’ai plus aucun rapport avec Domenech depuis 2008. Il m’avait envoyé un texto disant : « toutes ces histoires politiques ne nuisent pas à l’estime que j’ai pour l’homme et le médecin ». Je lui ai répondu, « l’estime c’est comme l’amour, ça n’existe pas. Il n’y a que des preuves. » Depuis pas de nouvelles ! Il va finir isolé Raymond. Ce qu’il n’a pas supporté, c’est que je lui dise, à l’avance, qu’il allait se faire bouffer, qu’il abandonnait toutes ses idées.

    Ça vous a blessé la réaction de France 98 à la sortie de votre livre ?

    Il y a eu un raccourci facile pour dire que je disais que tout le monde était dopé. Je n’ai pas dit ça. Que Zizou et Deschamps fassent la gueule, je comprends. Ça remet des choses pas claires sur le tapis. Mais Thuram m’a dit : « t’as bien fait, il n’y avait pas que des trucs très raffinés à la Juve. » Faut pas croire que France 98 c’est un bloc.


    Jean-Pierre Paclet, le numéro 4 de « H » en mains

    Je dis à Jérôme : si on est à la bourre en fin de match, il faut que tu aies mal au cou

    bqhidden. C’est pas l’omerta, c’est la famille. Dès que ça reste en famille, il y a une petite mafia…

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